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European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2006:G000105.20061207 | ||||||||
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Date de la décision : | 07 Décembre 2006 | ||||||||
Numéro de l’affaire : | G 0001/05 | ||||||||
Décision de saisin : | T 0039/03 | ||||||||
Numéro de la demande : | – | ||||||||
Classe de la CIB : | – | ||||||||
Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | A | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | – | ||||||||
Nom du demandeur : | – | ||||||||
Nom de l’opposant : | – | ||||||||
Chambre : | EBA | ||||||||
Sommaire : | I. Si le membre d’une chambre de recours avance, dans sa déclaration d’abstention, une raison pouvant constituer en soi un motif éventuel de récusation pour partialité, la décision relative au remplacement du membre concerné de la chambre doit normalement en tenir dûment compte (point 7 des motifs). II. Dans la procédure devant la Grande Chambre de recours, s’il n’existe pas de circonstances particulières jetant le doute sur la capacité d’un membre de la Chambre à apprécier ultérieurement les arguments d’une partie avec impartialité, un membre de la Grande Chambre de recours ne saurait éveiller de soupçon de partialité objectivement justifié, c’est-à-dire raisonnable, au sens de l’article 24(3), première phrase CBE, au motif qu’une chambre de recours dont faisait partie le membre concerné a pris position sur la question dans une décision antérieure (point 27 des motifs). |
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Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Déclaration d’abstention conformément à l’article 24(2) CBE – conditions régissant le remplacement d’un membre de la Grande Chambre de recours – soupçon de partialité à l’égard d’un membre de la Grande Chambre de recours – fondé sur la seule participation de ce membre à une décision antérieure d’une chambre de recours ayant pris position sur la question concernée – soupçon objectivement dénué de fondement | ||||||||
Exergue : |
– |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
Exposé des faits et conclusions
I. Dans les décisions T XXXX/XX en date du , T XXXX/XX en date du et T XXXX/XX en date du …, les chambres de recours 3.X.X, 3.X.X et 3.X.X ont chacune soumis des questions à la Grande Chambre de recours …. Ces questions sont depuis lors en instance devant la Grande Chambre de recours sous les numéros .
II. Le 9 mai 2006, la Grande Chambre de recours a décidé d’examiner au cours d’une procédure commune les questions de droit qui lui ont été soumises dans les affaires précitées.
III. Mme X, membre de la Grande Chambre de recours dans la procédure commune, a informé par la suite la Chambre qu’elle ne devrait pas participer à la procédure G XXXX/XX, étant donné que dans l’affaire à la base de la saisine, l’un des opposants est représenté par le cabinet de mandataires au sein duquel le mari et le fils de Mme X sont associés.
IV. Par ordonnance du Président de la Grande Chambre de recours en date du 14 juin 2006, M. Alting van Geusau a été désigné en tant que suppléant de Mme X aux fins de la procédure au titre de l’article 24(4) CBE.
V. Dans une lettre en date du 14 juin 2006, le mandataire du requérant dans l’affaire T XXXX/XX a contesté la participation de M. Y en tant que membre de la Grande Chambre de recours, au motif que celui-ci avait été membre de la chambre de recours dans l’affaire T XXXX/XX et, partant, avait déjà, semble-t-il, pris position au sujet des questions devant à présent être tranchées. Selon cette décision, l’invention (les inventions) définie(s) dans les revendications d’une demande divisionnaire détermine(nt) le contenu de la demande divisionnaire proprement dite (point 2 des motifs). La décision T XXXX/XX confirme et applique en cela la décision T 797/02. Le mandataire du requérant a affirmé que dans cette affaire, dans laquelle il était également intervenu ès qualité, la décision reposait sur un raisonnement peu clair et était dénuée de fondement juridique. Selon lui, quiconque ayant soutenu la décision T 797/02 ne saurait procéder sans parti pris au réexamen que la Grande Chambre de recours est à présent appelée à effectuer.
VI. Par ordonnance du 23 juin 2006, le Président de la Grande Chambre de recours a désigné Mme Günzel en tant que suppléante de M. Y dans la procédure au titre de l’article 24(4) CBE. M. Y a été invité à donner son avis sur l’allégation du requérant dans l’affaire T XXXX/XX.
VII. Dans son avis en date du 30 juin 2006, M. Y. a répondu qu’il ne voyait dans sa participation à la décision T XXXX/XX aucun motif de récusation. De son point de vue, il n’y avait rien, ni dans le fait qu’il avait été membre de la chambre dans l’affaire T XXXX/XX, ni dans quoi que ce soit d’autre, qui autorisât à soupçonner chez lui une tendance à favoriser ou au contraire à désavantager une ou plusieurs des parties dans les trois présentes affaires.
La décision T XXXX/XX reprend au point 2 l’avis exprimé dans la décision T 797/02 et mentionné au point V ci-dessus. Cependant, les deux décisions divergent sur un point important, à savoir que dans l’affaire T XXXX/XX, la chambre, bien qu’ayant suivi l’approche restrictive formulée dans la décision T 797/02, avait conclu sur la base des faits que la revendication modifiée était conforme aux exigences de l’article 123(2) CBE.
Même si, dans la décision T XXXX/XX, la chambre avait estimé opportun de suivre une approche plus généreuse en ce qui concerne l’application de l’article 123(2) CBE au contenu des demandes divisionnaires, cela n’aurait aucunement influé sur l’issue du recours, qui aurait été favorable au requérant dans un cas comme dans l’autre. Autrement dit, comme la condition visée à l’article 112(1)a) CBE n’était pas remplie, la chambre ne pouvait pas, dans l’affaire T XXXX/XX, saisir la Grande Chambre de recours au sujet de l’application de l’article 123(2) CBE aux demandes divisionnaires de première génération. Dans l’affaire T XXXX/XX, la chambre n’avait donc que deux possibilités, à savoir statuer comme elle l’a fait ou s’écarter de la décision T 797/02 en exposant les motifs à l’appui de son choix, conformément à l’article 15 RPCR.
Dans son avis, M. Y a fait en outre référence aux décisions T XXXX/XX et T XXXX/XX, auxquelles il avait participé en qualité de membre de la chambre.
VIII. Par notification en date du 14 juillet 2006, le rapporteur désigné aux fins de la décision relative à la récusation de membres de la Grande Chambre de recours a informé les parties de la déclaration d’abstention de Mme X, de l’allégation de partialité manifeste de M. Y, de lavis de M. Y et des remplacements effectués aux fins de la décision que la Grande Chambre de recours devait prendre au titre de l’article 24(4) CBE. Les parties ont été invitées à faire part de leurs observations.
IX. Seul la requérante dans l’affaire T XXXX/XX a envoyé des observations. Il a ainsi affirmé qu’il n’avait certes aucune raison de penser que M. Y ou Mme X n’étaient pas à même d’aborder sans parti pris le réexamen auquel la Grande Chambre de recours devait procéder, mais qu’il savait gré à Mme X de son intégrité professionnelle et à la Grande Chambre de recours de sa décision de remplacer M. Y par Mme Günzel.
X. Le 6 octobre 2006, un tiers a produit conformément à l’article 105(1) CBE une déclaration d’intervention dans la procédure d’opposition en instance devant la chambre de recours 3.X.X sous le numéro T XXXX/XX. Les pièces versées au dossier concernant la question de la récusation de Mme X et de M. Y ont été communiquées à l’intervenant. Par courrier en date du 31 octobre 2006, celui-ci a déclaré qu’il ne souhaitait pas se prononcer sur cette question.
Motifs de la décision
Déclaration d’abstention
1. Conformément à l’article 24(1) CBE, les membres de la Grande Chambre de recours ne peuvent participer au règlement d’une affaire s’ils y possèdent un intérêt personnel, s’ils y sont antérieurement intervenus en qualité de représentants de l’une des parties ou s’ils ont pris part à la décision qui fait l’objet du recours.
L’article 24(2) CBE dispose quant à lui que si, pour l’une des raisons mentionnées au paragraphe 1 ou pour tout autre motif, un membre de la Grande Chambre de recours estime ne pas pouvoir participer au règlement d’une affaire, il en avertit la Chambre.
2. Conformément à l’article 24(4), première phrase CBE, la Grande Chambre de recours décide de la suite à donner. Par conséquent, lorsqu’un membre de la Chambre déclare qu’il souhaite s’abstenir, il n’est pas automatiquement exclu de la procédure. Pour exclure le membre concerné de la Chambre, celle-ci doit statuer dans la formation prévue à l’article 24(4), deuxième phrase CBE, sur la question de savoir s’il y a lieu de remplacer ledit membre, sachant que la teneur de la décision prise par la Chambre n’est pas déterminée à l’avance par la déclaration d’abstention (cf. également la décision J 15/04 en date du 30 mai 2006 – Possible reasons for exclusion/MITSUBISHI HEAVY INDUSTRIES, LTD., point 12 des motifs). A cet égard, la CBE est en accord avec certaines législations nationales (cf. ci-dessous point 9 des motifs) tout en s’écartant de certaines autres. Ainsi, l’article 28(3) du règlement de la Cour européenne des Droits de l’Homme dispose que si un juge se déporte pour l’une des raisons précitées dans ladite règle, il en informe le président de la chambre, qui le dispense de siéger. De même, au Royaume-Uni, c’est en premier lieu au juge chargé d’une affaire qu’il appartient de décider ou non de se déporter (Locabail (UK) c. Bayfield Properties Ltd, [2000] QB 451, 478, CA (ci-après dénommée “Locabail”)).
3. Dans sa déclaration, Mme X expose ses liens de parenté étroits avec deux des associés du cabinet de mandataires représentant la requérante dans l’affaire T XXXX/XX, à la base de la saisine G XXXX/XX.
La déclaration de Mme X ne contient aucun élément tendant à montrer qu’elle possède quelque intérêt personnel dans l’issue des saisines au sens de l’article 24(1) CBE. L’article 24(2) CBE couvre cependant aussi le cas où un membre de la Grande Chambre de recours estime pour d’autres motifs ne pas pouvoir participer à la saisine.
4. Un lien de parenté étroit avec une partie constitue l’un des motifs classiques pour lesquels un juge est exclu de l’affaire concernée en vertu de la loi (cf. par exemple article 28(2)a) du règlement de la Cour européenne des Droits de l’Homme ; article 20 de la Loi autrichienne sur la procédure civile et l’organisation judiciaire (Jurisdiktionsnorm) ; article 76 de la Loi autrichienne sur les brevets ; article 41 du Code de procédure civile allemand (ZPO) ; article 51 du Code de procédure civile italien).
La situation est généralement différente lorsqu’un lien de parenté ou tout autre lien étroit existe non pas avec la partie mais avec le représentant de celle-ci (cf. toutefois l’article 51 du code de procédure civile italien).
Dans ces cas, une récusation pour soupçon de partialité est possible et doit, le cas échéant, être considérée comme justifiée en fonction de la tradition juridique de l’Etat contractant concerné (eu égard aux relations entre les juges et les avocats en général, voir par exemple au Royaume-Uni le rôle joué par les “solicitors” et les “barristers” dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles – cf. par exemple Locabail, 478) et selon les faits de la cause (AT : Fasching, Kommentar zu den Zivilprozessgesetzen, 2e édition, Vienne 2000, § 19, note 9 ; CH : Leuch/Marbach, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, 5e édition, Berne 2000, article 11, point 5.d. ; UK : Locabail, 480, Jones c. DAS Legal Expenses Insurance Co Ltd [2004] I.R.L.R. 218, CA).
5. Dans sa décision G 5/91 (JO OEB 1992, 617 – Décision susceptible de recours/DISCOVISION, point 3 des motifs), la Grande Chambre de recours a souligné l’importance de satisfaire strictement à l’obligation d’impartialité lors des procédures devant les chambres de recours et la Grande Chambre de recours, compte tenu de leurs fonctions judiciaires en tant qu’instances suprêmes en droit européen des brevets. Il convient d’admettre comme un principe général qu’une personne ne devrait pas statuer sur une affaire lorsque l’une des parties concernées peut avoir de bonnes raisons d’en soupçonner la partialité.
6. L’article 24(2) CBE a pour but de garantir ce principe en faisant obligation à un membre d’une chambre d’avertir celle-ci s’il estime ne pas pouvoir participer au règlement d’une affaire pour l’une quelconque de ces raisons. Cela permet d’éviter que les faits à la base d’une déclaration d’abstention n’apparaissent à un stade ultérieur de la procédure et ne jettent une ombre sur le processus décisionnel ou même sur la décision qui a été prise.
Aussi est-il essentiel que le public ou qu’une partie ne puisse plus concrètement soupçonner la moindre partialité après que la chambre de recours a statué, conformément à l’article 24(4) CBE, sur la déclaration d’abstention d’un membre d’une chambre (cf. également J 15/04, point 13 des motifs). Les juges et les tribunaux doivent non seulement veiller à ne pas être influencés dans leurs décisions par un intérêt personnel, mais ils doivent aussi éviter de donner l’impression d’être soumis à une telle influence (cf. Locabail, 472, qui fait référence à d’autres cas de jurisprudence).
7. Par conséquent, si un membre d’une chambre de recours avance, dans sa déclaration d’abstention, une raison pouvant constituer en soi un motif éventuel de récusation pour partialité, la décision relative au remplacement du membre concerné de la chambre doit normalement en tenir dûment compte car on peut supposer que le membre de la chambre qui soumet une telle déclaration sait mieux que quiconque s’il pourrait ou non être soupçonné de partialité (J 15/04, point 13 des motifs ; AT : Fasching, loc. cit., § 19, note 8).
8. Il est certes fondamental que les membres des chambres assument l’obligation qui leur est faite d’examiner les affaires qui leur sont confiées (Locabail, 479). Ce devoir, c’est-à-dire le droit des parties à être entendues par un juge ou un tribunal siégeant dans la formation particulière prévue par les dispositions applicables, est inscrit dans les constitutions de certains Etats contractants (article 87(3) de la Constitution fédérale autrichienne ; article 30(1) de la Constitution fédérale suisse ; article 101(1), deuxième phrase de la Loi fondamentale allemande : “Recht auf den gesetzlichen Richter”). Il est également reconnu dans la jurisprudence des chambres de recours (cf. en particulier la décision T 954/98 en date du 9 décembre 1999 – Ablehnung wegen Besorgnis der Befangenheit, point 2.2 des motifs, et la décision J 15/04, point 12 des motifs). Il est donc important que les membres d’une chambre ne puissent pas se désister à leur guise, c’est-à-dire pour des motifs qui ne sont en rien liés au but des dispositions relatives à la récusation, lesquelles visent à protéger une partie d’une éventuelle partialité du membre de la chambre concerné.
9. Cependant, il convient également d’éviter qu’un membre d’une chambre doive participer au règlement d’une affaire alors qu’il est convaincu ou qu’il craint de ne pouvoir, le cas échéant, faire preuve d’impartialité (DE : Baumbach-Lauterbach, Zivilprozessordnung, 64e édition, Munich 2006, § 48, note 10 ; UK : Locabail, 489). Cet aspect est d’ailleurs pris en considération dans les lois des Etats contractants qui attachent la plus haute importance au fait que les juges assument l’obligation qui leur est faite d’examiner les affaires qui leur ont été confiées conformément aux dispositions applicables à l’espèce, et qui ne reconnaissent pas au juge concerné le droit de se déporter de son propre chef ni n’admettent que la production d’une déclaration d’abstention ne conduise automatiquement à l’exclusion du juge en question (AT : Fasching, loc. cit., § 19, note 8 ; CH : Walder-Bohner, “Zivilprozessrecht nach den Gesetzen des Bundes und des Kantons Zürich unter Berücksichtigung anderer Zivilprozessordnungen”, 3e édition, Zurich 1983, § 6, note 14 ; DE : Baumbach/Lauterbach, loc. cit., § 48, notes 2 et 10).
10. Dans la présente espèce, aucune des parties n’a élevé d’objection à l’encontre du remplacement de Mme X par un suppléant.
11. La Grande Chambre de recours conclut par conséquent que Mme X doit être remplacée par M. Alting van Geusau.
Objection élevée contre la participation de M. Y
Exclusion
12. Personne ne conteste le fait que dans le cas de M. Y, l’article 24(1) CBE ne saurait entrer en ligne de compte. En particulier, l’existence d’un intérêt personnel n’a pas été alléguée, et la décision mentionnée par la requérante ne fait pas non plus l’objet du recours au sens de ladite disposition.
13. De plus, comme M. Y n’a pris part à aucune des procédures qui ont conduit les chambres de recours chargées de les examiner à saisir la Grande Chambre de recours, il n’est pas exclu de la présente procédure en vertu de l’article 1er(2) du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours (RPGCR) ou de l’article 2(3) du plan de répartition des affaires de la Grande Chambre de recours pour l’année 2006.
Récusation
14. Dans l’affaire T XXXX/XX, la requérante a présenté sa demande de récusation de M. Y pour cause de partialité manifeste en réponse à la notification de la Grande Chambre de recours relative aux questions soumises à la Grande Chambre et indiquant la composition de celle-ci. La demande de récusation a donc été produite en temps utile conformément à l’article 24(3), deuxième phrase CBE.
15. En vertu de l’article 24(3), première phrase CBE, les membres de la Grande Chambre de recours peuvent être récusés par toute partie s’ils peuvent être soupçonnés de partialité.
16. A l’appui de la récusation de M. Y, la requérante a fait valoir que M. Y ayant participé à la décision T XXXX/XX en date du … en tant que membre de la chambre de recours, il avait déjà, semble-t-il, pris position au sujet des questions devant à présent être tranchées. De plus, la décision à laquelle la décision T XXXX/XX se réfère repose selon lui sur un raisonnement peu clair et elle est dénuée de fondement juridique. La requérante a en outre douté que quiconque ayant soutenu la décision T 797/02 procède sans parti pris au réexamen que la Grande Chambre de recours est à présent appelée à effectuer.
17. La décision T XXXX/XX a été rendue par une chambre de recours composée de trois membres, au sein de laquelle M. Y a agi en qualité de membre juriste. Les décisions des chambres de recours sont rendues par la chambre dans son ensemble et non par l’un de ses membres à titre individuel. Les motifs de la décision reflètent en conséquence l’avis de la chambre et non l’opinion d’un de ses membres en particulier. Si les membres d’une chambre ne sont pas tous du même avis après avoir délibéré, ils doivent procéder à un vote conformément à l’article 14 du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR) et la décision est prise à la majorité. De plus, comme la délibération est secrète (article 13, troisième phrase RPCR), il est dordinaire même impossible, dans les faits, d’attribuer des avis émis dans une décision à tel ou tel membre de la chambre.
18. Cependant, même en supposant qu’un avis quelconque exprimé dans la décision T XXXX/XX puisse être attribué à M. Y compte tenu de sa participation à cette décision, la Grande Chambre de recours ne peut y voir de motif susceptible de justifier un soupçon de partialité au sens de l’article 24(3), première phrase CBE.
19. Ainsi que l’indique le texte de cette disposition, la partialité du membre de la chambre concerné ne doit pas forcément être avérée pour qu’une récusation au titre de l’article 24(3), première phrase CBE soit justifiée. L’existence d’un soupçon, c’est-à-dire une impression de partialité, suffit (ce que l’on appelle le “test objectif” dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme depuis l’affaire Piersack c. Belgique (1982), 1er octobre 1982, Série A, 5 E.H.R.R. 169, Série A, Nº53, point 30). Rien ne doit compromettre la capacité des tribunaux à garantir que justice soit rendue et soit perçue comme telle par le public (Locabail, 477). Il y va du niveau de confiance que les chambres de recours inspirent au public (T 190/03, JO OEB 2006, 502 – Partialité/XXX, fin du point 9 des motifs ; Cour européenne des Droits de l’Homme, Puolitaival et Pirttiaho c. Finlande, 23 novembre 2004, Nº54857/00, point 42).
20. La jurisprudence des chambres de recours et d’autres sources reconnaissent toutefois aussi de manière générale que le “soupçon” éprouvé par une partie doit être objectivement justifié. Des impressions purement subjectives ou de vagues soupçons ne sont pas suffisants (s’agissant de la jurisprudence des chambres de recours, voir la décision T 190/03, point 7 des motifs, ainsi que les décisions qui y sont mentionnées ; pour la Cour européenne des Droits de l’Homme : Piersack et Puolitaival loc. cit. ; AT : Fasching, § 19 Jurisdiktionsnorm, note 5 : “Befangenheit mit Grund befürchtet” ; DE : Baumbach-Lauterbach, article 42 ZPO, note 10 : “Parteiobjektiver Massstab” ; UK : Locabail, 479 : “tenuous or frivolous objection”). L’optique du justiciable concerné entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif (Cour européenne des Droits de l’Homme : Puolitaival, point 42 ; cf. également la décision T 241/98 en date du 22 mars 1999 – Ablehnung wegen Besorgnis der Befangenheit des Berichterstatters, point 4 des motifs). Il s’agit de savoir s’il y a tout lieu de penser qu’une personne raisonnable, objective et avertie éprouverait la crainte, à la lumière des faits établis, que le juge n’ait pas réglé ou ne règle pas l’affaire avec impartialité (Locabail, loc. cit.). Aussi un observateur raisonnable examinant les faits de la cause devrait-il impérativement conclure que la partie pourrait avoir de bonnes raisons de douter de l’impartialité du membre récusé (T 954/98, point 2.4 des motifs ; DE : Baumbach-Lauterbach, loc. cit., Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, 7e édition, Cologne 2005, § 27, note 43).
On ne saurait parvenir à cette conclusion en se fondant seulement sur le fait que le membre de la chambre concerné a exprimé antérieurement, dans une décision précédente ou dans la littérature, un avis sur la question de droit devant être tranchée. De plus, il importe en principe peu que l’avis formulé soit ou non correct.
21. A l’instar de tout autre juge ou tribunal, les chambres de recours ont précisément pour tâche et obligation, en tant qu’organes décisionnels, de statuer sur les affaires dont elles sont saisies conformément aux principes juridiques applicables à l’espèce, en exposant les motifs de leur décision (règle 66(2)g) CBE). Il incombe donc par essence aux chambres de recours de prendre position au sujet des questions qu’elles sont appelées à trancher dans le cadre de l’affaire examinée.
22. Le principe de l’égalité de traitement et le droit des parties à un procès équitable, tel qu’il est ancré par exemple à l’article 6(1) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (CEDH), font obligation aux chambres de recours de connaître des affaires dont elles sont chargées conformément à des critères suivis de manière uniforme et non de façon arbitraire. La définition d’une jurisprudence uniforme, appliquée de manière cohérente dans les cas individuels examinés, est donc un moyen de garantir que justice soit rendue aux parties, pour autant que les principes développés dans la jurisprudence sont appliqués aux affaires individuelles en tenant compte de leurs éventuelles spécificités.
23. Le droit de récuser un juge soupçonné de partialité a pour but d’éviter qu’un juge soit influencé dans sa décision – consciemment ou non – par des considérations étrangères à l’affaire, des préjugés et des préférences (Locabail, 480), autrement dit par des facteurs autres que les arguments qu’il estime pertinents, en fait et en droit, pour l’affaire examinée. Un soupçon de partialité peut résulter de circonstances telles qu’il pourrait y avoir lieu de suspecter une tendance à favoriser ou à désavantager une ou plusieurs des parties (voir, en termes comparables, la décision T 843/91, JO OEB 1994, 818 – Partialité/EASTMAN KODAK COMPANY, point 8 des motifs). Cependant, un tel soupçon doit être fondé sur les faits spécifiques de la cause. Pour les raisons précitées, il ne saurait être justifié par le simple argument selon lequel une question de droit a déjà été tranchée d’une certaine manière dans une décision antérieure.
Ces principes sont semble-t-il généralement admis dans le droit des Etats contractants (CH : Leuch/Marbach, article 11, point 5.c. ; DE : voir les exemples de jurisprudence cités dans Schulte, § 27, note 44, Baumbach-Lauterbach, § 42, exemples mentionnés dans la note 10 : “Allgemeine Auffassungen – nein”, “Festhalten an einer Ansicht – nein”, “Irrtum – nein”, “Rechtsansicht – nein” ; UK : Locabail, 480) ainsi que dans la jurisprudence des chambres de recours (T 261/88 en date du 16 février 1993, points 3.2 et 3.3 des motifs, T 843/91, point 8 des motifs, T 241/98, point 3 des motifs).
24. La situation pourrait être envisagée autrement si l’avis exprimé faisait apparaître des insuffisances telles qu’il y aurait lieu de penser qu’elles résultent d’une opinion préconçue (T 261/88, sommaire II, T 843/91, loc. cit. ; AT : Fasching, § 19, note 9 ; DE : Schulte, § 27, note 45, Baumbach-Lauterbach, § 42, exemples D. : “Irrtum ja”).
La situation aurait également été différente si un membre devant participer au règlement dune question s’était prononcé sur cette question dans des termes si directs, si tranchés ou si catégoriques – que ce fût au cours de la procédure ou bien en dehors de celle-ci – qu’il serait permis de douter de sa capacité à apprécier les arguments des parties sans préjugés ni opinions préconçues, et à porter un jugement objectif sur les questions examinées par lui (AT : Fasching, loc. cit., note 10 ; DE : Schulte, § 27, note 45, DE : Baumbach-Lauterbach, § 42, exemples D. : “Festhalten an einer Ansicht – ja” ; Locabail, 480). Aussi l’article 28(2)d) du règlement de la Cour européenne des Droits de l’Homme dispose-t-il qu’aucun juge ne peut participer à l’examen d’une affaire s’il a exprimé en public, par le truchement des médias, par écrit, par des actions publiques ou par tout autre moyen, des opinions qui sont objectivement de nature à nuire à son impartialité.
25. Les considérations ci-dessus doivent s’appliquer aux procédures devant la Grande Chambre de recours de la même manière qu’aux procédures devant les chambres de recours. A cet égard, l’article 24(3) CBE ne saurait être interprété différemment.
26. Le RPGCR et le plan de répartition des affaires de la Grande Chambre de recours contiennent des dispositions qui définissent les cas dans lesquels les membres ayant déjà traité d’une question soumise pour décision à la Grande Chambre de recours ne peuvent pas participer au règlement de l’affaire en instance devant cette dernière.
Conformément à l’article 1(2) RPGCR, au moins quatre des membres de la Grande Chambre de recours ne doivent pas avoir participé à la procédure devant la chambre qui soumet la question de droit. L’article 2(3) du plan de répartition des affaires de la Grande Chambre de recours pour l’année 2006 est même encore plus strict sur ce point. Il prévoit en outre que lorsqu’un membre permanent a participé à une procédure qui a conduit à la saisine de la Grande Chambre de recours, le président désigne à sa place un membre non permanent (paragraphe 1b)) après avoir consulté les membres permanents (paragraphe 1a)).
27. Par conséquent, lorsque les dispositions précitées ne s’opposent pas à ce qu’un membre de la Grande Chambre de recours ayant déjà traité de la question en tant que membre d’une chambre de recours participe à une procédure en instance devant la Grande Chambre, ledit membre ne saurait être récusé pour partialité sur la base de ce seul motif.
Au contraire, dans la procédure devant la Grande Chambre de recours, s’il n’existe pas de circonstances particulières jetant le doute sur la capacité d’un membre de la Chambre à apprécier ultérieurement les arguments d’une partie avec impartialité, un membre de la Grande Chambre de recours ne saurait éveiller de soupçon de partialité objectivement justifié, c’est-à-dire raisonnable, au sens de l’article 24(3), première phrase CBE, au motif qu’une chambre de recours dont faisait partie le membre concerné a pris position sur la question dans une décision antérieure.
De plus, d’un point de vue pratique, le fonctionnement de la Grande Chambre de recours serait gravement entravé s’il fallait exclure l’ensemble de ses membres qui ont déjà pris part à une décision d’une chambre de recours prenant position sur une question de droit soumise par la suite à la Grande Chambre. Il pourrait s’avérer impossible de trouver le nombre requis de membres de la Grande Chambre de recours pour qu’une procédure puisse être conduite. Cela vaut particulièrement pour des affaires comme les présentes saisines, qui portent sur des questions qui sont soulevées fréquemment et que les chambres de recours techniques sont toutes appelées à traiter dans un grand nombre de cas.
Opinion préconçue
28. Au point 3.2 de son avis en date du 30 juin 2006, M. Y fait valoir que la décision T XXXX/XX, en se référant à la décision T 797/02, adoptait en effet l’avis selon lequel l’invention ou la pluralité d’inventions définies dans les revendications d’une demande divisionnaire déterminent le contenu de la demande divisionnaire proprement dite aux fins de l’article 123(2) CBE. M. Y mentionne toutefois aussi les raisons pour lesquelles la chambre a fait ce choix.
Ainsi qu’il résulte de l’avis de M. Y et pour autant que le passage cité de la décision T XXXX/XX est examiné dans le contexte général de la décision, on peut en effet se demander si la chambre a bien opté pour cette position. Il ressort clairement du point 4 des motifs qu’il n’était absolument pas nécessaire de trancher cette question pour statuer, étant donné que la limitation requise s’inscrivait dans la portée des revendications de la demande divisionnaire telle que déposée (et qu’elle se fondait sur la description). La modification était par conséquent admissible même au regard de l’approche plus stricte qui a été définie au sujet des modifications apportées à des demandes divisionnaires et l’on pourrait avancer que c’était là l’unique question que la chambre avait réellement tranchée.
29. Dans lavis en date du 30 juin 2006 quil a formulé en réponse à sa récusation, M. Y s’est en outre référé à la décision T XXXX/XX en date du , à laquelle il avait pris part et dans laquelle la chambre avait accepté une limitation des revendications d’une demande divisionnaire telles que déposées et renvoyé l’affaire sans aborder à aucun moment la question de l’admissibilité d’une telle limitation au regard de l’article 76(1) CBE.
30. M. Y a également attiré l’attention de la Grande Chambre de recours sur la décision T XXXX/XX, qui a trait aux problèmes de procédure dus à la production tardive des modifications dans la procédure de recours lorsqu’un grand nombre de demandes divisionnaires sont en instance en même temps. La décision en question ne traite pas des questions soumises à la Grande Chambre de recours dans les présentes saisines.
31. Il apparaît donc clairement que rien ne permet objectivement de justifier le soupçon selon lequel M. Y aurait une quelconque opinion préconçue quant aux questions soumises à la Grande Chambre de recours dans le cadre des présentes saisines, et encore moins qu’il aurait de telles opinions préconçues quil pourrait légitimement être soupçonné de ne pas tenir dûment compte de l’ensemble des arguments avancés dans cette affaire.
32. Force est donc de rejeter la récusation de M. Y.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. Mme X est remplacée par M. Alting van Geusau.
2. La récusation de M. Y au titre de l’article 24(3) CBE est rejetée.