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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2006:T140905.20060330
Date de la décision : 30 Mars 2006
Numéro de l’affaire : T 1409/05
Décision de la Grande Chambre des recours G 0001/06
Numéro de la demande : 01128824.8
Classe de la CIB : G09G 3/36
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande :
Nom du demandeur : SEIKO EPSON CORPORATION
Nom de l’opposant :
Chambre : 3.4.03
Sommaire : Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :
(1) Dans le cas d’une série de demandes composée d’une demande initiale (d’origine) suivie de demandes divisionnaires, chacune étant issue d’une division de la demande précédente, est-il nécessaire et suffisant, pour qu’une demande divisionnaire faisant partie de cette série satisfasse aux exigences de l’article 76(1), deuxième phrase CBE, que tout élément divulgué dans ladite demande divisionnaire puisse être déduit directement, sans ambiguïté et séparément de ce qui est divulgué dans chacune des demandes précédentes telle que déposée ?
(2) Si la condition ci-dessus n’est pas suffisante, la phrase précitée pose-t-elle comme exigence supplémentaire que
a) l’objet des revendications de cette demande divisionnaire soit emboîté dans l’objet des revendications des demandes divisionnaires précédentes
ou que
b) toutes les demandes divisionnaires précédant la demande divisionnaire en question répondent aux exigences de l’article 76(1) CBE ?
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 76(1)
European Patent Convention 1973 Art 1
European Patent Convention 1973 Art 54(2)
European Patent Convention 1973 Art 54(3)
European Patent Convention 1973 Art 63(1)
European Patent Convention 1973 Art 64(1)
European Patent Convention 1973 Art 80
European Patent Convention 1973 Art 90(1)(a)
European Patent Convention 1973 Art 90(2)
European Patent Convention 1973 Art 96(2)
European Patent Convention 1973 Art 97(1)
European Patent Convention 1973 Art 100(c)
European Patent Convention 1973 Art 111(1)
European Patent Convention 1973 Art 112(1)(a)
European Patent Convention 1973 Art 123(2)
European Patent Convention 1973 R 25(1)
European Patent Convention 1973 R 39
European Patent Convention 1973 R 86(3)
Mot-clé : Conformité avec l’article 76(1) CBE lors d’une série de demandes divisionnaires
Attribution d’une date de dépôt
Contenu de la demande
Saisine de la Grande Chambre de recours
Exergue :

Décisions citées :
G 0004/98
G 0001/05
J 0013/85
J 0011/91
T 0260/85
T 0514/88
T 0441/92
T 0545/92
T 0211/95
T 0276/97
T 0904/97
T 1008/99
T 0555/00
T 1176/00
T 1158/01
T 0643/02
T 0720/02
T 0797/02
T 0039/03
T 0090/03
T 0655/03
T 0873/04
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0001/05
J 0019/13
T 0313/05
T 1409/05
T 0025/09

Exposé des faits et conclusions

I. Il est formé un recours contre le rejet de la demande de brevet européen 01 128 824.8 pour non-conformité avec l’article 76(1) CBE.

II. La présente demande (A3) est la troisième d’une série de demandes divisionnaires (A1, A2, A3), chacune issue d’une division de la demande précédente et provenant d’une demande initiale (d’origine) A0 (89 304 929.6). La demande initiale et la première demande divisionnaire A1 (94 106 661.5) ont donné lieu à la délivrance d’un brevet. La deuxième demande divisionnaire A2 (97 200 954.2) a été rejetée pour non-conformité avec l’article 76(1) CBE, tout comme B2 (97 200 955.9) et C2 (97 200 957.5) qui dérivent de la même demande précédente.

III. La revendication 1 de A3 telle que déposée est la même que la revendication 1 de A2 telle que déposée et s’énonce comme suit :

“1. Dispositif à cristaux liquides destiné à un dispositif électro-optique, le dispositif à cristaux liquides comprenant une pluralité de cellules à cristaux liquides, dans lequel des signaux de données sont fournis aux cellules à cristaux liquides par l’intermédiaire d’une pluralité de transistors à effet de champ, montés dans une pluralité d’éléments d’image (292), le dispositif à cristaux liquides comprenant :

un substrat (71, 86) présentant une zone pixelisée et au moins une zone de commande ;

une pluralité de premières lignes et une pluralité de deuxièmes lignes disposées en matrice dans la zone pixelisée et reliées aux transistors à effet de champ ;

des circuits de commande (21, 12) formés dans la zone de commande, au nombre d’une au minimum, et reliés aux premières lignes ou aux deuxièmes lignes,

des terminaux de sortie des circuits de commande, reliés à la pluralité de premières lignes ou à la pluralité de deuxièmes lignes ; et

au moins un circuit de test de commande (283, 288) comprenant des transistors, les transistors du circuit de test de commande (283, 288), au nombre d’un au minimum, étant couplés à un terminal d’entrée de signal de test (284 ; 289), un terminal de sortie de signal de test (285 ; 290) et aux premières ou deuxièmes lignes,

des signaux de test appliqués au terminal d’entrée de signal de test (284 ; 289) étant fournis au niveau du terminal de sortie de signal de test (285 ; 290) par l’intermédiaire des transistors en fonction du fonctionnement du circuit de commande. “

IV. La revendication 1 de A1 telle que déposée s’énonce comme suit :

“1. Panneau à matrice active comprenant une matrice d’éléments d’image (22), qui est montée sur un substrat transparent (71, 86) et qui comprend une pluralité de lignes de grille (24, 25), une pluralité de lignes de source (26, 27, 28) et une pluralité d’éléments d’image (32, 33), chacun des éléments d’image comprenant un transistor à couches minces (29, 101), le panneau à matrice active comprenant en outre un circuit de commande de ligne de grille (21) et un circuit de commande de ligne de source (12) et étant caractérisé en ce qu’au moins le circuit de commande de ligne de grille ou le circuit de commande de ligne de source comprend une pluralité de transistors à couches minces complémentaires (47 à 56 ; 58, 59 ; 99, 100) disposés sur le substrat transparent et ayant une longueur de grille plus petite que celle des transistors à couches minces de la matrice d’éléments d’image. “

V. Dans la décision de rejet qui fait l’objet du présent recours, la division d’examen a fait observer que la demande A2, qui est elle-même divisionnaire, a été rejetée pour non-conformité avec l’article 76(1) CBE. Se basant sur ce qu’elle considérait comme constituant le ratio decidendi de la décision T 555/00, à savoir que la non-conformité avec l’article 76(1) CBE d’une demande divisionnaire telle que déposée entraîne nécessairement la non-conformité d’une demande divisionnaire de cette demande divisionnaire, la division d’examen a considéré que la présente demande A3 n’était pas conforme aux dispositions de l’article 76(1) CBE. De surcroît, étant donné que l’objet revendiqué était identique à celui de la demande A2 telle que déposée, les motifs du rejet de A2 (cf. VI ci-dessous) s’appliquaient par analogie en ce qui concerne l’exposé de A1.

VI. Les motifs du rejet de A2, qui est la demande précédant la présente demande A3, étaient pour l’essentiel les suivants :

La demande A1, dont sont issues A2, B2 et C2, définit, dans la revendication 1 ainsi que dans l'”exposé de l’invention”, un panneau à matrice active comprenant des transistors à couches minces (TFT), dans lequel les TFT des circuits de commande de ligne de grille ou de source sont complémentaires et ont une longueur de grille plus petite que celle des TFT de la matrice d’éléments d’image (cf. A1 telle que publiée, page 3, lignes 46 à 52). L’homme du métier déduirait donc de la description de A1 telle que déposée que ces caractéristiques sont essentielles à (l’exposé de) l’invention. Etant donné que la revendication 1 de A2 ne comprend pas toutes ces caractéristiques, son objet ne peut pas être déduit directement et sans ambiguïté de A1 telle que déposée.

Les caractéristiques précitées sont considérées comme essentielles (pour l’exposé) puisqu’elles sont comprises dans l’exposé de l’invention de A1. Etant donné que cet exposé est différent de l’exposé correspondant de la demande A2 telle que déposée, l’ensemble des informations contenues dans ces demandes est différent.

Les motifs du rejet de B2 et C2 étaient, pour l’essentiel, les mêmes que pour A2.

VII. Il n’a pas été formé de recours contre le rejet de A2. Les rejets de B2 et C2 ont fait l’objet de recours que la chambre de recours technique 3.4.02 a rejetés, respectivement dans les décisions T 797/02 et T 720/02, pour des motifs identiques qui pour l’essentiel étaient les suivants :

a) B2 et C2 sont des demandes divisionnaires d’une demande divisionnaire (A1). L’essentiel du contenu de A1 a été déterminé par l’invention ou le groupe d’inventions définie(s) dans ses revendications. Pour satisfaire aux exigences de l’article 76(1) CBE, toute demande divisionnaire ultérieure, B2 et C2 dans la présente espèce, doit porter sur des objets couverts par cette invention ou ce groupe d’inventions (point 2.2 des motifs).

b) Si l’on permettait qu’un objet de la demande initiale A0, qui a été repris dans la description de la première demande divisionnaire A1 mais qui n’était pas couvert par l’invention effectivement issue d’une division de la demande initiale, fasse à nouveau l’objet d’une division ultérieure à partir de la première demande divisionnaire, les demandeurs se verraient accorder le droit, par le dépôt d’une série de demandes divisionnaires, chacune issue d’une division de la demande précédente, de laisser le public dans une totale incertitude, pendant la plus grande partie de la vie d’un brevet, quant à l’étendue de l’objet de la demande initiale pouvant encore être revendiqué. Cela permettrait, le cas échéant, aux demandeurs d’abuser de la possibilité qu’offre la CBE de déposer des demandes divisionnaires (point 2.2 des motifs).

VIII. Le demandeur requérant demande que la décision faisant l’objet du recours soit annulée et qu’un brevet soit délivré sur la base de la demande telle que déposée.

IX. Les arguments présentés par le requérant à l’appui de ses requêtes peuvent être résumés comme suit :

La division d’examen a mal interprété l’expression “le contenu de la demande initiale” visée à l’article 76(1) CBE. Selon la jurisprudence des chambres de recours, illustrée par les décisions T 260/85 JO OEB 1989, 105 ; T 514/88 JO OEB 1992, 570 ; T 441/92 et T 1008/99, il faut entendre par contenu d’une demande toute l’information technique divulguée à l’homme du métier.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. La décision contestée est fondée uniquement sur l’article 76(1) CBE et il ressort du dossier que la division d’examen n’a examiné aucune autre condition de fond concernant la brevetabilité. S’il est fait droit au recours, il conviendrait, en application de l’article 111(1) CBE, de renvoyer l’affaire à la division d’examen pour suite à donner.

3. Application de l’article 76(1) CBE à une série de demandes divisionnaires, chacune issue d’une division de la demande précédente

Dans la décision T 39/03, la chambre de recours technique 3.4.02 a soumis les questions suivantes à la Grande Chambre de recours (saisine G 1/05) :

1) Une demande divisionnaire qui ne satisfait pas aux exigences de l’article 76(1) CBE car s’étendant, à sa date de dépôt effective, au-delà du contenu de la demande initiale, peut-elle faire l’objet de modifications ultérieures qui feraient d’elle une demande divisionnaire valable ?

2) S’il est répondu par l’affirmative à la question 1), cette possibilité existe-t-elle toujours lorsque la demande antérieure n’est plus en instance ?

3) S’il est répondu par l’affirmative à la question 2), cette possibilité est-elle soumise à d’autres limitations fondamentales que celles imposées par les articles 76(1) et 123(2) CBE ? En particulier, la demande divisionnaire corrigée peut-elle porter sur des aspects de la demande antérieure qui n’étaient pas couverts par ceux auxquels la demande divisionnaire telle que déposée se rapportait ?

Etant donné que la présente demande A3 reste telle que déposée, les questions ci-dessus ne concernent pas directement le présent recours.

Alors que la saisine G 1/05 porte sur la question du moment de la procédure à partir duquel l’exigence de conformité avec l’article 76(1) deuxième phrase CBE doit être remplie, le présent recours a trait à la signification de cette conformité.

3.1 Comment doit-on interpréter l’expression “contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée” qui figure à l’article 76(1) CBE ?

3.1.1 L’objet des revendications 1 de la présente demande A3 et de sa demande précédente A2 (telle que déposée) s’étend incontestablement au-delà de la portée de la revendication 1 de A1. A la lumière des décisions T 720/02, T 797/02 et, plus récemment, T 90/03, la question se pose de savoir si, en soi, ce fait justifie un rejet de la présente demande. Dans ces décisions, il a été considéré que le contenu d’une demande divisionnaire au sens de l’article 76(1) CBE – ou même de l’article 123(2) CBE – est défini par les revendications de la demande divisionnaire telle qu’elle a été déposée (c’est la chambre qui souligne). Par conséquent, l’objet revendiqué de la demande divisionnaire d’une demande divisionnaire ne doit pas s’étendre au-delà de l’objet revendiqué de la demande divisionnaire précédente telle que déposée. Par souci de brièveté cette condition sera ensuite appelée principe des revendications emboîtées.

3.1.2 Les termes employés à l’article 76(1) CBE “contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée ” apparaissent dans plusieurs autres articles de la CBE, notamment aux articles 100 c) et 123(2) CBE. L’intention du législateur, derrière ces termes, ressort clairement de la discussion qui a opposé l’approche dite “de la revendication antérieure” à celle dite du “contenu global “, à l’occasion de la rédation de l’article 54(3) CBE, lors de la phase de rédaction de la CBE. Un consensus est apparu dans la jurisprudence des chambres de recours de l’OEB sur les demandes divisionnaires, selon lequel l’expression “contenu de la demande” doit être interprétée comme signifiant “toute l’information technique figurant dans la divulgation”, que ce soit dans la description ou dans les revendications (T 514/88, JO OEB 1992, 570, point 2.2 des motifs ; “Jurisprudence des chambres de recours de l’OEB, 4e édition 2001”, Chapitre III.A.2 ; Singer-Stauder, “The European Patent Convention, A Commentary 3rd Edition”, Article 76, Note 20). Il ressort également de la jurisprudence constante des chambres de recours que l’article 123(2) CBE et l’article 76(1) deuxième phrase CBE, doivent être interprétés de la même façon à cet égard (cf. supra et T 276/97, points 2.4 et 4.2 des motifs).

Dans la décision T 873/04, point 1 des motifs, les principes ci-dessus ont été appliqués à une série de demandes divisionnaires dans lesquelles la demande précédente était elle-même une demande divisionnaire.

3.1.3 Ces principes, bien que solidement établis, ont été remis en cause dans les décisions T 720/02 et T 797/02 (les deux décisions comportant essentiellement les mêmes motifs) dans le cas d’une série de (deux) demandes divisionnaires, dont la deuxième était issue d’une division de la première, provenant d’une demande initiale. Dans ces décisions, il a été considéré que pour satisfaire aux exigences de l’article 76(1) deuxième phrase CBE, toute demande divisionnaire ultérieure devait porter sur des objets couverts par l’invention ou par le groupe d’inventions, issue(s) de la demande initiale dans la première demande divisionnaire, ce qui signifie que l’objet de la demande divisionnaire doit entrer dans le cadre des revendications de la demande divisionnaire antérieure (cf. point 2.2 des motifs). Dans la décision T 90/03, plus récente, ces principes ont apparemment été appliqués également à la première demande divisionnaire (point 2 des motifs).

3.1.4 Selon la Chambre, cette tendance récente de la jurisprudence dans les décisions T 720/02, T 797/02 et T 90/03 pose problème, car rien n’indique dans la CBE, que ce soit explicitement ou implicitement, qu’il faille interpréter différemment l’article 76(1) CBE, dans le cas où le terme “demande initiale” fait référence à une demande divisionnaire. En particulier, rien n’indique qu’il soit nécessaire dans un tel cas d’assimiler le terme “contenu” à “l’objet pour lequel la protection est recherchée” (tel que revendiqué lors du dépôt) – une interprétation qui irait à l’encontre de la signification établie de ce terme.

3.1.5 La Chambre n’estime pas non plus que le législateur a concrètement souhaité oeuvrer dans ce sens. Elle note que dans le cadre de la dernière modification de la règle 25(1) CBE, l’expression “toute demande encore en instance” a été introduite pour préciser qu’une demande initiale d’une demande divisionnaire peut être elle-même une demande divisionnaire ; cf. “Communication de l’OEB”, JO OEB 2002, 112. Il est donc évident que le législateur compétent, en l’occurrence le Conseil d’administration, était conscient de l’existence possible de séries de demandes divisionnaires, chacune issue d’une division de la demande précédente, et également de la nécessité de réglementer ce point, mais il s’est néanmoins abstenu d’établir une distinction entre les demandes “normales” et les demandes divisionnaires, et n’a pas non plus établi d’autres règles spéciales concernant les demandes divisionnaires allant au-delà des exigences de fond spécifiques visées à l’article 76(1) CBE. Il y a donc tout lieu de supposer, en l’absence d’indication contraire, que le législateur n’a pas eu l’intention d’instaurer de normes juridiques distinctes s’appliquant à l’examen d’une demande normale et d’une demande divisionnaire, qu’il s’agisse d’une première demande divisionnaire ou d’une demande divisionnaire issue d’une demande divisionnaire.

3.1.6 La raison invoquée dans les décisions T 720/02 et T 797/02 pour motiver une interprétation plus restrictive de l’expression “contenu de la demande initiale” est que le public serait autrement maintenu dans une incertitude totale, pendant la plus grande partie de la vie d’un brevet, quant à l’étendue de l’objet de la demande initiale (d’origine) pouvant encore être revendiqué, et que cela permettrait aux demandeurs, le cas échéant, d’abuser de la possibilité qu’offre la CBE de déposer des demandes divisionnaires (point 2.2 des motifs).

3.1.7 La Chambre doute qu’il soit approprié d’aboutir à une interprétation contra legem sous prétexte de ce qui est perçu comme l’injustice d’une disposition ou une possibilité d’abus, en particulier dans un cas où il n’a été ni allégué, ni prouvé qu’il y avait abus effectif. Premièrement, l’interprétation et l’application de la loi n’implique pas l’exercice d’un libre pouvoir d’appréciation, sauf lorsque la loi elle-même le permet explicitement, comme dans le cas de l’article 96(2) CBE ou de l’article 114(2) CBE. Deuxièmement, un certain degré d’incertitude du public est inhérent au système des brevets. On voit mal pourquoi des demandes divisionnaires en série, chacune issue d’une division de la demande précédente, laisseraient le public dans une plus grande incertitude que des demandes “normales”. Au moment présent, quelque cent mille demandes de brevet – non publiées – sont en instance devant l’OEB. On peut faire valoir qu’une demande de brevet non publiée est une source d’incertitude bien plus grande qu’une demande publiée, au moins en ce qui concerne l’objet “qui pourrait encore être revendiqué”. De même, il est clairement dans l’intérêt du public que les demandes publiées donnent lieu rapidement à la délivrance d’un brevet. Néanmoins, si la responsabilité d’un retard dans la procédure de délivrance et la prolongation de l'”état d’incertitude” du public peuvent aussi être attribuées en partie à l’OEB, il n’est guère légitime de limiter les droits des demandeurs sur une telle base.

3.1.8 Il est universellement reconnu que l’objectif premier des demandes divisionnaires sur le plan de la ratio legis est d’offrir une possibilité d’obtenir une protection pour des inventions qui présentent un défaut d’unité. Il devrait en être de même pour les demandes divisionnaires en série. Par conséquent, il ne faut pas interpréter les dispositions de la CBE de telle sorte qu’elles empêchent effectivement les demandeurs de bénéficier de cette possibilité. La Chambre note que même si le principe des revendications emboîtées a été proposé dans le cadre de demandes divisionnaires en série, chacune étant issue d’une division de la demande précédente, il pourrait également avoir des répercussions sur les premières demandes divisionnaires, comme le prouve la décision T 90/03. En particulier, partir de l’hypothèse que l’interprétation restrictive de l’expression “contenu de la demande” s’applique à toute demande divisionnaire – et pas seulement à une “demande initiale” et uniquement au sens de l’article 76(1) CBE – impliquerait que la rédaction de revendications d’une portée acceptable est extrêmement risquée pour les demandeurs, voire impossible. Cette approche imposerait que le “contenu” au sens de l’article 123(2) CBE soit interprété de façon tout aussi restrictive. Par exemple, dans un cas manifeste de défaut d’unité, lorsque la demande divisionnaire porte sur une deuxième invention qui n’a pas fait l’objet de recherches auparavant, un demandeur pourrait se voir empêché d’extraire une caractéristique de la description pour l’intégrer dans les revendications, ce qui relève normalement de la routine, car cela pourrait être considéré comme contraire à l’article 123(2) CBE. En d’autres termes, cette hypothèse porterait non seulement préjudice à des demandes divisionnaires “abusives”, mais également à des demandes totalement “légitimes”, dans lesquelles l’objet de la demande divisionnaire a dès le début été revendiqué dans la demande initiale, de sorte que le public en avait été informé.

3.1.9 La Chambre reconnaît que le dépôt systématique de demandes divisionnaires en série, chacune issue d’une division de la demande précédente et ne différant que de façon minime voire pas du tout en ce qui concerne leur objet, pourrait effectivement constituer un abus de procédure. Il pourrait empêcher le rejet définitif d’une demande de brevet, et ainsi contourner efficacement la règle 86(3) dernière phrase CBE, qui donne pouvoir à la division d’examen de conserver le contrôle de la durée de la procédure de délivrance. Cependant, même cette possibilité d’abus ne peut justifier l’interprétation d’une autre disposition de la CBE dans un sens contraire à l’objectif premier incontesté de cette disposition, car cela irait même jusqu’à transgresser les limites d’une interprétation téléologique. En réalité, cela équivaudrait à pratiquer une activité législative réservée au législateur, qu’il s’agisse du Conseil d’administration ou d’une conférence diplomatique des Etats contractants.

3.2 Dans une série de demandes divisionnaires, chacune issue d’une division de la demande précédente, la non-conformité avec l’article 76(1) CBE est-elle héréditaire ?

3.2.1 La demande A2 a été rejetée pour non-conformité avec l’article 76(1) CBE. A la lumière des décisions T 904/97 et T 555/00 – cf. l’interprétation de cette dernière par la division d’examen dans la décision faisant l’objet du recours, puis par la décision T 1158/01, JO OEB 2005, 110 – la question se pose de savoir si la présente demande A3 peut vraiment bénéficier d’une date de dépôt “valable”. Dans ces décisions, il a été considéré que l’on ne peut attribuer la date de dépôt de la demande initiale à une demande divisionnaire d’une demande divisionnaire, si cette date de dépôt n’est pas réputée accordée à la première demande divisionnaire. Cette interprétation de l’article 76(1) CBE a également été acceptée tacitement dans la décision de saisine T 39/03 (point 3.3 des motifs et question (1) de la formule correspondant au dispositif). Cette objection figure également dans la décision qui fait l’objet du recours. Par souci de concision, cette condition sera appelée “exigence du pedigree irréprochable”. Pour les raisons développées ci-dessous, il est difficile pour la Chambre d’adhérer au raisonnement de ces décisions.

3.2.2 Tout d’abord, la Chambre note que le concept de demande “non valable” ne trouve pas de base dans la CBE, et l’on ne saurait tirer de conséquences juridiques à partir de la perception que l’on a des propriétés de catégories juridiques qui n’existent pas. En fait, les termes “valable” ou “non valable” n’apparaissent pas dans la CBE. Cependant, pour faciliter la discussion, notamment lorsqu’il est fait référence à ce concept introduit par des décisions précédentes, la Chambre emploiera le terme de demande divisionnaire “non valable” pour une demande divisionnaire ne satisfaisant pas aux exigences de l’article 76(1) CBE, au sens où l’objet revendiqué – du moins tel qu’il a été déposé – s’étend au-delà du contenu de la demande antérieure (initiale ou d’origine).

3.2.3 A première vue, le libellé de l’article 76(1) CBE peut effectivement suggérer une interprétation selon laquelle une demande divisionnaire “non valable” n’a pas de date de dépôt ab initio (cf. décision T 904/97, point 4.1.2. des motifs). Cette interprétation peut s’appuyer sur la formulation “est considérée comme déposée à la date de dépôt de la demande initiale” (c’est la chambre qui souligne), signifiant qu’une date de dépôt est considérée comme ayant été attribuée à la demande divisionnaire. A contrario, la non-conformité avec l’article 76(1) CBE aurait alors pour conséquence qu’une date de dépôt ne pourrait pas être accordée, puisque la CBE ne prévoit pas d’attribution d’une autre date de dépôt que celle de la demande antérieure (initiale ou d’origine), cf. J 11/91 JO OEB 1994, 28, point 4.2. des motifs.

3.2.4 Cependant, l’expression “est considérée comme déposée à la date de dépôt…” peut aussi être interprétée comme mettant l’accent sur la “date”, ce qui signifie que l’essentiel n’est pas le dépôt, en tant qu’acte juridique, mais la date, en tant que jalon d’un événement.

3.2.5 Quant à la ratio legis, l’objectif de l’article 76(1) CBE est manifestement d’obtenir un effet juridique apparenté aux effets juridiques d’une date de dépôt. Il est donc utile d’analyser de plus près le concept et les effets juridiques d’une date de dépôt telle que prévue par la CBE.

3.2.6 Une date de dépôt juridiquement valable – selon la terminologie de la CBE, une date “accordée” – a différents effets juridiques. Entre autres :

a) elle marque le début de l’instance d’une demande de brevet européen (article 80 CBE ensemble l’article 90(1)a), 90 (2) CBE) ;

b) elle marque la date théorique à laquelle le demandeur revendique officiellement avoir déposé son invention auprès de l’OEB ; et

c) la date de dépôt définit l’état de la technique et, par conséquent, l’étendue de la recherche et de l’examen, au sens de l’article 54(2) et (3) CBE.

Les effets juridiques a) à c) apparaissent immédiatement, dès que la date de dépôt a été accordée. D’autres effets juridiques de la date de dépôt naissent à la publication de la demande de brevet :

d) elle marque la date comptant comme date de dépôt et affectant d’autres demandes au sens de l’article 54(3) CBE.

La date de dépôt entraîne d’autres effets juridiques à la délivrance du brevet :

e) elle marque le début de la protection conférée, telle que prévue par l’article 64(1) CBE (cf. article 63(1) CBE), et

f) la date de dépôt marque la date juridiquement confirmée à laquelle le demandeur avait déposé l’invention pour laquelle un brevet a été délivré et, en tant que telle, reconnaît la revendication de b).

La différence entre les dates a) à f) juridiquement pertinentes apparaît clairement en ce qu’il n’est pas nécessaire, logiquement, qu’elles coïncident, bien qu’il s’agisse là de l’hypothèse qui est au coeur du système de délivrance de brevets établi par la CBE.

3.2.7 La date de dépôt d’une demande “normale” est accordée dès que les conditions de l’article 80 CBE sont remplies en plus des autres exigences quant à la forme, comme la langue, etc.

3.2.8 Une demande commence à exister lorsqu’elle est réputée avoir reçu une date de dépôt, donnant lieu à une demande en instance et aux effets juridiques a) à c) expliqués au point 3.2.6 ci-dessus.

3.2.9 A l’inverse, une demande en instance doit toujours être considérée comme ayant reçu une date de dépôt. Bien entendu, il est vrai que la CBE connait l’idée d’une demande qui est réputée n’avoir pas reçu de date de dépôt (cf. article 90(2) CBE). Cependant, une prétendue demande de ce type n’est juridiquement jamais en instance car la demande n’existe pas (cf. article 90(2), dernière phrase CBE). Cette prétendue demande ne fait l’objet ni d’une recherche, ni d’un examen et les taxes de dépôt, de recherche, d’examen et les taxes annuelles n’ont pas non plus besoin d’être payées par la suite. Une telle demande sans date de dépôt n’existe tout simplement pas en tant que véritable demande au sens de la CBE. Cela montre qu’une demande en instance qui n’aurait pas de date de dépôt se trouverait dans une situation de vide juridique. En d’autres termes, l’idée d’accorder une date de dépôt est synonyme de reconnaissance de l’existence d’une demande de brevet européen en instance.

3.2.10 En conséquence, une demande divisionnaire en instance doit également avoir une date de dépôt. Lors du dépôt (physique) des documents, la déclaration du demandeur selon laquelle la demande est une demande divisionnaire est en fait l’expression de son intention de conserver les effets juridiques déjà établis de la demande antérieure (initiale ou d’origine), c’est-à-dire l’existence d’une demande en instance devant l’OEB, et les dates jalons a), b) et c) qui définissent l’étendue de la recherche et de l’examen. L’effet juridique a) résulte de l’attribution, par la Section de dépôt, de la date de dépôt à la demande divisionnaire. L’effet juridique b) subsiste en tant que revendication de la date jalon et se transforme en effet juridique e) dès que la conformité avec l’article 76(1) CBE a été établie. Naturellement, au moment du dépôt physique de la demande divisionnaire, le demandeur ne peut – encore – bénéficier d’aucun des effets juridiques de la date de dépôt, tels que les effets e) et f) qui ne s’appliquent pas encore à la demande antérieure (initiale ou d’origine).

3.2.11 Ce concept correspond à l’idée même de ce qu’est une division, car seul ce qui existe peut être divisé. Ceci transparaît aussi dans l’exigence énoncée à la règle 25(1) CBE, telle que l’interprète la jurisprudence constante : il ne peut être accordé de date de dépôt à une demande divisionnaire que si la demande initiale est en instance, autrement dit si elle existe, au sens où elle existe encore au moment du dépôt (physique) de la demande divisionnaire. De même, le prolongement des effets juridiques b) et c) de la date de dépôt de la demande initiale est également légitime. Premièrement, le prolongement de l’effet juridique b) ne dépend d’aucune condition externe, puisqu’il est inhérent au concept de revendication. Deuxièmement, l’examen de la demande est fondé sur cette date de dépôt revendiquée, qui définit l’état de la technique ; sans quoi son examen n’aurait aucun sens. C’est la pratique générale que suit l’Office européen des brevets.

3.2.12 Il ne saurait exister d’autres conditions de fond pour l’attribution d’une date de dépôt à la demande divisionnaire. La condition énoncée à l’article 76(1) CBE ne peut certainement pas faire partie de ces exigences, car le respect de cette condition n’est établi que lors de l’examen quant au fond de la demande (J 13/85, point 7 des motifs) et, comme expliqué ci-dessus, il n’est pas possible d’effectuer un examen quant au fond en l’absence de demande en instance.

3.2.13 On peut en conclure que le respect de l’article 76(1) CBE ne constitue pas une condition pour qu’une date de dépôt soit accordée à une demande divisionnaire, mais représente une exigence qui doit être remplie pour obtenir un autre effet juridique. Interprétée dans ce sens, et en tenant compte du raisonnement du point 3.2.6 ci-dessus, l’expression “est considérée comme déposée à la date de dépôt” témoigne du souhait du législateur de voir la demande divisionnaire bénéficier de la date de dépôt de la demande antérieure (initiale ou d’origine) en tant que date calendaire déterminante pour tous les effets juridiques de la date de dépôt qui naissent après le dépôt de la demande, les effets les plus significatifs intervenant après la délivrance. En même temps, le sort qui doit être réservé juridiquement aux demandes qui ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 76(1) CBE, n’est pas précisé.

3.2.14 Cependant, une date de dépôt doit être revendiquée avant qu’elle puisse être juridiquement confirmée par la délivrance. En d’autres termes, la formulation de l’article 76(1) CBE non seulement transmet les effets juridiques de la date de dépôt de la demande initiale à la demande divisionnaire, mais offre aussi utilement aux demandeurs la possibilité, sur le plan de la procédure, de déposer des demandes divisionnaires et de revendiquer formellement la date de dépôt de la demande initiale. Si cette disposition n’existait pas, on ne saurait pas exactement sur quelle base matérielle examiner les demandes divisionnaires.

3.2.15 Les effets juridiques qui naissent d’un brevet délivré sont néanmoins indivisibles. Autrement dit, la CBE ne prévoit pas, lorsque les conditions de fond sont partiellement remplies, de délivrer un brevet “défectueux” ne jouissant que de certains de ses effets juridiques. Ainsi la demande doit-elle passer par la procédure de délivrance pour que s’appliquent les effets juridiques envisagés par le législateur, ce qui présuppose que toutes les conditions de fond de la délivrance soient remplies. En fait, l’article 76(1) CBE représente de la sorte une condition de la délivrance parmi d’autres. Pour emprunter la terminologie du droit anglais des contrats, il s’agit d’une “condition subsequent” (condition résolutoire) plutôt que d’une “condition precedent” (condition suspensive), ce qui conduit à l’interprétation selon laquelle une demande ne remplissant pas les conditions de l’article 76(1) CBE ne pourra pas passer au stade de la délivrance. Cette interprétation est en accord avec le raisonnement développé au point 1.6 des motifs de la décision T 555/00 et va tout à fait dans le sens de la nature fondamentale de cette exigence, par exemple son analogie reconnue avec l’article 123(2) CBE. Cette interprétation est également en parfaite harmonie avec la pratique actuelle de l’Office européen des brevets lorsqu’il applique l’article 97(1) CBE, à savoir qu’une demande en instance ne satisfaisant pas à une condition de fond n’est pas réputée avoir perdu sa date de dépôt, mais est rejetée en application de l’article 97(1) CBE.

3.2.16 On peut en conclure que la date de dépôt d’une demande divisionnaire qui est juridiquement valable – pour constituer une demande en instance – se base sur le fait que la demande précédente est en instance, et non sur son respect des conditions de fond, par exemple celles visées à l’article 76(1) CBE ou toute autre exigence de fond de la délivrance. Il en va nécessairement de même pour la demande divisionnaire d’une demande divisionnaire. Cela signifie que, hormis l’article 80 CBE, la seule condition qui s’applique pour le dépôt juridiquement valable de la demande divisionnaire d’une demande divisionnaire, est que sa demande divisionnaire précédente (d’origine) soit en instance – c’est-à-dire qu’elle existe – au moment du dépôt de la demande divisionnaire suivante, comme le prévoit la règle 25(1) CBE. Cette approche permet également à la Section de dépôt de l’OEB de prendre une décision immédiate quant à l’attribution d’une date de dépôt à une demande divisionnaire (règle 39 CBE).

3.2.17 Il faut bien reconnaître que, même si la conformité avec l’article 76(1) CBE ne peut pas représenter une condition d’attribution de la date de dépôt, une violation de cet article peut malgré tout être interprétée comme entraînant la perte ultérieure de la date de dépôt accordée en cas de non conformité. Etant donné qu’il n’est pas possible de dissocier les effets juridiques d’une date de dépôt, la demande dans son ensemble serait perdue dans ce cas. La vraie question pourrait être de savoir si cette perte supposée de la date de dépôt interviendrait avec un effet ex tunc ou ex nunc sur la validité des actes de procédure accomplis pendant que la demande est en instance.

3.2.18 Si l’article 76(1) CBE devait être interprété comme entraînant la perte de la date de dépôt avec effet ex nunc, cela n’affecterait pas la date de dépôt d’une demande divisionnaire car, après le dépôt de la demande divisionnaire, les deux demandes deviennent totalement indépendantes (cf. décision T 1176/00, point 2.1 des motifs, première phrase). Au moment du dépôt de la demande divisionnaire, la demande précédente possède effectivement une date de dépôt valable – accordée et existante – que la demande divisionnaire peut valablement revendiquer, et une date de dépôt peut donc être attribuée à cette dernière. En réalité, il n’est pas possible de faire une distinction entre les conséquences juridiques d’une perte ex nunc de la date de dépôt de la demande et les conséquences juridiques d’un rejet.

3.2.19 Ceci correspond à la pratique actuelle. Comme évoqué au point 3.2.15, les demandes de brevet ne sont pas réputées avoir perdu leur date de dépôt, mais elles sont rejetées. Un rejet n’entraîne pas la perte rétroactive d’une date de dépôt. Il est bien établi que le rejet d’une demande de brevet a un effet ex nunc sur la validité des actes de procédure accomplis pendant que la demande est en instance, y compris le dépôt d’une demande divisionnaire (cf. Krasser, Patentrecht (5e édition) § 29 V. 4). Il est vrai que l’article 97(1), dernière phrase CBE envisage également la possibilité de sanctions différentes du rejet, comme la fiction juridique du retrait. Cependant, l’article 76(1) CBE ne prévoit pas expressément d’autres conséquences juridiques.

3.2.20 L’analyse de la genèse de l’article 76(1) CBE vient également à l’appui de l’interprétation selon laquelle le problème n’est pas d’accorder une date de dépôt mais bien d’établir la date calendaire déterminante. La formulation “est considérée comme déposée”, qui pose problème, est apparue dans les Travaux Préparatoires dès 1961, et n’a pas été sensiblement modifiée depuis. Cependant, à cette époque, au moins deux systèmes nationaux de brevets, à savoir ceux de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume Uni, ne rejetaient pas forcément les demandes divisionnaires si elles contenaient des extensions inadmissibles, mais pouvaient les délivrer avec une autre date de dépôt (cf. BPatG 20.12.1965, E 8, 23 et la règle secondaire 13(2) du Règlement de 1968 sur les Brevets, établi conformément à la Loi britannique sur les brevets de 1949). Dans ces circonstances, l’usage de la formulation contestée était pleinement justifié. Si l’on considère les choses ainsi, il apparaît plus clairement que la “date de dépôt réputée” représente effectivement une condition de délivrance. La teneur juridique de cette disposition n’est pas l’attribution de la date de dépôt, mais plutôt une confirmation de la date de dépôt, laquelle a déjà été revendiquée et accordée. Pour exprimer les choses différemment, il faut plutôt voir dans cette disposition une reconnaissance que la demande peut effectivement donner lieu à la délivrance d’un brevet avec la date de dépôt revendiquée, par opposition à une délivrance avec une autre date de dépôt, cette dernière existant néanmoins et étant reconnue. Mais on ne trouve aucune indication, dans les Travaux Préparatoires, selon laquelle l’effet juridique prévu en cas de non-respect devait être la perte de la date de dépôt et encore moins la perte ex tunc de la demande dans son ensemble.

3.2.21 La Chambre estime qu’elle ne peut soutenir l’autre interprétation possible, à savoir l’hypothèse de la perte rétroactive – ex tunc – d’une date de dépôt. Il ne fait aucun doute que cela perturberait le bon fonctionnement de l’OEB. Même si la Chambre reconnaît que le souhait de disposer à l’OEB d’un système administratif interne fonctionnel n’est pas une source de droit, les aspects purement pratiques du “droit … en matière de délivrance de brevets”, en tant que finalité première de la CBE (article premier CBE), constituent aussi un point auquel il convient d’accorder de l’importance. L’interdépendance des demandes précédentes et divisionnaires n’est pas souhaitable d’un point de vue purement pratique comme le montre clairement la décision G 4/98, JO OEB 2001, 131, dernières phrases du point 5 des motifs : “Malgré l’existence de liens entre les deux procédures (par ex. en ce qui concerne les délais), le fait que des actes soient accomplis (ou non) dans la procédure relative à la demande initiale après le dépôt de la demande divisionnaire ne doit pas influer sur cette dernière. …. Enfin, on évite également les questions épineuses qui se poseraient au cas où un brevet aurait été délivré à la suite du traitement accéléré de la demande divisionnaire, et ce avant la date à laquelle les taxes de désignation doivent être acquittées pour la demande initiale” (c’est la Chambre qui souligne).

3.2.22 L’hypothèse de la perte rétroactive de la date de dépôt d’une demande divisionnaire soulèverait des questions tout aussi délicates que le retrait rétroactif de désignations. Cette hypothèse engendrerait un certain nombre de contradictions ; pour utiliser un langage plus familier, ce serait le meilleur moyen de provoquer un “chaos” juridique. En fait, si la Grande Chambre de recours était parvenue à la conclusion, dans la décision G 4/98 (cf. point 5 des motifs), qu’une désignation est retirée avec un effet ex tunc, cela aurait également entraîné la perte rétroactive de la date de dépôt (cf. article 80 b) CBE).

3.2.23 Une de ces contradictions serait qu’une perte rétroactive de la date de dépôt soulèverait immédiatement la question du fondement juridique des taxes annuelles versées pour la demande divisionnaire.

3.2.24 Un autre problème posé par le concept de perte rétroactive de la date de dépôt apparaît clairement lorsqu’une demande divisionnaire précédente est abandonnée sans qu’une décision ait été prise quant à sa conformité avec l’article 76(1) CBE. S’il a été statué définitivement sur ce point dans la procédure de la demande précédente, le problème est résolu. Si aucune décision définitive n’a été prise, par exemple en cas de rejet pour un autre motif, de retrait ou de fiction juridique d’un retrait, il ne peut pas non plus exister de conséquence juridique, ce qui signifie que la demande précédente ne perd pas sa date de dépôt, même si elle n’a jamais satisfait aux exigences de l’article 76(1) CBE. On en arrive ainsi à ce surprenant résultat que la base juridique de la date de dépôt et, partant, l'”existence” de la demande de la génération suivante dépendent non seulement de critères de fond mais également des actes de procédure accomplis dans la procédure de la demande précédente après que les demandes sont devenues indépendantes.

3.2.25 Il semblerait à première vue que la théorie de la perte rétroactive de la date de dépôt conduise au même résultat que la théorie de la demande non valable qui découle du principe du pedigree irréprochable. Les points développés ci-dessous montrent qu’il n’en est rien.

3.2.26 Le principe de la libre disposition de l’instance n’autorise pas une instance de l’OEB à statuer sur une demande qui n’est pas en instance. Cela signifie que l’instance qui examine la demande divisionnaire ne peut pas “rouvrir” la procédure de la demande antérieure pour statuer sur l’existence de la date de dépôt. Le problème exposé au point 3.2.24 ne peut donc être résolu. Ceci ne semble pas être le cas pour la théorie de la demande non valable, du moins telle qu’elle est interprétée dans la décision T 1158/01.

3.2.27 Conformément à la théorie de la demande non valable, une division ou une chambre examinant une demande divisionnaire doit examiner la “validité” de toutes les demandes divisionnaires antérieures (la demande précédente et toutes les demandes antérieures à celle-ci selon le cas), comme l’envisage la décision T 1158/01 et, sur la base du résultat de cet examen, peut parvenir à la conclusion que la demande n’a pas en réalité de date de dépôt. Or le fait qu’il soit possible d’examiner la date de dépôt de la demande qui n’est pas en instance ne peut que signifier que la date de dépôt est une “propriété” de la demande qui existe objectivement, et non une conséquence juridique d’une décision intervenue dans la procédure de la demande précédente. Il est difficile de voir comment concilier cette notion de date de dépôt avec le principe selon lequel la date de dépôt est accordée par la Section de dépôt.

3.2.28 Hormis ces problèmes conceptuels, la Chambre voit mal comment expliquer de façon plausible pourquoi une instance devrait examiner une demande pour laquelle aucune taxe d’examen (ou même de recherche) n’a été payée, selon le cas. Mais le fait que cet examen doive être effectué par l’instance qui traite la demande divisionnaire ultérieure apparaît encore plus étrange. Il faut garder à l’esprit que l’examen de la conformité de la demande précédente avec l’article 76(1) CBE exige un examen de l’objet des revendications de la demande précédente par rapport aux demandes qui l’ont précédée. En conséquence, une instance qui souhaiterait déterminer si la demande précédente était “valable” ou non, en application du principe du pedigree irréprochable, doit procéder à l’examen d’un objet qui peut être totalement différent de celui revendiqué dans la demande qui l’a précédé. En théorie, il se pourrait que l’instance doive examiner un objet relevant d’une classe de la CIB qui est complètement différente de celle dont elle s’occupe normalement, puisqu’il ne faut pas oublier que les demandes divisionnaires concernent principalement les inventions présentant un défaut d’unité.

3.2.29 Les recours donnent lieu à une contradiction similaire : dans les circonstances décrites ci-dessus, un recours contre une conclusion d’invalidité de la demande initiale doit être formé lors de la procédure relative à la demande divisionnaire, même si les questions et faits sous-jacents concernent une autre procédure, à savoir celle de la demande précédente.

3.2.30 Non seulement le concept de la perte rétroactive de la date de dépôt – tout comme le concept d'”invalidité” – ne peut pas être mis en pratique, mais il est aussi superflu. L’objectif juridique incontesté de l’article 76(1) CBE, c’est-à-dire empêcher la protection d’un élément ajouté qui a été “introduit subrepticement” par le biais de demandes en série, peut aussi être atteint de façon simple et directe. Il est nécessaire d’examiner l’exposé de la demande divisionnaire de la génération suivante, et de déterminer s’il a été divulgué dans toutes les demandes antérieures telles qu’elles ont été déposées, c’est-à-dire dans les demandes initiales, les demandes dont sont issues les demandes initiales, etc., selon le cas. Ce principe a été formulé, pour l’essentiel, dans les décisions T 655/03, point 3.3.1 des motifs, T 643/02, point 2.1 des motifs et même dans la décision T 555/00, point 1.5 des motifs. Il convient de noter que cet exercice exige uniquement l’examen de l’élément qui est traité par l’instance compétente et qu’il ne nécessite en outre aucune analyse post mortem de la situation juridique des demandes antérieures. On évite ainsi également une interdépendance des demandes.

3.2.31 Sur la base des considérations ci-dessus, la Chambre ne peut souscrire à la théorie défendue par la décision T 1158/01. Au contraire, le système procédural institué par la CBE ne laisse aucune place au concept de demandes de brevet ou de brevets qui seraient rétroactivement “non valables”. Ce concept étant absent, la “validité” présumée d’une demande divisionnaire de la génération suivante n’est pas affectée par la “validité” de sa demande initiale, ou de la demande dont est issue la demande initiale, etc. Etant donné que la théorie du “pedigree irréprochable” se fonde sur une certaine interprétation des dispositions de l’article 76(1), c’est aux chambres qu’il appartient d’interpréter l’article 76(1) de façon cohérente avec le système procédural institué par la CBE.

3.2.32 Comme expliqué plus haut, la Chambre estime que la condition “ne peut être déposée que pour des éléments qui ne s’étendent pas au-delà du contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée” doit être comprise comme une condition requise pour la délivrance. Si cette condition est remplie, la demande divisionnaire peut faire l’objet d’une procédure de délivrance d’un brevet et sa date de dépôt présumée (c’est-à-dire la date de dépôt de la demande initiale) est confirmée. Si la condition n’est pas remplie, il convient de rejeter la demande divisionnaire au titre de l’article 97(1) CBE ensemble l’article 76(1) CBE. Le rejet aura le même effet juridique qu’en cas de rejet pour non conformité avec une autre condition de fond, sans perte rétroactive de la date de dépôt.

3.2.33 Avec cette interprétation, la disposition prévue à l’article 76(1) CBE peut également jouer un rôle, vis-à-vis des demandes ultérieures, au moment d’établir la date déterminante au sens de l’article 54(3) CBE, (effet juridique d). Cette interprétation permet à l’instance qui examine la demande ultérieure de prendre en compte ou d’exclure un élément de la demande antérieure qu’elle considère comme faisant partie de l’état de la technique, sans devoir statuer sur la “validité” de la demande antérieure qui contient l’élément contesté. Il suffit d’examiner la date de dépôt présumée de cet élément de la demande antérieure qui antériorise l’objet de la demande ultérieure.

4. Les points développés ci-dessous montrent qu’il peut être statué sur le présent recours en fonction de la réponse à la question de savoir s’il convient, lors de l’examen de la conformité avec l’article 76(1) CBE, de se baser sur l’interprétation ci-dessus que fait la Chambre de l’article, plutôt que sur les interprétations énoncées dans les décisions T 904/97 et T 1158/01 d’une part (pedigree irréprochable) et dans les décisions T 720/02, T 797/02 et T 90/03 d’autre part (revendications emboîtées).

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la présente demande reste telle qu’elle a été déposée à l’origine. Il revient à la Grande Chambre de recours de décider, dans l’affaire G 1/05 (décision de saisine T 39/03), si une demande divisionnaire doit ou non satisfaire aux exigences de l’article 76(1) CBE à sa date de dépôt effective.

5. Selon l’interprétation de la Chambre, les conditions de l’article 76(1) CBE sont remplies dès l’instant où ce qui est divulgué dans la demande peut être déduit directement, sans ambiguïté et séparément de ce qui est divulgué dans chacune des demandes précédentes telle que déposée.

5.1 L’objet de la présente demande A3 a été incontestablement divulgué dans la demande A2 telle qu’elle a été déposée puisque A3 est identique à A2 telle que déposée.

5.2 Quant à la question de savoir si l’objet de la présente demande A3 peut être déduit directement et sans ambiguïté des demandes A1 et A0, il est à noter que la revendication 1 de la présente demande est basée sur le mode d’exécution de la figure 14. Ce mode d’exécution décrit un circuit permettant de tester chaque sortie des circuits de commande de ligne de source et de ligne de grille (demande telle que publiée, paragraphes [0044] à [0046]). Ce passage de la description est identique aux parties correspondantes de A1 et A0 (cf. A1 telle que publiée, page 10, lignes 32 à 50 ; A0 telle que publiée, page 9, ligne 56 à page 10, ligne 15).

5.3 La division d’examen a objecté à cet égard que A1 telle que déposée revendiquait un panneau à matrice active comprenant des transistors à couches minces (TFT), dans lesquels les TFT des circuits de commande de ligne de grille ou de source sont complémentaires et ont une longueur de grille plus petite que celle des TFT de la matrice d’éléments d’image (cf. A1 telle que publiée, page 3, lignes 46 à 52), et que par conséquent un homme du métier lisant A1 déduirait que le mode d’exécution de la figure 14 de A1 portait sur un panneau à matrice active de ce type. Etant donné que la revendication 1 de la présente demande A3 ne définit pas les longueurs de grille des transistors, la division d’examen a estimé que l’objet de la présente demande A3 s’étendait au-delà de celui de la demande A1 telle que déposée.

5.4 Cette analyse ne convainc pas la Chambre car il est clair, pour un homme du métier lisant A1, que le circuit décrit dans la forme de réalisation de la figure 14 vérifie uniquement si des signaux de sortie corrects sont présents sur les lignes de source et de grille et qu’il importe donc peu, si l’on cherche à tester les lignes de source et de grille, de savoir quels types de transistors sont utilisés dans les circuits de commande et dans la matrice d’éléments d’image (cf. décision T 545/92, point 3.1 des motifs ; décision T 211/95, point 4.4 des motifs).

5.5 La Chambre estime en conséquence que l’objet de la présente demande A3 peut être déduit directement et sans ambiguïté de chacune des demandes A0, A1 et A2 telles que déposées. Selon cette interprétation de la Chambre développée au point 3 ci-dessus, il serait satisfait aux exigences de l’article 76(1) CBE et l’affaire serait renvoyée devant l’instance du premier degré, conformément à l’article 111(1) CBE.

6. D’un autre côté, le recours devrait être rejeté si l’on appliquait la théorie du pedigree irréprochable telle que développée dans les décisions T 904/97 et T 555/00 (et ce conformément à l’interprétation – erronée, selon la présente Chambre – de la décision T 555/00 par la division d’examen dans la décision qui fait l’objet du recours, puis par la décision T 1158/01).

Etant donné que la demande précédente A2 a été rejetée pour non-conformité avec l’article 76(1) CBE et que cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours, la présente demande devrait pareillement être considérée comme “non valable” (cf. décision T 904/97, point 4.1.2 des motifs et décision T 1158/01, point 3.2.1 des motifs).

7. De même, il faudrait rejeter le recours si l’exigence relative aux revendications emboîtées, telle que développée dans les décisions T 720/02 et T 797/02 devait être considérée comme étant imposée par une interprétation correcte de l’article 76(1) CBE.

Comme indiqué au point 5.3 ci-dessus, la revendication 1 de la présente demande A3 ne précise pas les longueurs de grille relatives des différents transistors, comme c’est le cas dans la revendication 1 de A1 telle que déposée. En conséquence, l’objet de la présente demande A3 n’est pas inclus (emboîté) dans celui des revendications de A1 (cf. décision T 797/02, point 2.2 des motifs).

8. L’article 112(1)a) CBE dispose qu’afin d’assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d’importance fondamentale se pose, une chambre de recours saisit … d’office, en cours d’instance, la Grande Chambre de recours lorsqu’une décision est nécessaire à ces fins.

Comme expliqué aux points 5 à 7 ci-dessus, l’interprétation correcte de l’article 76(1) CBE pour les demandes divisionnaires de génération suivante est une question de droit d’importance fondamentale, qui est déterminante aux fins du présent recours. Etant donné que l’opinion de la Chambre ne concorde pas avec le ratio decidendi de plusieurs décisions récentes d’autres chambres de recours, elle estime qu’il y a lieu de saisir la Grande Chambre de recours afin d’assurer une application uniforme du droit.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :

(1) Dans le cas d’une série de demandes composée d’une demande initiale (d’origine) suivie de demandes divisionnaires, chacune étant issue d’une division de la demande précédente, est-il nécessaire et suffisant, pour qu’une demande divisionnaire faisant partie de cette série satisfasse aux exigences de l’article 76(1), deuxième phrase CBE, que tout élément divulgué dans ladite demande divisionnaire puisse être déduit directement, sans ambiguïté et séparément de ce qui est divulgué dans chacune des demandes précédentes telle que déposée ?

(2) Si la condition ci-dessus n’est pas suffisante, la phrase précitée pose-t-elle comme exigence supplémentaire que

a) l’objet des revendications de cette demande divisionnaire soit emboîté dans l’objet des revendications des demandes divisionnaires précédentes

ou que

b) toutes les demandes divisionnaires précédant la demande divisionnaire en question répondent aux exigences de l’article 76(1) CBE ?