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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1996:T003993.19960214
Date de la décision : 14 Fevrier 1996
Numéro de l’affaire : T 0039/93
Numéro de la demande : 85304517.7
Classe de la CIB : C08J 3/12
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande :
Nom du demandeur : ALLIED COLLOIDS
Nom de l’opposant : SNF Floerger
Chambre : 3.3.03
Sommaire : 1. La nouvelle règle 71bis CBE ne doit pas être interprétée comme une invitation à produire de nouvelles preuves ou autres moyens sortant du cadre de droit et de fait constitué par les questions et motifs exposés et par les preuves avancées à cet égard tout au long de la procédure qui a précédé la procédure orale devant la chambre de recours (point 3.3 des motifs).
2. Il peut être nécessaire de reformuler le problème technique qui avait été énoncé initialement, conformément à la règle 27(1)c) CBE, dans la demande ou le brevet en litige (le problème technique “subjectif”), de manière à tenir compte d’éléments objectivement plus pertinents qui n’avaient pas été pris en considération à l’origine par le demandeur ou le titulaire du brevet. Cette reformulation conduit à définir le problème technique “objectif”, lequel représente ce qui subsiste en dernière analyse (effet obtenu), c’est-à-dire la contribution objective qu’apportent par rapport à l’état de la technique les éléments définis dans la revendication pertinente (les caractéristiques) (points 5.3.1, 5.3.2 et 5.3.3 des motifs).
3. Même si dans les définitions (généralement admises) de la notion abstraite de “l’homme du métier”, il n’est pas toujours utilisé des termes identiques pour définir les qualités de cette personne, ces définitions ont ceci de commun qu’elles ne laissent pas entendre que l’homme du métier est doté d’une quelconque capacité inventive. C’est l’existence d’une telle capacité chez l’inventeur qui distingue ce dernier de l’homme du métier abstrait (point 7.8.4 des motifs).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 56
European Patent Convention 1973 Art 113(2)
European Patent Convention 1973 Art 114(1)
European Patent Convention 1973 Art 114(2)
European Patent Convention 1973 R 27(1)(c)
European Patent Convention 1973 R 55(c)
European Patent Convention 1973 R 71a
Mot-clé : Activité inventive (oui) – combinaison de caractéristiques physiques et de caractéristiques de composition ne correspondant pas à l’enseignement de l’état de la technique
Approche problème-solution – reformulation du problème technique – problème objectif
Moyens présentés tardivement confirmant des faits et preuves produits antérieurement
Limites du pouvoir d’instruction des chambres de recours
Prise en compte des effets de la règle 71bis CBE
Exergue :

Décisions citées :
G 0007/91
G 0008/91
G 0009/91
G 0010/91
T 0020/81
T 0013/84
T 0229/85
T 0170/87
T 0246/91
T 0495/91
T 0741/91
T 1002/92
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0002/07
G 0001/08
T 0267/92
T 0739/92
T 0125/93
T 0259/94
T 0303/94
T 0305/94
T 0459/94
T 0552/94
T 0172/95
T 0322/95
T 0393/95
T 0980/95
T 0475/96
T 0426/97
T 0610/97
T 0894/97
T 0176/98
T 1029/98
T 0717/00
T 0845/02
T 0108/03
T 1264/04
T 0083/05
T 1209/05
T 0276/06
T 1397/08
T 0188/09
T 0601/09
T 1312/09
T 0584/10
T 1117/10
T 0270/11
T 0851/11
T 1422/12
T 1932/12
T 0628/14
T 0710/15

Exposé des faits et conclusions

I. A la suite du dépôt le 25 juin 1985 de la demande de brevet européen n 85 304 517.7, laquelle revendiquait la priorité d’une demande antérieure GB 8416454 en date du 28 juin 1984, la mention de la délivrance du brevet européen n 0 169 674 a été publiée le 9 mai 1990 au Bulletin européen des brevets n 19/1990. La revendication 1 s’énonçait comme suit :

“Un procédé dans lequel un polymère de haut poids moléculaire soluble ou gonflable dans l’eau est dispersé dans une phase liquide pour former une composition fluide comprenant le polymère sous la forme de particules de gel interconnectées par la phase liquide et le polymère est transformé tandis qu’il est sous la forme de la composition fluide, caractérisé en ce que les particules de gel ont une dimension pendant la transformation d’au moins 20 µm et la phase liquide est une solution aqueuse d’un agent d’équilibrage, qui empêche pratiquement l’agglomération des particules ou la dissolution du polymère pendant la transformation, la concentration de l’agent d’équilibrage dans la solution aqueuse est de 10 à 70% en poids, le rapport (en poids sec) du polymère de haut poids moléculaire à l’agent d’équilibrage est de 1 :0,3 à 1 :10, le rapport (en poids sec) de la solution aqueuse aux particules de gel est de 0,5 :1 à moins de 10 :1 et le polymère en gel et l’agent d’équilibrage sont choisis parmi les combinaisons suivantes de polymère en gel et d’agent d’équilibrage : (a) le polymère en gel est un polymère anionique et l’agent d’équilibrage est un polymère anionique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés, des mélanges de polymères cationiques solubles dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés avec des sels inorganiques et le chlorure de polydiallyldiméthylammonium ; (b) le polymère en gel est un polymère cationique et l’agent d’équilibrage est un polymère cationique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés, la polyéthylèneimine, un produit de réaction diméthylamine-épichlorhydrine et des mélanges de polymères anioniques solubles dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés avec des sels inorganiques ; (c) le polymère en gel est un polymère non ionique et l’agent d’équilibrage est un polymère anionique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés ou un polymère cationique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés ; et (d) le polymère en gel est un polymère cellulosique ou d’amidon et l’agent d’équilibrage est un polymère anionique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés”. Les revendications 2 à 16 définissaient plus en détail le procédé suivant la revendication 1.

II. Une opposition a été formée le 7 février 1991 au motif que l’objet du brevet en litige n’impliquait pas d’activité inventive (article 100 a) CBE) et s’étendait au-delà du contenu de la demande telle qu’elle avait été déposée initialement (article 100 c) CBE).

IV. Le 30 décembre 1992, le requérant (opposant) a formé un recours à l’encontre de la décision de la division d’opposition et a acquitté la taxe correspondante.

Dans le mémoire exposant les motifs du recours, déposé le 4 mars 1993, puis dans ses observations écrites, produites le 30 novembre 1993, le requérant a développé essentiellement les arguments suivants :

V. Dans un mémoire déposé le 17 septembre 1993, l’intimé (titulaire du brevet) a développé essentiellement les arguments suivants :

VI. Le 15 septembre 1995, la Chambre a établi une notification avec citation pour le 14 février 1996 à une procédure orale au titre de la règle 71(1) CBE, et, conformément à la règle 71bis CBE, a précisé que tout nouveau document devrait être produit un mois au plus tard avant la tenue de cette procédure orale. Or, les deux parties ont à plusieurs reprises produit d’autres documents et preuves.

VII. Au cours de la procédure orale, qui a eu lieu devant la Chambre le 14 février 1996, le requérant a fait valoir une autre preuve (le document D 10), qui constituait selon lui une représentation graphique des résultats obtenus à partir d’un analyseur de la taille des particules.

VIII. Le requérant a demandé que la décision attaquée soit annulée et le brevet révoqué, ou, à titre subsidiaire, que le brevet soit maintenu sous une forme définissant de façon plus restrictive les particules de gel suivant la revendication 1, compte tenu de certaines caractéristiques figurant dans la description.

L’intimé a conclu au maintien du brevet sur la base des revendications et de la description jointes à la décision attaquée, mais compte tenu des modifications produites à titre de “requête principale” le 12 janvier 1996 et indiquées à la page 12 de cette requête”, qui est jointe aux autres documents produits, ou sur la base de la “première requête subsidiaire” présentée au cours de la procédure orale.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Recevabilité de la requête présentée à titre subsidiaire par le requérant

La requête que le requérant a présentée à titre subsidiaire afin d’obtenir l’introduction de certaines caractéristiques dans les revendications du brevet en litige ne pouvait être favorablement accueillie par la Chambre puisque, conformément à l’article 113(2) CBE, l’OEB n’examine et ne prend de décision sur le brevet que dans le texte proposé ou accepté par le titulaire du brevet (c’est-à-dire par l’intimé en l’occurrence), et que celui-ci n’a ni présenté de requête en ce sens, ni donné son consentement.

En conséquence, la requête présentée à titre subsidiaire par le requérant est rejetée comme irrecevable.

3. Recevabilité de preuves produites tardivement

A six reprises, les parties ont produit des requêtes et des preuves en réponse à la notification que leur a adressée la Chambre le 15 septembre 1995, et sur ces six productions de documents, quatre ont eu lieu après la date limite fixée conformément à la règle 71bis CBE.

Le requérant avait affirmé au cours de la procédure orale que l’envoi de cette notification constituait une “invitation manifeste” à produire de nouveaux éléments de preuve, même si cela était contraire à tous les principes juridiques posés par les chambres de recours ces dernières années, et il avait ajouté que si les preuves produites après la date limite fixée conformément à la règle 71bis CBE “peuvent ne pas être prises en considération”, la Chambre devait en revanche prendre en considération celles produites avant cette date. La Chambre a dûment pris acte de ces arguments, qui selon elle appellent les observations suivantes :

3.1 Depuis l’établissement de la notification susmentionnée, il a été contesté que la règle 71bis CBE soit applicable aux procédures devant les chambres de recours : la question a en effet été soumise à la Grande Chambre de recours.

Dans ces conditions, la décision que devra prendre la Chambre au sujet des preuves produites tardivement devra à tout le moins se fonder en l’espèce non pas tant sur la règle 71bis CBE que sur les critères de fond généralement admis et appliqués dans ce type d’affaires, tels qu’ils découlent des prises de position définitives de la Grande Chambre de recours, et notamment des déclarations qu’elle a faites au sujet de la nature et de la fonction des recours dans la décision G 9/91 (JO OEB 1993, 408) et l’avis G 10/91 (JO OEB 1993, 420).

3.1.1 Selon ces déclarations, la règle 55 c) CBE a la double fonction de régir la recevabilité de l’opposition et d’établir simultanément le cadre de droit et de fait dans lequel l’examen quant au fond de l’opposition devra se dérouler. Dans la décision et l’avis en question, qui confirment un certain nombre de décisions antérieures des chambres de recours ainsi que des décisions antérieures rendues par la Grande Chambre : G 7/91 (JO OEB 1993, 356) et G 8/91 (JO OEB 1993, 346), il est précisé que la procédure de recours revêt un caractère judiciaire par opposition aux procédures purement administratives, car elle a pour fonction essentielle d’établir si la décision rendue en première instance était correcte pour ce qui est du fond.

En conséquence, au stade du recours le cadre de droit et de fait doit rester le même ou pratiquement le même que lorsque la première instance a statué, faute de quoi il ne pourrait être porté de jugement valable sur le bien-fondé de la décision rendue par la première instance. Dans un seul cas toutefois, il peut être justifié de s’écarter de ce principe : c’est celui dans lequel le titulaire du brevet accepte qu’un nouveau motif d’opposition soit pris en considération (volenti non fit injuria : à qui consent on ne fait pas tort), l’affaire devant alors normalement être renvoyée devant la première instance. La Grande Chambre de recours a aussi expressément indiqué que le pouvoir d’instruction reconnu à une chambre de recours par l’article 114(1) CBE était strictement limité par rapport à celui qui a été reconnu à l’instance du premier degré (division d’opposition), qui est une instance administrative.

3.1.2 D’après la décision T 1002/92 (JO OEB 1995, 605), il résulte de la décision et de l’avis susmentionnés que les principes en question sont également applicables lorsqu’il s’agit d’apprécier la recevabilité des “faits et justifications nouveaux, invoqués tardivement”, puisque ce sont eux qui constituent le cadre de fait de l’affaire faisant l’objet du recours, alors que la mesure dans laquelle le brevet est mis en cause par l’opposition ainsi que les motifs sur lesquels l’opposition se fonde constituent le cadre de droit de l’affaire.

En conséquence, la chambre de recours avait notamment conclu dans cette décision que, dans les procédures devant les chambres de recours, ces “faits et justifications nouveaux” ne devraient être admis qu’à titre tout à fait exceptionnel, si ces moyens se révèlent de prime abord éminemment pertinents en ce sens qu’ils risquent fort de faire obstacle au maintien du brevet européen en litige (motifs de la décision, points 3.3 et 3.4).

3.2 Soucieuse d’examiner tous les problèmes qui se posent, la Chambre en revient à présent à la question de savoir si la règle 71bis CBE est également applicable au stade de la procédure de recours. Elle ne peut admettre, comme l’a fait le requérant, qu’une modification d’une règle de procédure (c’est-à-dire de l’ancienne règle 71 CBE) puisse remettre en cause les principes juridiques bien établis, rappelés dans la décision et l’avis cités ci-dessus, qui définissent la nature et la fonction des recours et, en particulier, la portée et les effets de l’article 114(1) CBE pour ce qui est de la fonction des recours.

Autrement dit, l’interprétation correcte qui a été donnée d’un article de la CBE (en l’occurrence l’article 114) dans une décision de la Grande Chambre de recours ne saurait, de l’avis de la Chambre, être remise en question par une nouvelle règle du règlement d’exécution dont l’application n’est pas compatible avec cette interprétation, puisque, en vertu de l’article 164(2) CBE, en cas de divergence entre le texte de la Convention (l’article CBE) et le texte du règlement d’exécution, le premier de ces textes fait foi.

3.3 En tout état de cause, une notification envoyée aux parties en application de la nouvelle règle 71bis CBE ne doit pas être interprétée comme une invitation à produire de nouvelles preuves ou autres moyens sortant du cadre de droit et de fait constitué par les questions et motifs exposés et par les preuves avancées à cet égard tout au long des procédures (opposition et recours) qui ont précédé la procédure orale devant la chambre de recours.

3.4 Comme il a été mentionné plus haut, l’intimé a en l’espèce renoncé expressément à s’opposer à ce que le requérant fasse prendre en compte dans la procédure des documents qu’il avait produits tardivement (D6 à D8), et le requérant ne s’est pas opposé lui non plus à ce qu’il soit tenu compte du document (D9) produit par l’intimé en réponse à ces documents produits tardivement.

Par conséquent, en application du principe “volenti non fit injuria”, il doit être considéré que l’on a affaire à l’exception prévue par la Grande Chambre de recours, si bien que la Chambre est en droit d’admettre tous ces documents produits tardivement, dans la mesure où le titulaire du brevet ne s’est pas opposé à ce qu’ils soient pris en considération.

3.5 Un élément important à prendre en compte à cet égard est que tous ces nouveaux faits et preuves ont trait aux résultats de la mise en oeuvre du procédé divulgué dans D3, et en particulier à la nature de toutes les particules qui ont pu être formées. On ne peut donc affirmer qu’ils modifient le cadre constitué par les faits et justifications déjà pris en compte dans l’affaire sur laquelle la Chambre doit statuer, puisqu’il s’agit d’une description plus concrète, explicitant ce qui avait été enseigné implicitement dans ce document, lequel avait dès l’origine été pris en compte dans la procédure.

Ainsi, en tenant compte à titre exceptionnel de ces faits et preuves, la Chambre ne se voit pas confrontée en l’occurrence à un cas nouveau ou différent, et il n’est donc nul besoin de renvoyer l’affaire devant la première instance.

3.6 Vu tout ce qui vient d’être exposé, il suffit donc d’examiner si tous les faits et preuves produits tardivement sont pertinents (en appréciant l’importance de la preuve qu’ils constituent par rapport aux autres documents déjà pris en compte dans la procédure), et de voir si d’une manière générale le principe de l’équité a été respecté tout au long de la procédure.

3.7 Pour en revenir maintenant aux éléments de preuve soumis à la Chambre, il convient de signaler que les deux documents D6 et D7 avaient été produits à l’origine dans une autre affaire, tout à fait différente : la partie qui les avait invoqués comme preuve (en l’occurrence le titulaire du brevet) n’est pas partie à la procédure dans la présente affaire, mais l’actuel requérant était également opposant dans cette affaire. Le document D6 était un compte rendu d’expériences faisant intervenir une reproduction d’un procédé dont le document D3 donnait un exemple, et le document D7 était une photomicrographie concernant un produit obtenu par ce procédé. La photomicrographie d’origine, dont le document D7 produit dans la présente affaire est une photocopie, est un élément de preuve qui ne vaut que pour l’affaire au cours de laquelle il a été produit. La Chambre doit statuer sur le présent recours sur la seule base des faits, preuves et arguments avancés dans la présente affaire. Elle commettrait une grave faute si elle prenait en compte des éléments qui n’ont rien à voir avec la présente affaire, puisque, comme il a été indiqué plus haut, son pouvoir d’instruction se voit strictement limité, du fait qu’elle constitue une instance judiciaire et non une instance administrative.

En conséquence, dans le cas du document D7, la Chambre ne pouvait prendre en considération que la photocopie produite durant la présente procédure de recours.

Néanmoins, chacun des documents D6 à D9 complète la divulgation du document D3 en apportant des précisions supplémentaires et/ou en présentant des photographies et/ou des échantillons de produits obtenus par mise en oeuvre du procédé dont un exemple avait été décrit dans le document D3.

Tous ces documents doivent donc avoir, si on les considère en relation avec le document D3, une valeur probante supérieure à celle du seul document D3.

3.8 En outre, l’intimé ayant produit d’autres faits et preuves (D9) en riposte à ceux produits par le requérant (D6 à D8), il n’y a pas inégalité de traitement entre les parties à la procédure, si bien que la Chambre ne peut à cet égard être accusée d’avoir manqué à l’équité.

Compte tenu de tout ce qui vient d’être exposé ci-dessus, la Chambre, exerçant son pouvoir d’appréciation, a décidé de prendre en considération dans la procédure, conformément à l’article 114(1) CBE, les faits et preuves mentionnés et exposés dans les documents D6, D7, D8 et D9, et de faire droit ainsi aux requêtes des deux parties.

3.9 La situation est différente en revanche dans le cas des faits et preuves concernant la distribution de la taille des particules, documents qui se présentent sous la forme de résultats graphiques obtenus à partir d’un analyseur de la taille des particules (D10), et que le requérant a cherché à faire prendre en compte le jour même de la procédure orale.

3.9.1 Premièrement, il n’est pas acceptable qu’une partie attende la veille de la procédure orale pour produire de tels faits et preuves, car l’autre partie ne peut les examiner et y répondre que pendant la procédure orale (cf. décision T 741/91 du 22 septembre 1993, non publiée au JO OEB ; motifs de la décision, point 4.6).

Dans la présente affaire, dans laquelle les faits et preuves en question n’ont été produits que le jour même de la procédure orale, ce comportement du requérant est encore plus inacceptable.

3.9.2 Deuxièmement, la Chambre ne considère pas que les informations supplémentaires que permettrait d’obtenir une analyse de la distribution de la taille des particules seraient plus pertinentes que celles que fournissent les autres documents déjà pris en considération au cours de la procédure.

3.9.3 En conséquence, la Chambre a décidé, conformément à l’article 114(2) CBE, de ne pas prendre en compte au cours de la procédure le dernier élément de preuve, à savoir le document (D10).

4. Admissibilité de modifications …

5. L’état de la technique le plus proche ; le problème technique

5.1 Le brevet en litige vise à soumettre un polymère soluble ou gonflable dans l’eau à une transformation, par exemple un broyage ou un transport du polymère d’un point à un autre de l’usine du fabricant (page 2, lignes 3 à 7). Un problème particulier se pose lorsque la transformation implique une conversion en particules d’un gel aqueux rigide du polymère, car les particules ont tendance à former temporairement une masse agglomérée au premier contact avec l’eau (page 2, lignes 18 à 20 et 35 à 37).

Pour éviter cet inconvénient, le polymère de haut poids moléculaire soluble ou gonflable dans l’eau est dispersé dans une phase liquide pour former une composition fluide comprenant le polymère sous la forme de particules de gel interconnectées par la phase liquide, et le polymère est transformé tandis qu’il est sous la forme de la composition fluide, le procédé étant caractérisé en ce que les particules de gel ont une dimension d’au moins 20 µm pendant la transformation et en ce que la phase liquide est une solution aqueuse d’un agent d’équilibrage, qui empêche pratiquement l’agglomération des particules ou la dissolution du polymère pendant la transformation (page 3, lignes 12 à 17).

Or, le document D5, considéré comme étant l’état de la technique le plus proche, divulgue un tel procédé, car il concerne aussi la tendance du polymère, lorsque une poudre de ce polymère soluble dans l’eau est dissoute dans l’eau, à gonfler et à former des masses par agglomération des particules. Ces masses, entourées d’une fine pellicule superficielle gélatinisée, sont difficiles à désagréger et à dissoudre (page 1, troisième paragraphe).

5.3 Bien qu’il ait été unanimement admis que le document D5 constituait l’état de la technique le plus proche, il s’est posé au cours de la procédure orale la question de savoir quel devait être l’énoncé précis du problème technique résultant objectivement de la divulgation de ce document. Le requérant, sans se référer en particulier à un article ou une règle de la CBE, s’est notamment opposé à toute reformulation de ce problème technique.

La Chambre considère donc qu’il convient à ce stade de résumer les grands principes qu’elle applique pour la formulation d’un problème de ce type.

5.3.1 Aux termes de la règle 27(1)c) CBE, la description d’une demande doit “exposer l’invention, telle qu’elle est caractérisée dans les revendications, en des termes permettant la compréhension du problème technique, même s’il n’est pas expressément désigné comme tel, et celle de la solution de ce problème ; indiquer en outre, le cas échéant, les avantages apportés par l’invention par rapport à l’état de la technique antérieure”. Les documents cités dans la description sont ainsi censés refléter la connaissance qu’a le demandeur de l’état de la technique pertinent à la date de dépôt de la demande ; en conséquence, le problème technique défini initialement doit être considéré comme “subjectif”.

5.3.2 Bien qu’il soit souhaitable d’adopter la même approche que le demandeur pour ce qui est de la définition du problème technique (cf. décisions non publiées T 246/91 du 14 septembre 1993, motifs de la décision, point 4.4 ; T 495/91 du 20 juillet 1993, motifs de la décision, point 4.2 ; et T 741/91 du 22 septembre 1993, motifs de la décision, point 3.3), il arrive assez fréquemment qu’il faille reformuler ce problème pour tenir compte des documents cités dans le rapport de recherche et/ou invoqués par la suite durant la procédure d’opposition/de recours, si ces documents constituent un état de la technique plus proche de l’invention que celui qui a été initialement mentionné dans la demande.

De même, il peut se révéler nécessaire par la suite de reformuler le problème technique qui se pose et notamment de le reformuler en termes moins ambitieux, lorsqu’il a été prouvé expérimentalement que la combinaison de caractéristiques indiquée dans la revendication ne permet pas de résoudre ce problème dans l’ensemble du domaine défini dans la revendication (cf. décision T 20/81, JO OEB 1982, 217).

Dans les deux cas, la reformulation du problème technique qui avait été divulgué initialement, conformément à la règle 27(1)c) CBE, dans la demande ou le brevet en litige (le problème technique “subjectif”), sur la base d’éléments objectivement pertinents qui n’avaient pas été pris en compte à l’origine par le demandeur ou le titulaire du brevet, conduit à une définition du problème technique “objectif”.

5.3.3 Le problème technique “objectif” ainsi énoncé représente ce qui subsiste en dernière analyse (effet obtenu), c’est-à-dire la contribution objective qu’apportent par rapport à l’état de la technique les éléments définis dans la revendication pertinente (les caractéristiques).

5.3.4 Dans la présente affaire, le contenu du document D5 a déjà été pris en considération, conformément à la règle 27(1)c) CBE, dans la description du brevet en litige (page 2, ligne 65 à page 3, ligne 4), ce qui a conduit à poser le problème technique dans les termes suivants : “Aucune de ces propositions ne répond au but recherché, lequel était de fournir une suspension aqueuse stable d’un polymère soluble ou gonflable dans l’eau qui, lors de son utilisation, n’introduise pas de matières indésirables, et notamment des agents tensioactifs dans l’environnement” (page 3, lignes 9 à 11).

Ainsi, dans la présente espèce, le problème technique “subjectif” et le problème technique “objectif” sont énoncés à partir du même état de la technique (le plus proche), et ils devraient donc coïncider pour l’essentiel. Les particules en “suspension aqueuse” citées comme exemple à cet égard dans le document D5 sont de taille appréciable, de l’ordre de quelques centaines de micromètres (cf. point 5.2.6 ci-dessus).

5.3.5 Le requérant avait fait valoir qu’il n’avait pas été fait expressément référence aux agents “tensioactifs” en tant que matières indésirables dans l’énoncé du problème figurant dans la demande telle que déposée initialement, mais cette objection n’est pas pertinente.

5.3.5.1 Premièrement, il peut arriver, pour les raisons indiquées aux points 5.3.1 à 5.3.3 ci-dessus, qu’il faille modifier l’énoncé du problème objectif pour tenir compte des circonstances actuelles sans que cette reformulation du problème technique puisse appeler d’objection au titre de l’article 123(2) CBE, si l’homme du métier pouvait déduire cette formulation du problème de la demande telle que déposée initialement (cf. décision T 13/84, JO OEB 1986, 253).

A cet égard, les effets polluants des agents tensioactifs comptent peut-être parmi les effets les mieux connus, d’une façon générale, des matières indésirables du point de vue de l’environnement. Quoi qu’il en soit, l’admissibilité de cette modification, qui a été apportée avant la délivrance (cf. ci-dessus point 4.1), n’a pas été contestée.

5.3.5.2 Deuxièmement, la référence aux agents tensioactifs n’est pas un élément essentiel de l’énoncé du problème dans le brevet en litige, puisque les agents tensioactifs ne sont mentionnés que comme un exemple de matières indésirables.

5.3.6 Un autre argument qu’avait fait valoir le requérant était qu’il aurait été nécessaire dans l’énoncé du problème de prévoir le remplacement de l’agent tensioactif : cet argument est en contradiction avec l’autre objection qu’il avait lui-même soulevée en ce qui concerne la mention des agents “tensioactifs” dans l’énoncé du problème figurant dans le brevet en litige (cf. points 5.3.5 et suiv. ci-dessus). Or de toute façon, cet argument est indéfendable, puisque le remplacement en soi de l’agent tensioactif (et non l’idée qu’il fallait éviter les problèmes occasionnés par les agents tensioactifs) est un aspect de la solution plutôt qu’un élément du problème. Il est constant en effet que dans l’approche “problème-solution”, il n’est pas permis de formuler le problème technique en des termes qui préjugent de la solution (cf. décision T 229/85, JO OEB 1987, 237).

En résumé, si la référence directe aux agents “tensioactifs” dans l’énoncé du problème figurant dans le brevet en litige n’est en soi ni contestable ni injustifiée, elle n’est pas non plus essentielle ni nécessairement appropriée pour la définition objective du problème technique.

5.3.7 Compte tenu de ce qui a été exposé ci-dessus, la Chambre estime que le problème technique objectif tel qu’il se dégage de la divulgation du document D5 doit être considéré comme étant le problème de la définition d’un autre procédé d’obtention d’une suspension aqueuse stable de particules d’un polymère soluble ou gonflable dans l’eau, de taille appréciable (au moins 20 µm), qui, lors de son utilisation, n’introduise pas de matières indésirables dans l’environnement.

5.3.8 La solution de ce problème, telle qu’elle est proposée dans la revendication 1 du brevet en litige, consiste à remplacer les agents tensioactifs mentionnés dans le document D5 par une solution aqueuse contenant entre 10 % et 70 % en poids d’un agent d’équilibrage comprenant un polymère ionique soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés, le rapport (en poids sec) du polymère de haut poids moléculaire à l’agent d’équilibrage étant de l’ordre de 1 :0,3 à 1 :10, et la polarité de ces polymères étant choisie en fonction du caractère ionique, le cas échéant, et du type du polymère en gel de haut poids moléculaire à stabiliser, tel que (a) si le polymère en gel est un polymère anionique, l’agent d’équilibrage est alors un polymère anionique, des mélanges de polymères cationiques avec un sel inorganique ou du chlorure de polydiallyldiméthylammonium ; (b) si le polymère en gel est un polymère cationique, l’agent d’équilibrage est alors un polymère cationique, la polyéthylèneimine, la polydiméthylamine-épichlorhydrine ou des mé langes de polymères anioniques avec un sel inorganique ; (c) si le polymère en gel est un polymère non ionique, l’agent d’équilibrage est alors un polymère anionique ou cationique ; et (d) si le polymère en gel est un polymère cellulosique ou d’amidon, l’agent d’équilibrage est alors un polymère anionique.

5.3.9 Les nombreux exemples et exemples comparatifs figurant dans le brevet en litige montrent à l’évidence que les moyens qui ont été revendiqués permettent d’obtenir et de mettre en oeuvre des dispersions stables de particules de taille appréciable (de l’ordre de 1 000 µm). En outre, aucun de ces résultats n’a été contesté par le requérant.

5.3.10 En prétendant que la solution proposée consiste simplement à remplacer une matière indésirable du point de vue de l’environnement (l’agent tensioactif) par une autre (le polymère soluble dans l’eau de monomères éthyléniques non saturés), le requérant a avancé une affirmation non fondée puisqu’il n’a produit aucune preuve comme quoi la présence d’un polymère de faible poids moléculaire soluble dans l’eau est forcément indésirable. Au contraire, selon les déclarations – non contestées – faites par l’intimé lors de la procédure orale, ces compositions “bimodales” peuvent présenter lors de leur utilisation des propriétés extrêmement intéressantes. De toute façon, ces polymères ne polluent pas comme le feraient par exemple des agents tensioactifs typiques selon le document D5 s’ils étaient libérés dans l’environnement.

En conséquence, la Chambre reconnaît que les moyens revendiqués permettent de résoudre efficacement le problème posé.

6. Nouveauté

Il n’a pas été allégué que l’objet revendiqué n’était pas nouveau, et la Chambre ne voit aucune raison d’adopter un point de vue différent.

La Chambre considère donc que l’objet revendiqué est nouveau.

7. Activité inventive

Pour pouvoir se prononcer sur la question de l’activité inventive, il est nécessaire de déterminer si l’homme du métier qui aurait lu le document D5 se serait attendu à obtenir une suspension aqueuse stable, transformable (par ex. broyable) de particules de polymère en gel de haut poids moléculaire et de taille appréciable (au moins 20 µm) en remplaçant les agents tensioactifs selon le document D5 par des polymères ioniques de monomères éthyléniques non saturés, mélangés le cas échéant à des sels inorganiques, suivant les quantités et proportions spécifiques indiquées au point 5.3.8 ci-dessus.

7.8 Or, un point essentiel de l’argumentation du requérant était que les agents d’équilibrage revendiqués étaient évidents du fait que dans la demande qui avait été déposée initialement, les agents tensioactifs et les agents d’équilibrage étaient présentés comme des moyens “parfaitement équivalents” de résoudre le problème posé (cf. point IV. (e) ci-dessus). Toujours selon cette argumentation, l’inventeur était aussi un homme du métier, et, s’il était évident que les agents d’équilibrage utilisés à la place des agents tensioactifs constituaient simplement un autre moyen de stabiliser les dispersions du polymère en gel, ce remplacement des agents tensioactifs par des agents d’équilibrage s’imposait lui aussi à l’évidence à l’homme du métier, à la date de priorité.

7.8.4 Enfin, l’argument selon lequel ce qui aurait été évident pour l’inventeur aurait dû aussi être évident pour l’homme du métier – l’inventeur étant normalement lui aussi un homme du métier – repose sur une confusion fondamentale entre la notion d'”inventeur” et celle d'”homme du métier”.

Il existe un certain nombre de définitions généralement admises de la signification que revêt l’expression “homme du métier” utilisée dans le droit européen des brevets, cf. p. ex. Schulte “Patentgesetz mit EPÜ” (5e édition, Carl Heymanns Verlag, 1994, page 116, point 4.10), qui considère qu’il s’agit d’un spécialiste du domaine considéré, ayant des connaissances et des capacités moyennes, et non d’un expert aux qualités exceptionnelles, éminent ou brillant ; cf. aussi les Directives de l’OEB (C-VI, 9.6), selon lesquelles l’homme du métier est censé être un “praticien normalement qualifié”.

Même si dans ces définitions (généralement admises) de la notion abstraite de “l’homme du métier” il n’est pas toujours utilisé des termes identiques pour définir les qualités de cette personne, ces définitions ont ceci de commun qu’elles ne laissent pas entendre que l’homme du métier est doté d’une quelconque capacité inventive. Au contraire, c’est l’existence d’une telle capacité chez l’inventeur qui distingue ce dernier de l’homme du métier abstrait, et il faut effectivement que l’inventeur soit doué d’une telle capacité, car les inventions, si surprenantes ou inventives qu’elles paraissent, n’étaient, lorsqu’elles ont été réalisées, très probablement évidentes que pour une seule personne, à savoir l’inventeur lui-même. Par conséquent, si l’on prenait pour critère les capacités d’une personne telle que l’inventeur, la plupart, sinon la totalité des développements techniques n’impliqueraient aucune activité inventive au sens de l’article 56 CBE.

Par conséquent, pour l’appréciation de l’activité inventive, la question qu’il convient de se poser n’est pas de savoir si l’objet revendiqué aurait été évident pour une personne inventive, et encore moins pour l’inventeur lui-même, mais plutôt celle de savoir s’il aurait été évident pour une personne compétente, mais non inventive, à savoir “l’homme du métier” abstrait.

7.10 En résumé, il peut être considéré en l’occurrence que pour l’homme du métier, la solution du problème technique ne découlait pas à l’évidence de l’état de la technique. L’objet de la revendication 1 implique donc une activité inventive. …

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision de la division d’opposition est annulée.

2. L’affaire est renvoyée devant la division d’opposition, à charge pour celle-ci de maintenir le brevet sur la base du texte des revendications et de la description joint en annexe à la décision attaquée, mais compte tenu aussi du texte des modifications apportées le 12 janvier 1996 dans le cadre de la requête principale, tel qu’il est reproduit en annexe à cette requête, page 12, sous le titre “requête principale”, après adaptation de la description, le cas échéant.