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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1996:T064992.19960702
Date de la décision : 02 Juillet 1996
Numéro de l’affaire : T 0649/92
Décision de la Grande Chambre des recours G 0004/97
Numéro de la demande : 82304478.9
Classe de la CIB : C12N 15/00
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande : Préparation microbiologique de protéines, en particulier de sérum albumine humaine
Nom du demandeur : GENENTECH, INC.
Nom de l’opposant : Naohito Oohashi
Delta Biotech. Ltd.
Riatal GmbH
Chambre : 3.3.04
Sommaire : Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. Le titulaire du brevet et intimé a-t-il le droit, pendant la procédure de recours, de contester la recevabilité d’une opposition pour des motifs liés à l’identité de l’opposant et requérant, alors qu’une telle objection n’a pas été soulevée devant la division d’opposition ?
2. Si la réponse à la question 1 dépend des circonstances particulières de l’espèce, quels sont les principes juridiques régissant les circonstances à prendre en considération par une chambre de recours lorsque celle-ci apprécie la question de savoir si la recevabilité de l’opposition peut être contestée au stade du recours ?
3. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, de quelle manière convient-il d’interpréter la disposition de l’article 99(1) CBE, selon laquelle toute personne peut faire opposition au brevet européen, et en particulier, cette disposition doit-elle être interprétée comme signifiant que toute personne peut faire opposition en son nom propre, mais pas au nom d’un opposant agissant en tant que prête-nom, à savoir d’un opposant qui se contente de prêter son nom aux fins de la procédure, tout en permettant à un tiers de conduire cette procédure ?
4. Si la réponse à la question 3 signifie que l’article 99 CBE exclut tout opposant agissant en tant que prête-nom, dans quelles circonstances, si tant est qu’il y en ait, un opposant soupçonné d’agir en tant que prête-nom peut-il être tenu de produire des éléments de preuve en vue d’établir qu’il a véritablement formé opposition en son nom, et quels éléments de preuve peut-il être tenu de fournir afin de prouver qu’il est le véritable opposant ?
5.Si les réponses aux questions ci-dessus limitent le droit de contester la recevabilité, cette restriction doit-elle s’appliquer immédiatement dans toutes les procédures en instance ?
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 99
European Patent Convention 1973 R 55
European Patent Convention 1973 R 65
Mot-clé : Opposant agissant en tant que prête-nom
Homme de paille
Saisine de la Grande Chambre de recours (oui)
Exergue :

Décisions citées :
G 0001/84
G 0010/91
G 0009/93
G 0001/95
T 0010/82
T 0025/85
T 0219/86
T 0635/88
T 0289/91
T 0339/93
T 0590/93
T 0798/93
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0003/97
T 0649/92
T 0387/94
T 0464/94
T 0052/96
T 0711/99
T 1091/02

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n° 82 304 478.9, revendiquant la priorité d’une demande de brevet américaine déposée le 28 août 1981 sous le n 297380, a donné lieu, le 17 mai 1989, à la délivrance du brevet européen n 0 073 646. Ce brevet a pour objets des produits isolés d’ADN, des véhicules d’expression comprenant cet ADN, des micro-organismes transformés avec lesdits véhicules d’expression ainsi qu’un procédé qui comprend l’expression microbiologique de la sérum-albumine humaine (SAH) d’une séquence d’acides aminés particulière et de ses variants génétiques.

II. Trois parties (opposants 1, 2 et 3) ont fait opposition à ce brevet européen et ont demandé sa révocation pour les motifs énoncés à l’article 100a), b) et c) CBE.

III. Par décision en date du 8 mai 1992, la division d’opposition a rejeté les oppositions en vertu de l’article 102(2) CBE et a maintenu le brevet sur la base des revendications telles qu’elles avaient été admises.

IV. Le requérant (opposant 3) a formé un recours contre cette décision et déposé un mémoire en exposant les motifs. L’intimé a produit une réponse à ce mémoire.

V. Par lettre datée du 20 janvier 1994, le requérant a produit un nouvel élément (déclarations de MM. Dugaiczyk et Hawkins) prouvant, selon lui, que toute la séquence nucléotidique du gène de la sérum-albumine humaine, y compris la séquence pré-pro, avait été divulguée sous la forme d’une affiche lors du First Annual Congress for Recombinant DNA Research, tenu du 25 au 27 février 1981 à San Francisco.

VI. En réponse à cette lettre, l’intimé (titulaire du brevet) a notamment fait observer à la Chambre que l’identité du véritable requérant n’était pas claire. Comme personne ne connaissait le requérant, un citoyen japonais, il a fait effectuer une enquête au Japon et constaté qu’il s’agissait d’un petit entrepreneur dans le commerce de détail et la restauration, qui vendait essentiellement des parapluies et des articles de maroquinerie. Il a en outre démontré qu’il était extrêmement courant au Japon de faire appel à un “homme de paille” dans les procédures d’opposition lorsque l’opposant souhaitait garder l’anonymat, et que cette pratique était tout à fait légale puisque l’article 55 de la loi japonaise sur les brevets dispose que “toute personne peut faire opposition à la délivrance d’un brevet”. Estimant qu’une telle manière de procéder était en revanche contraire au droit et à la pratique en vigueur à l’OEB, l’intimé a demandé à la Chambre de se faire confirmer par le requérant qu’il agissait exclusivement en son propre nom et non pour un tiers non indiqué, et par le mandataire du requérant qu’il n’avait aucune raison de penser que la personne indiquée comme requérant pouvait agir pour le compte d’une autre.

VII. La Chambre a émis une citation à une procédure orale, assortie d’une notification en date du 22 avril 1996 dans laquelle elle donnait un premier avis.

VIII. L’intimé a répondu qu’il demandait a) le rejet du recours au motif que le véritable opposant (requérant) n’avait pas été correctement identifié ou bien, à titre subsidiaire, b) que soit soumise à la Grande Chambre de recours une question de droit concernant l’identité du véritable opposant et c) que l’affaire soit renvoyée à la première instance afin qu’elle examine la preuve, nouvelle, de la prétendue divulgation par M. Dugaiczyck et que, vu l’attitude de l’opposant/requérant, elle répartisse les frais dans un sens favorable au titulaire du brevet.

Le requérant a lui aussi demandé que l’affaire soit renvoyée à la première instance afin qu’elle examine la nouvelle preuve et, d’autre part, qu’il ne lui soit pas imputé de frais à ce titre. Le requérant a également demandé à la Chambre de rejeter la requête en rejet du recours ou en saisine de la Grande Chambre de recours présentée par l’intimé et, en outre, que les frais soient répartis en sa faveur en cas de saisine de la Grande Chambre de recours.

IX. Le 26 juin 1996, la Chambre a émis par fax une nouvelle notification, dans laquelle elle annonçait que la procédure orale porterait uniquement sur la requête en rejet du recours que l’intimé avait présentée au motif que le véritable opposant (opposant 3) n’avait pas été correctement indiqué, et sur le point de savoir s’il y a lieu de soumettre une question de droit à la Grande Chambre de recours conformément à l’article 112 CBE. La Chambre a en outre précisé que dans le cas où la Grande Chambre de recours serait saisie, la question de la répartition des frais ne se poserait que lorsqu’il aura été répondu à la question de droit.

X. La procédure orale a eu lieu le 2 juillet 1996. Le requérant n’y a pas pris part, au motif qu’il n’était pas prévu d’aborder de questions de fond touchant à la brevetabilité. S’agissant de l’irrecevabilité, il avait en outre soutenu par écrit qu’il y avait lieu de rejeter les requêtes a) et b) de l’intimé et de renvoyer l’affaire à la division d’opposition, étant donné que l’intimé n’avait étayé ses allégations par aucune preuve concrète et qu’il était admis que l’intérêt et les motivations de l’opposant étaient dénués de pertinence.

XI. Le requérant avait formulé par écrit les requêtes suivantes :

a) rejet de la requête de l’intimé (titulaire du brevet) visant au rejet du recours introduit au motif que le véritable opposant (requérant) n’avait pas été correctement indiqué ;

b) rejet de la requête de l’intimé (titulaire du brevet) visant à soumettre à la Grande Chambre de recours une question de droit concernant l’identité du véritable opposant ;

c) répartition des frais favorable au requérant en cas de saisine de la Grande Chambre de recours ;

d) annulation de la décision attaquée et renvoi de l’affaire à la division d’opposition afin qu’elle examine l’affiche présentée par M. Dugaiczyk lors du First annual Congress for Recombinant DNA Research, tenu à San Francisco du 25 au 27 février 1981 ;

e) pas de répartition des frais défavorable au requérant au titre de la requête d).

L’intimé a demandé

1) que les questions suivantes soient soumises à la Grande Chambre de recours :

a) le fait que la personne indiquée comme opposant agisse pour le compte d’un tiers (“le véritable opposant”) et non pour son propre compte est-il un obstacle à la recevabilité de l’opposition ?

Dans l’affirmative :

b) si le titulaire du brevet conteste la recevabilité de l’opposition au motif que l’opposant indiqué n’agit pas en son propre nom, mais est un prête-nom agissant pour le compte d’un tiers (“le véritable opposant”),

i) quel doit être le niveau de la preuve que le titulaire du brevet contestant la recevabilité d’une opposition doit fournir pour obtenir gain de cause ?

ii) en particulier, suffit-il d’établir qu’il y a “de bonnes raisons de douter” (T 635/88) de la capacité de la personne indiquée comme opposant ou faut-il s’appuyer sur des éléments qui “montrent avec une quasi-certitude que l’opposition émanait en réalité d’une personne physique ou morale déterminée, autre que la personne indiquée comme opposant” (T 590/93) ?

iii) l’article 99(1) CBE, qui dispose que “toute personne” peut faire opposition au brevet européen délivré, signifie-t-il nécessairement q ue l’on ne saurait invoquer des éléments démontrant qu’il est très improbable que l’opposant agisse en son propre nom pour étayer l’objection selon laquelle la personne indiquée comme opposant agit en tant que prête-nom ou représentant ?

iv) en particulier, lorsqu’il est prouvé que la personne indiquée comme opposant

a) ne peut avoir aucun intérêt personnel à faire opposition au brevet ;

b) n’a probablement pas les compétences techniques requises pour faire opposition au brevet ;

c) relève d’un système juridique où il est courant que des oppositions soient formées par des “hommes de paille” ;

d) a refusé de confirmer qu’il n’agissait pas pour le compte d’un tiers, alors que le titulaire du brevet l’avait expressément invité à le faire ;

et qu’il n’y a aucune preuve contraire, l’objection est-elle fondée ?

2) que l’examen des autres requêtes soit différé jusqu’à ce que la Grande Chambre de recours ait donné sa réponse.

Motifs de la décision

1. Délai pour contester la recevabilité

1.1 Il semble de plus en plus fréquent que la recevabilité d’une opposition soit contestée au motif que l’identité du véritable opposant n’a pas été révélée. Aussi semble-t-il opportun de donner l’occasion à la Grande Chambre de recours d’examiner la jurisprudence actuelle afin de déterminer, pour la gouverne des parties, non seulement les conditions dans lesquelles une telle objection peut aboutir, mais encore les délais dans lesquels elle doit être soulevée.

1.2 Dans la présente espèce, ce n’est qu’au stade du recours que la recevabilité de l’opposition et du recours formés par le requérant a été contestée. Dans la décision T 289/91 (JO OEB 1994, 649, notamment point 2.1 de l’exposé des motifs), la chambre avait estimé que l’objection relative à l’irrecevabilité de l’opposition (dans le cas par exemple où l’on conteste que l’opposant ait le droit de former opposition) peut être soulevée à tous les stades de la procédure, y compris donc au stade du recours. Dans cette affaire, la chambre avait constaté que le titulaire du brevet aurait pu soulever cette objection bien plus tôt, puisqu’il connaissait les faits sur lesquels elle se fondait, et, tout en critiquant cette contestation, avait considéré qu’il y avait lieu de l’examiner.

1.3 Les règles 56 et 65 CBE relatives à la recevabilité concernent des éléments qui ressortent directement du dossier. La Chambre estime elle aussi qu’il est légitime de décider à tout moment si l’irrecevabilité découle des éléments du dossier, par exemple si la personne indiquée comme opposant reconnaît qu’elle a formé l’opposition pour le compte d’un client en sa qualité de mandataire (cf. T 10/82, JO OEB 1983, 407). En revanche, rien n’oblige les chambres de recours, en cas de doute quant à l’identité du véritable opposant, à examiner à tout moment elles-mêmes la recevabilité de l’opposition et à demander de nouveaux moyens de preuve ou à renvoyer l’affaire à la première instance afin qu’elle mène une telle enquête. Il n’entre pas dans les attributions des chambres de recours d’entreprendre de telles enquêtes. Ce serait plutôt le rôle de la division d’opposition. Un renvoi peut toutefois entraîner un retard considérable, dans la mesure où il se peut qu’un autre recours soit formé avant même que la question ait été définitivement réglée.

1.4 Par analogie avec le principe selon lequel les opposants ne sont pas autorisés à invoquer un nouveau motif d’opposition pour la première fois au stade du recours (cf. décisions G 10/91 (JO OEB 1993, 420) et G 1/95 (JO OEB 1996, 615)), on pourrait considérer que les titulaires de brevets ne sont pas en droit de demander une enquête sur l’identité de l’opposant dès lors que les doutes n’ont pas été émis devant la division d’opposition. Des exceptions pourraient être faites dans les cas où l’on ne peut raisonnablement attendre du titulaire du brevet qu’il connaisse ou établisse plus tôt les faits sur lesquels se fonde son objection.

1.5 Les questions 1 et 2 énoncées dans le dispositif concernent donc tout particulièrement le point de savoir s’il conviendrai de ne pas examiner une objection d’irrecevabilité nécessitant un complément d’enquête et n’ayant pas été soulevée devant la division d’opposition simplement au motif qu’elle l’a été à un stade trop tardif de la procédure.

2. L’identité de l’opposant : une question peu importante ?

2.1 Il serait tout à fait conforme aux principes de la Convention sur le brevet européen de considérer la question de l’identité de l’opposant comme étant de pure forme et pratiquement comme s’il s’agissait de savoir si l’acte d’opposition est correctement rempli, l’opposant étant simplement la personne dont le nom, l’adresse et le domicile ou le siège sont, conformément à la règle 55a) CBE, inscrits dans l’acte d’opposition. De même que, selon l’article 60(3) CBE, les instances de l’Office européen des brevets doivent considérer que, dans la procédure devant l’Office européen des brevets, le demandeur est réputé habilité à exercer le droit au brevet européen, on pourrait supposer que la personne indiquée comme opposant est, à toutes fins, l’opposant. L’article 99(1) CBE dispose que “toute personne” peut faire opposition. Il n’est pas exigé que cette personne ait un intérêt quelconque à faire opposition. Aux termes de l’article 99(4) CBE, l’opposant, c’est-à-dire la personne indiquée dans l’acte d’opposition, est partie, avec le titulaire du brevet, à la procédure d’opposition. C’est le fait d’être nommé qui lui confère la qualité de partie, et non l’intérêt qu’il peut avoir.

2.2 Ainsi, une opposition contestée uniquement à raison de l’identité de l’opposant ne serait irrecevable que s’il n’est pas indiqué d’opposant du tout (cf. T 25/85 JO OEB 1986, 81) ou que s’il est prouvé de manière irréfutable que la personne indiquée comme opposant n’existe pas. Il en va de même si la personne indiquée comme opposant nie avoir cette qualité et/ou reconnaît que le véritable opposant est un tiers (cf T 10/82 supra) et s’il n’a pas été commis d’erreur aisément rectifiable lors de l’indication du nom de l’opposant (cf. T 219/86, JO OEB 1988, 254).

2.3 La Chambre n’a relevé que deux cas dans lesquels tant l’issue que les motifs invoqués ne correspondent pas à cette approche. Le premier est le cas bien particulier d’une opposition formée par le titulaire du brevet, dans lequel la Grande Chambre, dans sa décision G 9/93 (JO OEB 1994, 891), renversant la jurisprudence établie par la décision antérieure G 1/84 (JO OEB 1985, 299), a estimé qu’une telle opposition était irrecevable. Vu sa pertinence pour les questions qui se posent en l’espèce, le point 2 de l’exposé des motifs de la décision antérieure G 1/84 mérite néanmoins d’être cité :

“… Si le titulaire du brevet n’est pas autorisé à former lui-même opposition, il hésitera sans aucun doute à inciter un tiers à former opposition, s’il n’était pas déjà en relations étroites et suffisamment amicales avec celui-ci. Toute ce qu’il peut faire, c’est essayer de recourir au stratagème très ancien qu’utilisent les avocats, lorsqu’ils font appel à un “homme de paille” qu’ils chargent de former opposition. Il peut arriver avec ce système que la procédure ne soit plus qu’une comédie, puisque dans ce cas, l'”homme de paille” n’est pas un véritable tiers, mais sert simplement de prête-nom au titulaire du brevet. Si l’Office européen des brevets et le public en général ignorent les relations qui existent entre le titulaire du brevet et ce prête-nom, il y a risque de fraude ou d’abus, la procédure d’opposition pouvant être utilisée à des fins inavouées, par exemple comme manoeuvre dilatoire devant d’autres juridictions. Il n’est pas nécessaire en l’espèce que la Chambre tranche la question de la recevabilité ou de l’irrecevabilité en toutes circonstances d’une opposition formée au nom d’un “homme de paille”, et la Chambre n’entend pas se prononcer dès à présent sur cette question. Elle se bornera à faire observer qu’elle ne voit aucune raison de contester le bien-fondé de la décision rendue dans l’affaire T 10/82 “Opposition ; recevabilité/BAYER” (JO OEB 1983, 407), décision par laquelle il a été dénié le droit à un mandataire agréé de former opposition en son propre nom alors qu’il agit pour le compte d’un mandant.”

2.4 Dans la décision G 1/84, la Grande Chambre a exprimé la crainte d’une collusion, à des fins dilatoires, entre le titulaire du brevet et le prête-nom indiqué comme opposant. Or, si la personne qui fait appel à un prête-nom n’est pas elle-même partie à la procédure, une telle crainte ne semble pas fondée. Vu la décision G 9/93, une enquête peut s’imposer lorsque l’opposant entretient des relations par trop amicales avec le titulaire du brevet, ou semble agir de concert avec lui afin de retarder la procédure ; toutefois, un examen rigoureux des modifications qu’il est nécessaire d’apporter pour répondre aux motifs d’opposition et des mesures strictes destinées à accélérer la procédure permettraient probablement d’éviter les effets fâcheux d’une procédure tenant de la comédie.

2.5 La deuxième affaire dont l’issue ne correspond pas à l’approche exposée au point 2.1 ci-dessus est la décision T 635/88 (JO OEB 1993, 608). Dans cette affaire, le titulaire du brevet avait contesté la recevabilité de l’opposition déjà devant la division d’opposition en faisant valoir que le cabinet d’agents et conseils internationaux nommé comme opposant avait fait opposition pour le compte d’un tiers bien précis ; la division d’opposition avait déclaré que l’opposition était irrecevable pour ce motif. L’opposant indiqué s’était pourvu contre cette décision et avait soutenu tout au long de la procédure de recours qu’il agissait uniquement en son propre nom, et non pour le compte du tiers en question. La chambre avait néanmoins conclu qu’il existait de bonnes raisons de douter de l’identité véritable de l’opposant, ce qui n’est pas compatible avec la règle 55a) CBE. Dans ces conditions, la chambre avait considéré qu’il incombait au requérant de dissiper ces doutes. Conformément aux dispositions de l’article 117(1)g) CBE, la chambre avait demandé au requérant de produire une déclaration écrite faite sous la foi du serment, indiquant que l’opposant nommé comme tel agissait en son propre nom et non pour le compte d’un client, mais celui-ci avait refusé de satisfaire à cette demande, alléguant qu’elle n’était recevable dans aucun ordre juridique. Estimant que le doute subsistait, la chambre avait conclu que l’opposition était irrecevable.

2.6 Dans la décision T 635/88, la chambre a fait référence au point 2, cité ci-dessus, de la décision G 1/84 en relation avec le risque de réduire la procédure à une comédie, mais sans se demander si une bataille fictive entre le titulaire d’un brevet et un opposant qui n’était en fait que son prête-nom présentait vraiment une analogie avec une bataille réelle entre le titulaire du brevet et un opposant indiqué comme tel prenant ses instructions auprès d’un tiers. D’autre part, dans la décision T 635/88, la chambre a fait une distinction entre la personne “nommée comme opposant” et le véritable opposant. Or, dans la réalité, les choses peuvent être plus complexes, par exemple lorsque plusieurs personnes ont à des degrés divers intérêt à faire opposition, mais qu’une seule d’entre elles le fait en son nom propre, en ayant néanmoins le soutien des autres (cf. décision T 339/93 du 18 avril 1996). Il n’existe aucune disposition concernant l’attribution du statut d’opposant. Dans la mesure où il n’est pas exigé d’avancer un quelconque intérêt, il dès lors est difficile de montrer que l’intérêt attaché à l’opposition a été transféré et de demander que le nom de l’opposant soit modifié en conséquence. On peut raisonnablement considérer qu’il existe de nombreuses oppositions dans lesquelles la personne indiquée comme opposant, à la suite de nouveaux développements qui se sont produits depuis la formation de l’opposition, n’est plus rien d’autre qu’un pseudonyme utilisé par d’autres pour agir à leur guise. Toutefois, ces cas présenteraient les mêmes inconvénients que ceux liés à l’existence d’un “véritable” opposant agissant dans l’ombre.

2.7 La Chambre conçoit qu’il puisse être indiqué, dans l’intérêt public, d’empêcher le titulaire d’un brevet de se servir d’un prête-nom pour former une opposition, ou un mandataire de former une opposition en son propre nom alors qu’il agit en sa qualité normale de représentant d’un tiers. Pour ce qui est de la procédure d’opposition devant l’OEB toutefois, il ne semble pas qu’il y ait d’autres raisons solides d’adopter une démarche différente de celle décrite au point 2.1. Si, pour éviter que des oppositions soient formées par des hommes de paille, il fallait que les instances de l’OEB s’interrogent, à la demande du titulaire du brevet, sur les motifs sous-jacents à chaque opposition et élaborent toute une jurisprudence sur les cas dans lesquels on peut raisonnablement douter de l’identité de l’opposant, le remède serait pire que le mal, à savoir autoriser un homme de paille à faire opposition.

2.8 Déclarer que l’identité de l’opposant est une question importante tout en refusant d’enquêter d’office à ce sujet, sauf lorsqu’il a été établi de façon quasi définitive qu’un autre que la personne indiquée comme opposant dirige les opérations, risque davantage de frustrer que d’aider les titulaires de brevets.

2.9 De surcroît, la question ne semble pas revêtir une importance pour les procédures devant l’OEB. L’OEB appliquant le principe de la libre appréciation des moyens de preuve, une preuve ne saurait être acceptée, rejetée ou traitée différemment simplement parce qu’elle a été administrée par une partie ou qu’elle a ou non été produite sous la foi du serment.

2.10 Selon les parties intervenant en qualité d’opposants, la question de l’autorité de la chose jugée peut se poser dans les actions en nullité ou en révocation devant les tribunaux nationaux. Mais cette question concerne les tribunaux nationaux. De prime abord, c’est à ces tribunaux qu’il incomberait d’examiner si les parties qui comparaissent devant eux doivent être traitées comme si elles avaient été opposants dans une procédure devant l’OEB. Si un tribunal national demande à l’OEB de l’aider à clarifier ce point, les instances de l’OEB pourraient être amenées à s’interroger sur les pouvoirs dont elles disposaient en la matière ; par contre, si “toute personne” peut faire opposition, il semble légitime d’user du stratagème consistant à choisir comme opposant quelqu’un qui ne risque pas d’être impliqué dans une procédure nationale. L’OEB n’est pas tenu de considérer un tel choix comme motif d’irrecevabilité d’une opposition.

2.11 Lorsqu’un tribunal compétent déclare que l’opposant n’était ni contractuellement, ni par la législation européenne en matière de concurrence habilité à faire opposition, l’Office européen des brevets peut agir à la suite de cette déclaration ou envisager de suspendre la procédure si la demande lui en est faite. Il ne semble toutefois pas que la Convention donne aux instances de l’Office européen des brevets compétence pour examiner elles-mêmes ces questions, que ce soit au titre de la recevabilité ou à tout autre titre.

2.12 Le recours à un “homme de paille” comme partie au litige a été un moyen parfois utilisé dans l’histoire pour priver de tout fondement les demandes de dommages-intérêts ou de remboursement des frais que les tiers pourraient formuler à l’encontre de cette partie. Or, il n’a jamais été soutenu en l’espèce, ni, à la connaissance de la Chambre, dans les délibérations concernant d’autres affaires, qu’un tel risque existe dans les procédures d’opposition devant l’Office européen des brevets ou qu’il doive être pris en compte au moment de se prononcer sur la recevabilité. La répartition des frais conformément à l’article 104 CBE étant plutôt l’exception que la règle, la Chambre considère que le risque pour les autres parties de ne pas pouvoir se faire rembourser les frais qu’elles ont exposés si l’OEB décide de considérer à toutes fins que la personne indiquée dans l’acte d’opposition est l’opposant est minime.

3. Travaux préparatoires à la Convention sur le brevet européen

3.1 La question de l’opposant agissant en tant que prête-nom n’est pas abordée dans les travaux préparatoires à la Convention sur le brevet européen. Même dans les tous premiers projets, il est prévu que toute personne (“any person”, “jedermann”) peut faire opposition.

3.2 Les seuls endroits où l’on trouve trace d’une discussion ayant un certain rapport avec cette question sont le document M/PR/I, points 390 à 394 (page 52 de la version française) et l’Annexe I du document M/PR/G, point 8, consacré à la procédure d’opposition (page 198 de la version française) de la Conférence diplomatique de Munich (10 septembre – 5 octobre 1973). Il y est indiqué que les dispositions relatives à la procédure d’opposition n’ont donné lieu qu’à peu de discussions. Une proposition, dont les défenseurs prétendaient que l’intervention de l’opposant permettait de clarifier la situation juridique et tendant à supprimer la taxe d’opposition, s’est heurtée à un refus de la majorité. En renonçant à la perception d’une taxe, on favoriserait les oppositions à caractère dilatoire. D’autre part, les propres intérêts de l’opposant sont au premier plan.

4. Questions proposées par l’intimé

4.1 La Chambre n’a pas retenu la formulation des questions proposée par l’intimé (cf. point XI supra), étant donné qu’elles ne portent pas exactement sur les interrogations de la Chambre en ce qui concerne l’interprétation de l’article 99(1) CBE.

4.2 Dans la formulation proposée, la question (a) ne fait pas apparaître la différence essentielle existant selon la Chambre entre un opposant indiqué comme tel qui ne fait que prêter son nom pour les besoins de la procédure, tout en en laissant la direction à un autre, et un opposant agissant à titre professionnel pour un tiers, dans le but peut-être de tourner les dispositions de l’article 133(2) CBE relatives à la représentation des personnes qui n’ont ni domicile ni siège sur le territoire d’un Etat contractant. Dans le deuxième cas, on pourrait considérer que l’opposition est irrecevable en raison de l’intérêt public, mais la question ne se pose pas en l’espèce.

4.3 Pour ce qui est de la question (b) proposée par l’intimé, ce n’est pas tant le niveau de preuve qui importe à l’OEB que la mesure dans laquelle une instance de l’OEB peut enquêter sur l’identité de l’opposant. Si une opposition formée par un prête-nom est irrecevable, il faudrait, afin que toutes les parties sachent à quoi s’en tenir, que le Conseil d’administration exerce la compétence que lui confère l’article 33(1)b) CBE et modifie la règle 55 CBE de telle sorte, par exemple, que l’opposant soit tenu de produire une déclaration selon laquelle il fait opposition en son propre nom et non pas sous le contrôle d’un tiers, et de le confirmer sous la foi du serment ou sous une autre forme également impérative en cas de contestation.

4.4 Dans la situation actuelle, où les instances de l’OEB sont libres de décider au cas par cas s’il y a lieu de procéder à une enquête, de définir les questions auxquelles l’opposant doit répondre et de décider quelles réponses faites sous la foi du serment sont satisfaisantes, il est difficile pour les parties de prévoir l’issue de la procédure. Il est également difficile pour les instances de l’OEB de parvenir à une décision satisfaisante sans aller au-delà de ce que l’on peut demander à un opposant. D’une part, pour être sûre de rendre la bonne décision, l’instance doit parfaitement connaître les intérêts de la personne indiquée comme opposant, ce qui d’autre part, à cette fin, exigerait de l’opposant qu’il donne des informations, concernant par exemple les parts qu’il détient dans une société ou ses projets dans le domaine couvert par le brevet, que légitimement il ne souhaite pas divulguer, ce à quoi la Convention sur le brevet européen ne saurait le contraindre.

4.5 Contrairement à l’avis émis par l’intimé dans sa question (b)ii), la Chambre ne voit pas de contradiction entre les conditions posées dans la décision T 635/88 et celles posées dans la décision T 590/93 (JO OEB 1995, 337 – c’est semble-t-il par erreur que, dans la question proposée, la décision T 530/90 a été citée à la place de la décision T 590/93). Dans le contexte de la décision 635/88, l’expression “il y a de bonnes raisons de douter” fait référence à la preuve concrète qu’un tiers avait déclaré être l’opposant dans la procédure européenne, et non à une simple supposition basée sur une preuve indiciaire. La décision ultérieure T 798/93, en date du 20 juin 1996, a confirmé cette interprétation extrêmement restrictive du sens de la décision T 635/88.

5. Les questions posées

5.1 La question 3, telle qu’elle est énoncée dans le dispositif, a trait à l’interprétation de l’article 99(1) CBE et correspond en gros à la question (a) de l’intimé. Cette question 3 dépend de la réponse à la question 1, étant donné que, si l’on considère qu’il est trop tard, au stade du recours, pour contester la recevabilité de l’opposition, il n’est logiquement pas nécessaire de répondre à la question 3 dans le cadre du présent recours. Si par contre il était répondu à la question 3 en ce sens qu’il n’y a pas de base légale permettant de contester la recevabilité en s’appuyant sur des motifs tenant à l’identité de l’opposant, il n’est pas nécessaire de répondre aux questions 1 et 2.

5.2 La question 4 telle qu’elle est énoncée dans le dispositif dépend de ce que la réponse à la question 3 exclut tout opposant agissant en tant que prête-nom ; elle concerne les circonstances dans lesquelles une enquête sur l’identité de l’opposant s’impose. Si l’identité de l’opposant revêt une si grande importance, les décisions T 635/88 et T 590/93 définissent peut-être de manière trop restrictive ces circonstances dans la mesure où elles considèrent que même une très forte vraisemblance, basée sur l’expérience, est insuffisante.

5.3 Pour le cas où, contrairement à l’opinion établie, il serait considéré que la recevabilité de l’opposition ne peut être contestée à n’importe quel stade de la procédure, la question 5 vise, pour des raisons de sécurité juridique, à ce que cette restriction ne s’applique pas aux procédures en instance.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

Les questions suivantes sont soumises pour décision à la Grande Chambre de recours :

1. Le titulaire du brevet et intimé a-t-il le droit, pendant la procédure de recours, de contester la recevabilité d’une opposition pour des motifs liés à l’identité de l’opposant et requérant, alors qu’une telle objection n’a pas été soulevée devant la division d’opposition ?

2. Si la réponse à la question 1 dépend des circonstances particulières de l’espèce, quels sont les principes juridiques régissant les circonstances à prendre en considération par une chambre de recours, lorsque celle-ci apprécie la question de savoir si la recevabilité de l’opposition peut être contestée au stade du recours ?

3. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, de quelle manière convient-il d’interpréter la disposition de l’article 99(1) CBE, selon laquelle toute personne peut faire opposition au brevet européen, et en particulier, cette disposition doit-elle être interprétée comme signifiant que toute personne peut faire opposition en son nom propre, mais pas au nom d’un opposant agissant en tant que prête-nom, à savoir d’un opposant qui se contente de prêter son nom aux fins de la procédure, tout en permettant à un tiers de conduire cette procédure ?

4. Si la réponse à la question 3 signifie que l’article 99 CBE exclut tout opposant agissant en tant que prête-nom, dans quelles circonstances, si tant est qu’il y en ait, un opposant soupçonné d’agir en tant que prête-nom peut-il être tenu de produire des éléments de preuve en vue d’établir qu’il a véritablement formé opposition en son nom, et quels éléments de preuve peut-il être tenu de fournir afin de prouver qu’il est le véritable opposant ?

5. Si les réponses aux questions ci-dessus limitent le droit de contester la recevabilité, cette restriction doit-elle s’appliquer immédiatement dans toutes les procédures en instance ?