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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2008:G000206.20081125
Date de la décision : 25 Novembre 2008
Numéro de l’affaire : G 0002/06
Décision de saisin : T 1374/04
Numéro de la demande : 96903521.1
Classe de la CIB : C12N 5/00
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande :
Nom du demandeur : WISCONSIN ALUMNI RESEARCH FOUNDATION
Nom de l’opposant :
Chambre : EBA
Sommaire : 1. La requête en saisine de la Cour de justice européenne pour décision préjudicielle au sujet des questions proposées est rejetée comme étant irrecevable.
2. Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
Question 1 : la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE s’applique à toutes les demandes en instance, y compris à celles qui ont été déposées avant l’entrée en vigueur de la règle.
Question 2 : la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE interdit de délivrer des brevets sur la base de revendications portant sur des produits qui – comme indiqué dans la demande – ne pouvaient être obtenus, à la date de dépôt, qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, même si ladite méthode ne fait pas partie des revendications.
Question 3 : aucune réponse n’est nécessaire puisqu’il a été répondu par l’affirmative aux questions 1 et 2.
Question 4 : s’agissant de la réponse à la question 2, il est sans importance que les mêmes produits puissent être obtenus après la date de dépôt sans devoir recourir à une méthode impliquant nécessairement la destruction d’embryons humains.
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention Art 23(3)
European Patent Convention Art 53(a)
European Patent Convention Art 164(2)
European Patent Convention R 26
European Patent Convention R 26(1)
European Patent Convention R 28
European Patent Convention R 28(c)
European Patent Convention R 29
European Patent Convention 1973 Art 53(a)
European Patent Convention 1973 Art 112(1)(a)
European Patent Convention 1973 R 23b
European Patent Convention 1973 R 23b(1)
European Patent Convention 1973 R 23d
European Patent Convention 1973 R 23d(c)
European Patent Convention 1973 R 23e
ECJ Case C-337/95
German Bundespatentgericht decision 3 Ni 42/04 of 5 December 2006
Mot-clé : Saisine recevable (oui)
Saisine de la Cour de justice européenne pour décision préjudicielle (non) – requête non recevable en l’absence de compétence pour procéder à une telle saisine en vertu de la CBE
La règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est applicable aux demandes en instance déposées avant son entrée en vigueur (oui)
La règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE relève du champ d’application de l’article 53a) CBE et est conforme à l’article 27 de l’Accord sur les ADPIC (oui)
L’exception à la brevetabilité prévue à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est applicable lorsque le produit revendiqué ne peut être obtenu que par une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons, même si ladite méthode ne fait pas explicitement partie des revendications (oui)
Les avancées techniques postérieures à la date de dépôt ne sont pas pertinentes pour apprécier l’exception à la brevetabilité prévue à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE
Exergue :

Décisions citées :
G 0005/83
G 0001/84
J 0016/96
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0001/07
G 0002/07
G 0001/08
G 0002/12
G 0002/13
T 0522/04
T 0083/05
T 1242/06
T 1199/08
T 1836/10
T 2221/10
T 1441/13
T 1808/13

Exposé des faits et conclusions

I. Dans sa décision T 1374/04 “Cellules souches/WARF” (JO OEB 2007, 313), la chambre de recours technique 3.3.08 a soumis les questions de droit suivantes à la Grande Chambre de recours :

1. La règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE s’applique-t-elle à une demande déposée avant l’entrée en vigueur de ladite règle ?

2. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE interdit-elle de délivrer des brevets sur la base de revendications portant sur des produits (en l’espèce : des cultures de cellules souches embryonnaires humaines) qui – comme indiqué dans la demande – ne pouvaient être obtenus à la date de dépôt qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, si ladite méthode ne fait pas partie des revendications ?

3. S’il est répondu par la négative à la question 1 ou 2, l’article 53a) CBE interdit-il de délivrer des brevets sur la base de telles revendications ?

4. Dans le cadre des questions 2 et 3, est-il utile de savoir que les mêmes produits pouvaient être obtenus après la date de dépôt sans devoir recourir à une méthode impliquant nécessairement la destruction d’embryons humains (par exemple, en l’espèce, par dérivation à partir de lignées de cellules embryonnaires humaines disponibles) ?

(Pour faciliter la compréhension, les règles du règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen sont citées selon la numérotation du règlement d’exécution modifié de la Convention sur le brevet européen qui est entré en vigueur le 13 décembre 2007, avec l’ancienne numérotation entre crochets, sauf lorsque des décisions, des textes législatifs ou les questions de la saisine sont cités).

II. Le recours en instance devant la chambre 3.3.08 à l’origine de la saisine est dirigé contre la décision du 13 juillet 2004 de la division d’examen rejetant la demande de brevet européen nº 96 903 521.1. Cette décision porte sur un jeu de revendications 1 à 10, dont la revendication 1 s’énonce comme suit :

“1. “Culture cellulaire comprenant des cellules souches embryonnaires de primate qui (i) sont capables de proliférer pendant plus d’un an en culture in vitro, (ii) conservent un caryotype présentant tous les chromosomes qui caractérisent normalement l’espèce de primate concernée et que la mise en culture pendant plus d’un an ne modifie pas de manière perceptible, (iii) conservent pendant toute la mise en culture leur potentiel de différenciation en dérivés des tissus de l’endoderme, du mésoderme et de l’ectoderme et (iv) dont la différenciation est inhibée en cas de culture sur une couche nourricière de fibroblastes.”

III. La division d’examen a rejeté la demande en application de l’article 97(1) CBE 1973, au motif que les revendications 1 à 7 ainsi que 9 et 10 ne satisfont pas aux exigences de l’article 53a) CBE 1973 ensemble la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE, étant donné que l’utilisation d’embryons humains comme matériau de départ pour obtenir des cultures de cellules souches embryonnaires humaines était considérée comme indispensable dans la demande telle que déposée. L’emploi d’un embryon humain comme matériau de départ pour fabriquer un produit à usage industriel, à savoir les cultures de cellules souches embryonnaires revendiquées, signifie que l’embryon est utilisé à des fins industrielles au sens de la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE, si bien que cette utilisation est interdite en vertu de ladite règle ensemble l’article 53a) CBE 1973. Les dispositions combinées de la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE et de l’article 53a) CBE 1973 ne s’appliquent pas exclusivement à l’objet revendiqué, mais portent au contraire sur les inventions en général et englobent ainsi tous les aspects qui rendent accessible au public l’objet revendiqué. La description cite une seule source de cellules de base, à savoir un embryon préimplantatoire. Il est donc indifférent que l’objet revendiqué porte sur des cultures de cellules et non pas sur une méthode d’obtention de telles cultures.

IV. La chambre de recours 3.3.08 a estimé que la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines et des conditions applicables en la matière représente une question de droit d’importance fondamentale au sens de l’article 112(1)a) CBE, qui nécessite une décision de la Grande Chambre de recours.

V. La Grande Chambre de recours a demandé à la Présidente de l’Office européen des brevets (ci-après “l’OEB”) d’exprimer son avis, et a également invité les tiers à présenter leurs observations. Le 20 mars 2008, la Grande Chambre de recours a envoyé une citation à la procédure orale accompagnée d’une notification attirant l’attention sur des questions de droit qui semblaient être potentiellement importantes.

VI. Les principaux arguments présentés par le requérant dans ses conclusions écrites du 31 octobre 2006 et du 22 mai 2008, et lors de la procédure orale qui a eu lieu le 24 juin 2008, peuvent être résumés comme suit :

Introduction :

– En 1998, l’inventeur désigné a été le premier à isoler et cultiver des cellules souches embryonnaires humaines pouvant se développer in vitro, et ce en utilisant les méthodes proposées dans la demande. Il s’agissait là d’un progrès scientifique majeur et d’une invention novatrice inaugurant un domaine de recherche nouveau et passionnant, doté d’un vaste potentiel d’applications et de traitements médicaux prometteurs, et digne de protection par brevet.

Saisine de la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après CJCE)

– Etant donné que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE reprend la formulation de l’article 6(2)c) de la directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 (ci-après “la Directive”), la Grande Chambre de recours, en interprétant la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE, interprète le droit de l’Union européenne (ci-après “l’UE”) et, en tant que juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel, elle est tenue par l’article 234 de la version consolidée du traité instituant la Communauté européenne en vigueur depuis le 1er février 2003 en vertu du traité de Nice signé le 26 février 2001 (ci-après “Traité CE”) de saisir la CJCE, dans la mesure où l’interprétation de l’article 6(2)c) de la Directive prête à doute en l’espèce, c’est-à-dire que cet article n’est pas un “acte clair”.

– La Grande Chambre de recours est une juridiction au sens où l’entend la CJCE, et l’affaire CJE C-337/95 (“Dior contre Evora”) est un précédent où une décision de la Cour est demandée par une juridiction créée dans le cadre d’un traité international et compétente pour plus d’un Etat membre de l’UE. En outre, la grande majorité des Etats parties à la CBE sont des Etats membres de l’UE, et la Grande Chambre de recours a son siège dans un Etat membre de l’UE.

– Si une décision de la CJCE n’est pas demandée dès à présent, les juridictions nationales risquent d’appliquer (et d’être tenues d’appliquer) ultérieurement une interprétation de l’article 6 de la Directive en désaccord avec celle de l’OEB.

Question 1 :

– La règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE s’applique aux demandes de brevet européen en instance qui ont été déposées avant son entrée en vigueur. Elle ne modifie pas le droit ni ne rend contraire aux bonnes moeurs ce qui ne l’était pas auparavant et elle ne cherche pas à définir de nouvelles catégories d’actes contraires à l’ordre public.

Questions 2 et 3 :

– L’interdiction de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE doit être interprétée dans le contexte de l’article 53a) CBE et de l’article 27(2) de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après dénommé “l’Accord sur les ADPIC”) comme n’étant applicable que si l’exploitation commerciale de l’invention est contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. L’exploitation interdite doit porter atteinte aux principes juridiques de tous les Etats contractants.

– L’approche correcte concernant la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE consiste à déterminer le monopole revendiqué et à se demander s’il englobe “l’utilisation d’un embryon à des fins industrielles ou commerciales”. Une revendication portant sur une cellule souche embryonnaire n’est pas un monopole “d’utilisation d’un embryon” et encore moins un monopole “d’utilisation d’un embryon à des fins industrielles ou commerciales”. Tout au plus une cellule souche embryonnaire est-elle un produit dérivé d’un embryon. En l’absence de tradition constitutionnelle commune aux Etats membres qui interdirait d’utiliser un embryon de moins de 14 jours dans la recherche sur les cellules souches (laquelle n’est pas en elle-même contraire auxdites valeurs communautaires ou interdite par un traité international), il n’y a aucune raison d’interdire de breveter une utilisation, telle que celle proposée dans la demande, qui consiste à extraire des cellules d’un pré-embryon (c’est-à-dire, si l’on s’en tient à l’usage médical, d’un embryon âgé de moins de 14 jours). L’obtention d’une cellule à partir de la masse cellulaire interne d’un embryon afin de créer une lignée de cellules souches qui permettra de mettre au point des traitements de pointe n’est en réalité pas un acte industriel ou commercial.

– Si elle avait été censée exclure des actes ne relevant pas du monopole revendiqué, mais susceptibles d’intervenir dans les préparatifs en vue de réaliser une invention, la Directive aurait pu et dû être formulée différemment. Si son intention avait notamment été d’exclure de la brevetabilité les produits dérivés d’embryons humains, elle l’aurait indiqué de façon explicite. Ainsi, certaines utilisations des embryons, par exemple dans les brevets portant sur des traitements de pointe et ne tendant pas directement à des fins industrielles ou commerciales, ne doivent pas être exclues de la brevetabilité. Cette interprétation de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est compatible avec l’objectif poursuivi par la Directive, à savoir empêcher la commercialisation des embryons proprement dits, par opposition aux tissus ou cellules dérivés d’embryons.

– La question de la brevetabilité des procédés portant sur des embryons a été posée pour la première fois dans l’avis nº 9 du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne (GCEB) dans un rapport du 28 mai 1997. Dans ce rapport, le GCEB exprimait ses inquiétudes vis-à-vis du clonage humain, mais n’était nullement désireux de faire obstacle à la recherche dans le domaine des cellules souches à des fins thérapeutiques. A la lumière de cet avis, il a été proposé d’interdire de breveter les “méthodes dans le cadre desquelles des embryons humains sont utilisés”. Le Conseil des ministres a reformulé cette disposition de telle manière qu’elle exclut désormais de la brevetabilité “les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales”. Cette modification a été influencée par les arguments avancés par le gouvernement du Royaume-Uni eu égard à une disposition législative britannique qui prévoit l’octroi de licences relatives à l’utilisation d’embryons âgés de moins de 14 jours à des fins de recherche ou de traitement médical. A la lumière de la position britannique, les termes “utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales” utilisés dans la Directive visent à établir une distinction entre les utilisations acceptables et les utilisations inacceptables. Le fait que des négociations ont eu lieu au plus haut niveau au sein de l’UE signifie que les termes “industrielles ou commerciales” employés à l’article 6(2)c) de la Directive n’ont pas été utilisés à seule fin de désigner la condition d’applicabilité industrielle à laquelle tout brevet doit satisfaire.

Question 4 :

– Il est sans importance que des progrès techniques intervenus après la date de la demande aient pu permettre de réaliser l’objet revendiqué par le truchement d’une méthode n’impliquant pas l’utilisation d’embryons. L’utilisation d’embryons dans la présente espèce échappe de toute façon à l’interdiction de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE.

VII. Les principaux arguments développés au nom de la Présidente de l’Office européen des brevets, par écrit et lors de la procédure orale, peuvent être résumés comme suit :

Saisine de la CJCE :

– Les chambres de recours de l’OEB ne sont pas des juridictions d’un Etat membre de l’UE et la CBE ne leur confère pas compétence pour saisir la CJCE.

Question 1 :

– La règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE a un effet immédiat et s’applique aux demandes de brevet européen déposées avant son entrée en vigueur. Le principe de la confiance légitime et/ou des droits acquis ne peut être interprété en ce sens que cette règle n’est pas applicable aux effets futurs découlant de situations nées sous l’empire de règles antérieures.

Question 2 :

– La “ratio legis” de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est d’interdire l’utilisation abusive ou à des fins mercantiles des embryons.

– La question qui se pose en rapport avec l’interdiction de délivrer des brevets insérée dans la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est de savoir si la contribution technique à l’état de la technique, qui doit être déterminée à partir de la divulgation y relative, revient à utiliser des embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. La catégorie de revendication ne revêt en soi aucune importance. Par conséquent, quand l’homme du métier désireux de mettre en oeuvre ou de reproduire l’invention ne peut y parvenir qu’en suivant les étapes des méthodes ou moyens techniques particuliers divulgués dans la demande et faisant partie intégrante de la contribution technique à l’état de la technique, ces méthodes ou moyens techniques doivent être pris en considération aux fins d’application de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE.

– L’exception à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE citée au considérant 42 de la Directive s’applique en tout état de cause lorsqu’il peut être établi que l’invention dont il s’agit poursuit un but thérapeutique ou de diagnostic pour l’embryon utilisé. L’utilité pour l’embryon suppose que l’embryon utilisé existe encore et ne soit pas irréversiblement détruit.

– C’est à dessein que le législateur a utilisé le mot “embryon” sans lui donner une définition précise. Cela signifie que ce terme ne doit en aucune façon être interprété stricto sensu.

Question 3 :

– Dans les cas où la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est applicable, le législateur a défini une notion authentiquement européenne de l’ordre public et des bonnes moeurs, sur le fond et dans le temps, qui relève de l’article 53a) CBE, lequel s’impose aux services concernés de l’OEB.

VIII. De nombreuses observations ont été produites par des tiers, certaines ayant été apportées sous forme identique par des centaines de personnes différentes. Les arguments suivants ont notamment été présentés :

Question 1 :

– La grande majorité a estimé que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE s’applique aussi aux demandes en instance à la date de son entrée en vigueur. Certains ont toutefois exprimé l’avis qu’il s’agit d’une modification de la loi, qui ne doit s’appliquer qu’aux demandes déposées après son entrée en vigueur.

Question 2 :

Arguments en faveur de la brevetabilité :

– la délivrance d’un brevet ne doit pas être interdite dès lors que les revendications ne mentionnent pas l’utilisation d’un embryon humain ;

– compte tenu des bienfaits potentiels pour l’humanité, la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE doit être interprétée de façon restrictive afin qu’un brevet puisse être délivré dans un tel cas.

Arguments contre la brevetabilité :

– il est sans importance que la revendication ne mentionne pas explicitement l’utilisation d’un embryon humain : si l’utilisation d’embryons humains est indispensable pour mettre en oeuvre une invention revendiquée, la revendication tombe sous le coup de l’interdiction, faute de quoi cette dernière serait facile à contourner ;

– le législateur avait clairement l’intention d’empêcher la commercialisation des embryons. Tant l’intention claire du législateur que les considérations générales d’ordre moral et éthique s’opposent à ce que soit brevetée toute utilisation d’embryons qui conduirait à leur exploitation commerciale.

IX. La procédure orale s’est déroulée le 24 juin 2008. Les mandataires du requérant ont demandé qu’il soit répondu

par l’affirmation à la question 1 de la saisine,

par la négative à la question 2 de la saisine,

par la négative à la question 3 de la saisine,

par la négative à la question 4 de la saisine.

Il a également été demandé à la Grande Chambre de recours de soumettre les questions suivantes à la CJCE :

1. L’article 6(2)c) de la directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 autorise-t-il un Etat membre à interdire la délivrance d’un brevet lorsque les revendications portent sur des produits (en l’espèce : des cultures de cellules souches embryonnaires humaines) qui – tels que décrits dans la demande – ne pouvaient être obtenus, à la date du dépôt, qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, si ladite méthode ne faisait pas partie des revendications ?

2. S’il est répondu par la négative à la question 1, l’article 6(1) de la Directive signifie-t-il qu’un Etat membre a le droit d’interdire la délivrance d’un brevet sur la base de telles revendications ?

X. Au terme de la procédure orale, le président a clos les débats et annoncé que la décision serait rendue par écrit.

Motifs de la décision

Recevabilité

1. La Grande Chambre de recours est convaincue qu’il doit être répondu au moins aux questions 1 et 2 pour que la chambre qui lui a soumis les questions puisse statuer sur le recours en se fondant sur une base juridique correcte. La saisine est donc recevable.

Saisine de la CJCE en vue d’une décision préjudicielle

2. Le requérant demande la saisine de la CJCE au motif que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE reprend le libellé de l’article 6(2)c) de la Directive et que la Grande Chambre de recours, en interprétant la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE, interprète le droit de l’Union européenne, si bien qu’elle est tenue de saisir la CJCE sur ce point. Aussi est-il nécessaire de traiter cette question à titre préliminaire.

3. Ni la CBE ni son règlement d’exécution ne prévoient qu’une quelconque instance de l’OEB soumette des questions de droit à la CJCE. Les chambres de recours sont nées de la CBE et leurs pouvoirs se limitent à ceux que leur confère la CBE. De prime abord, force est de conclure que dès lors qu’elle n’est pas prévue, une telle saisine n’est pas possible.

4. Quant à l’article 234 du Traité CE, qui confère à la CJCE compétence pour statuer à titre préjudiciel sur, entre autres, la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’UE, tels que la Directive, il n’apparaît pas non plus que les chambres de recours de l’OEB puissent s’en prévaloir pour demander à la CJCE de se prononcer sur des questions sur lesquelles elles sont appelées à statuer. L’article 234 du Traité CE exige que la question soit soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction d’un des Etats membres de l’UE. Même si les chambres de recours de l’OEB ont été reconnues comme étant des juridictions, elles ne sont pas des juridictions d’un Etat membre de l’UE, mais d’une organisation internationale dont les Etats contractants ne sont pas tous membres de l’UE.

5. Le Conseil d’administration de l’OEB, en sa qualité de législateur responsable du règlement d’exécution de la CBE, a jugé nécessaire d’introduire les règles 26 à 29 (anciennes règles 23ter à 23sexies) CBE pour harmoniser la CBE avec la Directive. Tous les Etats parties à la CBE, y compris ceux qui ne sont pas membres de l’UE, ont exprimé par là leur volonté d’appliquer ces règles pour interpréter la CBE lorsqu’il s’agit de déterminer si un brevet européen doit être délivré ou non. Cela ne signifie pour autant pas que les chambres de recours se voient ainsi attribuer une nouvelle compétence ou soient tenues de demander à la CJCE d’interpréter la CBE ou son règlement d’exécution. Et on ne saurait assurément présumer que les Etats parties à la CBE qui ne sont pas membres de l’UE aient transféré à la CJCE compétence pour statuer

6. Le simple fait que la formulation de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE soit identique à celle de l’article 6(2)c) de la Directive ne permet pas de conclure que la CJCE a désormais compétence pour statuer dans les matières relevant de la compétence de l’OEB au titre de la CBE. Les chambres de recours appliquent cette disposition parce qu’elle a force de loi en vertu d’une règle du règlement d’exécution de la CBE, et non pas parce que la Directive est une source de droit directement applicable. Ceci est confirmé par le fait que la règle 26(1) (anciennement 23ter (1)) CBE prévoit seulement que la Directive constitue un moyen complémentaire d’interprétation des règles 26 à 29 (anciennement 23ter à 23sexies) CBE.

7. L’article 23(3) CBE dispose que dans leurs décisions, les membres des chambres de recours ne sont liés par aucune instruction et ne doivent se conformer qu’aux seules dispositions de la présente convention. La Grande Chambre conclut de l’article 23(3) CBE, en l’état de sa rédaction actuelle, que ni la Grande Chambre ni les autres chambres de recours de l’OEB ne peuvent se contraindre à suivre une décision de la CJCE relative à l’interprétation de l’article 6(2)c) de la Directive pour l’appliquer à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE.

8. La Grande Chambre n’a connaissance d’aucun précédent d’un avis consultatif demandé à la CJCE, et il n’est pas certain que celle-ci accéderait à une telle requête dans un cas où l’on ne saurait pas qui serait habilité à produire des moyens devant la CJCE au sujet des questions dont elle serait saisie.

9. Le requérant fait valoir que l’affaire C-337/95 (“Dior contre Evora”) constitue un précédent sur le quel la Grande Chambre peut se fonder pour saisir la CJCE, au motif que la Cour de justice du Benelux est autorisée à saisir la CJCE en rapport à des questions qui lui sont soumises par les instances suprêmes de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. Un examen plus détaillé montre que cette affaire ne saurait constituer un précédent valable. Si la Grande Chambre pouvait saisir la CJCE en vertu de l’article 234 du Traité CE, les autres chambres de recours de l’OEB devraient aussi en avoir la possibilité, étant donné que leurs décisions ne sont pas non plus susceptibles de recours et que les chambres ne sont pas obligées de saisir la Grande Chambre. Les chambres de recours ne sont pas dans une situation comparable à celle des instances suprêmes de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg, lesquelles sont manifestement des juridictions nationales d’Etats membres de l’UE et sont habilitées à saisir la CJCE. Dans l’affaire Dior contre Evora, la saisine émanait du Hoge Raad der Nederlanden. Parti de la prémisse qu’il pouvait, tout comme la Cour Benelux, saisir la CJCE, le Hoge Raad voulait cependant savoir s’il était tenu de le faire lui-même ou s’il pouvait en laisser le soin à la Cour Benelux, en tant que juridiction suprême pour les questions régies par le Traité Benelux. Ce dernier est en outre un traité spécial créé en tant que traité régional avec l’autorisation des autorités de la Communauté européenne. La Cour Benelux est composée de trois juges en provenance de chacune des cours suprêmes de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. Il faut être juge national pour y siéger. S’agissant des questions pour lesquelles elle est compétente en vertu du Traité Benelux, la Cour Benelux peut donc être considérée comme la plus haute juridiction nationale dans chacun de ces trois Etats de l’UE. Cette situation contraste avec les chambres de recours, dont certains membres – et même la totalité d’entre eux – peuvent très bien être des ressortissants de pays qui ne sont pas membres de l’UE. La Grande Chambre de recours ne parvient à dégager de l’affaire Dior contre Evora aucun élément laissant à penser que la CJCE considérerait que le droit de saisine de la CJCE fût ouvert aux chambres de recours de l’OEB en vertu de l’article 234 du Traité CE.

10. Le fait que les chambres de recours de l’OEB aient leur siège en Allemagne, Etat membre de l’UE, ne saurait remettre en cause leur statut d’institution faisant partie intégrante d’une organisation internationale et dont les compétences sont ancrées dans la CBE. Les chambres de recours de l’OEB ne sont pas et n’ont jamais été assimilées à des juridictions nationales de leur pays d’accueil.

11. Pour les raisons précitées, la Grande Chambre conclut qu’elle n’a pas compétence en vertu des dispositions existantes de la CBE pour saisir la CJCE aux fins de décision préjudicielle. La requête en saisine de la CJCE aux fins de décision préjudicielle doit donc être rejetée comme irrecevable.

Question 1 : la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE s’applique-t-elle à une demande déposée avant l’entrée en vigueur de ladite règle ?

12. Par décision en date du 16 juin 1999, le Conseil d’administration de l’OEB a inséré, dans la deuxième partie du règlement d’exécution de la CBE, un nouveau chapitre VI (désormais chapitre V) intitulé “Inventions biotechnologiques”. Entrées en vigueur le 1er septembre 1999, ces nouvelles dispositions ont transposé dans le droit européen des brevets la Directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. La règle 26(1) (anciennement 23ter (1)) CBE prévoit explicitement que les dispositions pertinentes de la Convention doivent être appliquées aux demandes de brevet européen et aux brevets européens portant sur des inventions biotechnologiques conformément aux prescriptions de ce nouveau chapitre, et que la Directive constitue un moyen complémentaire d’interprétation. Il n’a pas été arrêté de dispositions transitoires pour les affaires en instance. La règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE intitulée “Exceptions à la brevetabilité” se réfère explicitement à l’article 53a) CBE.

13. L’insertion de ce nouveau chapitre sans dispositions transitoires peut uniquement être interprétée en ce sens que ces instructions détaillées sur ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas devaient être appliquées dans leur intégralité à toutes les demandes en instance. Il n’a pas été allégué que la règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE ou la Directive empêchait désormais de breveter ce qui était naguère considéré comme brevetable en vertu de l’article 53a) CBE (cf. à cet égard l’article 6(1) qui reprend le contenu de l’article 53a) CBE, ainsi que l’article 1(2) qui fait référence à l’accord sur les ADPIC). Dès 1984 (cf. Dolder, Mitteilungen der Deutschen Patentanwälte, 1984, 1 “Barriers to patentability of biotechnological inventions under the EPC”), l’instrumentalisation du corps humain (par opposition à des parties seulement de celui-ci) entraînant sa dégradation au rang d’objet technique était considérée comme un obstacle à la brevetabilité. Rien n’indique que l’exploitation commerciale des embryons humains ait jamais été considérée comme brevetable.

14. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre comme suit à la question 1, à savoir que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE s’applique à toutes les demandes en instance, y compris celles qui ont été déposées avant son entrée en vigueur. Le requérant étant d’accord avec cette réponse, au même titre que la Présidente de l’OEB et la grande majorité des tiers ayant présenté des observations, il n’apparaît pas nécessaire de développer plus avant cette question.

Question 2 : s’il est répondu par l’affirmative à la question 1, la règle 23quinquies c) [désormais 28c)] CBE interdit-elle de délivrer des brevets sur la base de revendications portant sur des produits (en l’espèce : des cultures de cellules souches embryonnaires humaines) qui – comme indiqué dans la demande – ne pouvaient être obtenus à la date de dépôt qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, si ladite méthode ne fait pas partie des revendications ?

15. La présente invention a entre autres pour objet des cultures de cellules souches embryonnaires humaines qui, à la date de dépôt, ne pouvaient être obtenues que par une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains dont elles étaient dérivées et ne faisant pas partie des revendications. La règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE dispose notamment ce qui suit : “Conformément à l’article 53 a), les brevets européens ne sont pas délivrés notamment pour les inventions biotechnologiques qui ont pour objet … c) des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales”. La question est donc de savoir si la présente invention tombe sous le coup de cette interdiction.

16. Les travaux préparatoires relatifs à l’introduction des règles 26 à 29 (anciennement 23ter à 23sexies) CBE montrent que son but était d’aligner la CBE sur la Directive. Cela découle du Communiqué en date du 1er juillet 1999 relatif à la modification du règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen (JO 1999, 575) et du fait qu’en vertu de la règle 26(1) (anciennement 23ter (1)) CBE, la Directive constitue un moyen complémentaire d’interprétation. Par conséquent, la Grande Chambre de recours se doit de procéder à l’interprétation de l’article 6(2) de la Directive, lequel correspond à la règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE. Eu égard à la référence précitée qui figure à la règle 26(1) CBE et dans le droit fil de la jurisprudence constante (cf. p. ex. G 5/83, JO OEB 1985, 64, G 1/84, JO 1985, 299, J 16/96, JO 1998, 347), la Grande Chambre de recours appliquera les règles générales énoncées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, encore que la Directive ne soit pas un traité. Elle examinera donc le sens ordinaire à attribuer aux termes d’une disposition dans son contexte et à la lumière de son objet et de son but, en incluant les documents préparatoires.

17. Les premières versions de la Directive ne renfermaient aucune interdiction spécifique en matière d’utilisation d’embryons. Dans l’avis du Comité économique et social du Parlement européen adopté le 11 juillet 1996 (Journal officiel des CE du 7 octobre 1996, pages C 295/11-18), il était proposé d’exclure spécifiquement l’embryon humain de la brevetabilité (point 4.3.2) et d’afficher l’opposition totale du comité à des pratiques qui viseraient à des utilisations détournées de l’embryon humain (cf. point 4.7.2). Dans la proposition modifiée de directive présentée par la Commission en 1997 (Journal officiel des CE du 11 octobre 1997, pages C 311/12-30), l’article 6 s’énonce comme suit :

Article 6

1. Les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs sont exclues de la brevetabilité, l’exploitation ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu’elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire.

2. Au titre du paragraphe 1, ne sont notamment pas brevetables :

a) …

b) …

c) les méthodes dans le cadre desquelles des embryons humains sont utilisés ;

d) …

Enfin, dans la position commune (CE) nº 19/98 arrêtée par le Conseil le 26 février 1998 (Journal officiel des CE du 8 avril 1998 C110/17), le libellé de l’article 6(2)c) a été remplacé par la formulation suivante : “les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales”, formulation que l’on retrouve à l’article 6(2)c) de la version finale de la Directive arrêtée le 6 juillet 1998.

18. De prime abord, la disposition de l’article 6(2)c) de la Directive, et par conséquent celle de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE, est simple et elle interdit de breveter une invention lorsqu’un embryon humain est utilisé à des fins industrielles ou commerciales. Cette interprétation non seulement reflète le souci du législateur d’empêcher que l’embryon humain ne soit détourné à des fins mercantiles (cf. décision du Tribunal fédéral des brevets (BPatG) du 5 décembre 2006, réf. 3 Ni 42/04, point IV 2.2 et suivants), mais elle est également conforme à un des objectifs principaux de la Directive, qui est de protéger la dignité humaine. La politique sélective de l’UE en matière de financement de la recherche dans le domaine des cellules souches témoigne également de cette préoccupation. De l’avis du requérant, le fait que l’UE finance ce genre de recherche établit que le législateur ne voulait pas exclure les activités du type de celles à la base de la présente invention, lesquelles impliquent l’utilisation (destructive) d’embryons humains. Toutefois, le communiqué de presse du Conseil 11554/06 (Presse 215) du 24 juillet 2006 énonce à sa page 7, au sujet de la recherche communautaire, que “la Commission a confirmé qu’elle maintiendra la pratique actuelle et ne soumettra pas au comité de réglementation les propositions de projets comprenant des activités de recherche qui détruisent les embryons humains, y compris aux fins du prélèvement de cellules souches. L’exclusion de cette étape de la recherche n’empêchera pas la Communauté de financer des étapes ultérieures impliquant des cellules souches embryonnaires humaines”. Cette sélectivité du financement ne plaide nullement en faveur des arguments du requérant.

19. Le requérant a soutenu plusieurs arguments pour contester l’application de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE à l’invention dans la présente espèce. Il a tout d’abord fait valoir que le terme “embryon” doit être compris dans un sens bien précis, à savoir celui d’embryons de 14 jours ou plus, conformément à l’usage médical.

20. Ni le législateur de l’UE ni celui de la CBE n’ont jugé bon de définir le terme “embryon” utilisé dans la Directive ou à la règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE. Il en va tout différemment dans la loi allemande (article 8 de la loi sur la protection des embryons du 13 décembre 1990), où l’embryon est défini comme incluant un oeuf fécondé, ou dans la loi britannique (article 1(1) de la loi sur la fécondation humaine et l’embryologie de 1990), où l’embryon comprend un zygote bicellulaire et un oeuf en voie de fécondation. Les législateurs de l’UE et de la CBE, qui connaissaient vraisemblablement les définitions employées dans les lois nationales régissant l’utilisation des embryons, ont néanmoins choisi de ne pas définir ce terme. L’objectif exprimé étant de protéger la dignité humaine et d’empêcher la commercialisation des embryons, la Grande Chambre doit supposer, d’une part, que le terme “embryon” ne doit pas être compris dans un sens restrictif à la règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE, car une telle interprétation mettrait à mal l’intention du législateur, et d’autre part que la définition de la qualité d’embryon est une question de fait dans le contexte d’une demande de brevet donnée.

21. Deuxièmement, le requérant fait valoir que l’interdiction de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE ne joue que si l’utilisation d’embryons humains est revendiquée.

22. Toutefois, à l’instar de la disposition correspondante de la Directive, cette règle ne se réfère pas aux “revendications”, mais à une “invention” dans le contexte de son exploitation. Il convient d’examiner non seulement le libellé explicite des revendications, mais également l’enseignement technique de la demande dans son ensemble eu égard à la manière de mettre en oeuvre l’invention. Avant d’utiliser les cultures de cellules souches embryonnaires humaines, il faut les produire. Dans l’affaire soumise à la Grande Chambre, le seul enseignement relatif à la manière de mettre en oeuvre l’invention en vue d’obtenir des cultures de cellules souches embryonnaires humaines est l’utilisation (impliquant leur destruction préalable) d’embryons humains. Aussi l’invention tombe-t-elle sous le coup de l’interdiction prévue à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE (à titre de comparaison, voir la décision du Tribunal fédéral des brevets du 5 décembre 2006, loc. cit., points IV 2.1 à 2.3). Restreindre l’application de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE à ce que le demandeur choisit explicitement de mentionner dans sa revendication aurait comme fâcheuse conséquence de permettre au demandeur d’éluder simplement l’exclusion de la brevetabilité en rédigeant habilement et judicieusement une telle revendication.

23. Dans une affaire telle qu’en la présente espèce, où l’enseignement sur la manière d’obtenir les cellules souches embryonnaires humaines se limite à l’utilisation (impliquant leur destruction préalable) d’embryons humains, l’argument avancé par le demandeur, selon lequel l’exclusion de la brevetabilité irait beaucoup trop loin s’il fallait considérer toutes les étapes précédant une invention aux fins de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE, est dépourvu de pertinence.

24. Le requérant fait valoir par ailleurs que l’utilisation d’embryons humains pour obtenir les cultures de cellules souches embryonnaires humaines revendiquées n’est pas une utilisation “à des fins industrielles ou commerciales” au sens de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE, mais une autre forme d’utilisation que cette règle n’interdit pas.

25. Tout produit nouveau et inventif revendiqué doit d’abord être obtenu avant d’être utilisé. C’est la façon habituelle d’exploiter commercialement l’invention revendiquée, et une telle obtention relève du monopole conféré par le brevet puisque le titulaire d’une demande de brevet qui comporte une revendication portant sur ce produit se voit octroyer, à la délivrance du brevet, le droit d’interdire à autrui de fabriquer ou d’utiliser son produit. L’obtention du produit revendiqué constitue une exploitation commerciale ou industrielle de l’invention même s’il est envisagé d’utiliser le produit dans de nouvelles recherches. Sur la base des faits que la présente Chambre doit tenir pour établis dans sa réponse à la question 2 qui lui est soumise, l’obtention du produit revendiqué implique la destruction d’embryons humains. Cette utilisation nécessitant une telle destruction est dès lors une partie intégrante et essentielle de l’exploitation industrielle ou commerciale de l’invention revendiquée, et en tant que telle, est contraire à l’interdiction de la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE.

26. Eu égard à l’expression “à des fins industrielles ou commerciales” employée à la règle 28 (anciennement 23quinquies) CBE et à l’article 6(2)c) de la Directive, le requérant s’est également référé à la genèse de la Directive. Il a fait valoir que le remplacement des termes “méthodes dans le cadre desquelles des embryons humains sont utilisés” par “utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales” revenait à restreindre la portée de la disposition et à en exclure les inventions telles que celle de la présente espèce.

27. La présente Chambre, cependant, ne décèle nullement une telle restriction. Le motif énoncé au point 37 de la Position commune pour expliquer cette modification est qu’il fallait faire la distinction entre les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles et commerciales, exclues de la brevetabilité, et les inventions à but thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles, lesquelles ne sont pas frappées par cette exclusion. Un nouveau considérant 42 a été inséré dans la Directive afin de clarifier cette dérogation à l’exception. Par conséquent, ces motifs corroborent même l’avis de la Grande Chambre, à savoir que dans la présente espèce, les embryons humains sont utilisés à des fins industrielles ou commerciales, l’invention ne pouvant être considérée comme brevetable que si elle profite à l’embryon (cf. également la décision du Tribunal fédéral des brevets du 5 décembre 2006, loc. cit., point IV 3). Il est évident que ce n’est pas le cas ici puisque les embryons utilisés pour mettre en oeuvre l’invention sont détruits.

28. En ce qui concerne la relation entre la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE et l’article 53a) CBE, le requérant affirme que si cette règle était interprétée comme excluant les inventions du type de celle revendiquée en l’espèce, elle irait au-delà de l’article 53a) CBE et serait donc ultra vires (article 164(2) CBE). Elle serait également contraire à l’article 27 de l’Accord sur les ADPIC, lequel n’autorise en la matière d’exception à la brevetabilité que dans le champ d’application de l’article 53a) CBE.

29. La Grande Chambre de recours ne partage pas l’avis selon lequel une telle interprétation implique que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est ultra vires. L’article 53a) CBE exclut de la brevetabilité les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Aux points 25 à 27, la Chambre a expliqué pourquoi elle estimait que la réalisation de la présente invention constituait une exploitation commerciale. Dans ce contexte, il importe de souligner que ce n’est pas la délivrance du brevet qui est jugée contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, mais bien la réalisation de l’invention, qui comporte une étape contraire à ces principes en tant qu’elle suppose la destruction d’un embryon humain.

30. Il échet de relever que le libellé actuel de l’article 53a) CBE est légèrement différent de ce qu’il était dans la CBE 1973. Il s’énonce désormais comme suit (par rapport à la CBE 1973, les parties ajoutées sont en italique et les parties supprimées sont barrées) : “les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, la mise en oeuvre d’une invention ne pouvant être considérée comme telle une telle contradiction ne pouvant être déduite du seul fait qu’elle que l’exploitation est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans l’un ou plusieurs d’entre eux, par une disposition légale ou réglementaire”. Les changements n’ont aucune incidence sur les questions traitées dans la présente décision.

31. Pour les motifs exposés ci-dessus, la Grande Chambre de recours conclut que les deux législateurs (du règlement d’exécution de la CBE et de la Directive) entendaient exclure de la brevetabilité les inventions du type de celle qui est à la base de la présente saisine, et que ce faisant, ils sont restés dans le champ d’application de l’article 53a) CBE et de l’Accord sur les ADPIC. Par conséquent, il n’est ni nécessaire ni opportun de discuter plus avant des arguments et avis émis dans la présente procédure, concernant par exemple les questions de savoir si la norme en matière d’ordre public ou de bonnes moeurs doit être une norme européenne, s’il importe de savoir que certains pays européens autorisent la recherche entraînant la destruction d’embryons humains afin d’obtenir des cellules souches, si les bienfaits que l’humanité retire de l’invention doivent être mis en balance avec le préjudice subi par l’embryon, ou à quel moment précis il y a lieu d’examiner la question de l’ordre public et des bonnes moeurs au titre de l’article 53a) CBE. Les législateurs ont tranché et sont restés ce faisant dans le champ d’application de l’article 53a) CBE, ne laissant en cela aucune marge d’interprétation.

Question 3 : s’il est répondu par la négative à la question 1 ou 2, l’article 53a) CBE interdit-il de délivrer des brevets sur la base de telles revendications ?

32. Il n’est pas nécessaire de répondre à la question 3. En effet, la Grande Chambre estime que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est applicable, qu’elle s’inscrit dans le champ d’application de l’article 53a) CBE et qu’elle interdit de breveter des produits qui, à la date de dépôt, ne pouvaient être obtenus que par une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains dont lesdits produits sont dérivés, de sorte qu’il est répondu par l’affirmative aux questions 1 et 2.

Question 4 : dans le cadre des questions 2 et 3, est-il utile de savoir que les mêmes produits pouvaient être obtenus après la date de dépôt sans devoir recourir à une méthode impliquant nécessairement la destruction d’embryons humains (par exemple, en l’espèce, par dérivation à partir de lignées de cellules embryonnaires humaines disponibles) ?

33. Les avancées techniques qui n’ont été rendues accessibles au public qu’après la date de dépôt ne peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer si une revendication est contraire à la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE. Il n’importe nullement que le demandeur ou d’autres inventeurs mettent postérieurement à disposition un moyen d’obtenir le produit en toute innocuité. A l’instar du cas où une invention est insuffisamment décrite dans la demande telle que déposée pour être mise en ouvre, les progrès techniques ultérieurs ne peuvent remédier à l’absence, dans la demande telle que déposée, d’informations permettant à l’homme du métier de réaliser l’invention en conformité avec la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE. Toute autre conclusion entraînerait une insécurité juridique et risquerait de léser tout tiers qui mettrait au point par la suite un moyen non destructeur de mettre en oeuvre l’invention.

34. Il y a donc lieu de répondre comme suit à la question 4, à savoir qu’il est sans importance que les mêmes produits puissent être obtenus après la date de dépôt sans devoir recourir à une méthode impliquant nécessairement la destruction d’embryons humains.

35. Eu égard aux questions soumises à la Grande Chambre, la présente décision ne concerne pas la brevetabilité en général des inventions portant sur des cellules souches humaines ou sur des cultures de cellules souches humaines. Sont considérées comme non brevetables les inventions portant sur des produits (en l’espèce : des cultures de cellules souches humaines) qui ne peuvent être obtenus qu’au moyen d’une utilisation destructrice d’embryons humains.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La requête en saisine de la Cour de justice européenne pour décision préjudicielle au sujet des questions proposées est rejetée comme étant irrecevable.

2. Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :

Question 1 : la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE s’applique à toutes les demandes en instance, y compris à celles qui ont été déposées avant l’entrée en vigueur de la règle.

Question 2 : la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE interdit de délivrer des brevets sur la base de revendications portant sur des produits qui – comme indiqué dans la demande – ne pouvaient être obtenus, à la date de dépôt, qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, même si ladite méthode ne fait pas partie des revendications.

Question 3 : aucune réponse n’est nécessaire puisqu’il a été répondu par l’affirmative aux questions 1 et 2.

Question 4 : s’agissant de la réponse à la question 2, il est sans importance que les mêmes produits puissent être obtenus après la date de dépôt sans devoir recourir à une méthode impliquant nécessairement la destruction d’embryons humains.