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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1992:J000191.19920331
Date de la décision : 31 Mars 1992
Numéro de l’affaire : J 0001/91
Décision de la Grande Chambre des recours G 0003/92
Numéro de la demande : 90304744.7
Classe de la CIB :
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande :
Nom du demandeur : Latchways
Nom de l’opposant :
Chambre : 3.1.01
Sommaire : La question de droit suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Si une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur et que cette personne, conformément aux dispositions particulières de l’article 61(1) CBE, dépose une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention en vertu des dispositions de l’article 61(1)b) CBE, faut-il, pour que la demande soit admise, que la demande initiale usurpatoire soit toujours en instance devant l’OEB lors du dépôt de la nouvelle demande ?
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 60
European Patent Convention 1973 Art 61
European Patent Convention 1973 Art 112(1)(a)
European Patent Convention 1973 Art 125
European Patent Convention 1973 Art 164
European Patent Convention 1973 R 13
European Patent Convention 1973 R 14
European Patent Convention 1973 R 15
European Patent Convention 1973 R 16
Mot-clé : Décision rendue par un tribunal d’un Etat contractant et passée en force de chose jugée
Partie autre que le demandeur ayant droit à l’obtention d’un brevet
Retrait de la demande initiale
Demande initiale en instance
Droit à l’obtention d’un brevet
Dépôt d’une nouvelle demande de brevet
Saisine de la Grande Chambre de recours
Exergue :

Décisions citées :
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :

Exposé des faits et conclusions

I. Le 1er mai 1990, Latchways Limited a déposé la demande de brevet européen n° 90 304 744.7 en vertu de l’article 61(1)b) CBE. Cette demande a été déposée à la suite d’une décision passée en force de chose jugée, rendue le 6 mars 1990 par le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni, saisi en application de l’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni pour trancher la question de savoir si la société Latchways Limited (ci-après désignée “Latchways”) avait droit à l’obtention d’un brevet européen sur la base de la demande de brevet européen n° 85 400 859.6. Cette dernière, ci-après dénommée “demande de brevet européen Dodge”, avait été déposée le 2 mai 1985 par Cleveland E. Dodge JR et revendiquait la priorité de la demande américaine n° 606 351, déposée le 2 mai 1984.

II. D’après les preuves apportées, la succession des événements qui a conduit à saisir le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni en ce qui concerne le droit pour Latchways à la demande de brevet européen Dodge a été la suivante :

En juin 1982, Dodge, décrit par le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni comme “quelqu’un qui voulait exploiter ou développer le produit de Latchways aux Etats-Unis”, s’est fait montrer, à titre confidentiel, par des représentants de Latchways respectivement un prototype et un échantillon de deux dispositifs de saisie de câble. Le 2 mai 1984, Dodge a déposé une demande de brevet américain pour un dispositif de saisie de câble et a ensuite déposé la demande de brevet européen Dodge le 2 mai 1985, en revendiquant la priorité de la demande américaine.

La demande de brevet européen Dodge a été publiée le 4 décembre 1985 sous le n° EP-A-0 163 563. Elle a ensuite été réputée retirée avec effet à compter du 5 août 1986 pour défaut de paiement de la taxe d’examen (article 94(3) CBE).

Latchways a poursuivi ses travaux sur les dispositifs de saisie de câbles et a déposé le 14 novembre 1986 la demande n° 8 627 320 au Royaume-Uni. Une demande de brevet européen (n° 87 309 752.1), revendiquant la priorité de la demande britannique, a été déposée le 4 novembre 1987 et publiée le 29 juin 1988 sous le n° EP-A-0 272 782. Latchways a eu connaissance de la demande antérieure déposée par Dodge à la lecture du rapport de recherche européenne qu’elle a reçu le 28 avril 1988. Le 10 août 1988, Latchways a saisi le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni en vertu de l’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni, et la décision mentionnée au point I ci-dessus a été rendue le 6 mars 1990.

Dans la question soumise en application de l’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni, Latchways a revendiqué le droit à l’obtention d’un brevet pour l’invention exposée dans la demande de brevet européen Dodge. Elle a également demandé que soit émise une ordonnance conformément à l’article 12(6), lui permettant de déposer une demande de brevet pour cette invention, en vertu de l’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets, de telle sorte que la demande soit traitée comme si elle avait été déposée à la date de dépôt de la demande de brevet européen.

III. Dans sa décision, le comptroller a estimé que Latchways avait droit à l’obtention d’un brevet pour l’invention exposée dans la demande de brevet européen Dodge. A titre de réparation, il a, comme on le lui demandait, exercé son pouvoir discrétionnaire, en application de l’article 12(6) de la Loi de 1977 sur les brevets, et décidé que Latchways pouvait déposer, en vertu de cet article, une nouvelle demande pour un brevet concernant cette invention, à condition de modifier les revendications à certains égards. Il a aussi ordonné que la nouvelle demande soit traitée comme si elle avait été déposée à la même date que la demande de brevet européen Dodge, c’est-à-dire le 2 mai 1985. Dans l’ordonnance concernant la date de priorité, le comptroller a tenu compte du fait qu’il y aurait un laps de temps considérable entre le dépôt de la demande de brevet européen Dodge et toute demande y afférante présentée par Latchways, lorsqu’il a conclu que Latchways était en droit de demander un brevet pour l’invention exposée dans la demande de brevet européen Dodge. Il a estimé que Latchways avait fait preuve de prudence en divulgant son invention à Dodge à titre confidentiel et avait agi dans un délai raisonnable après avoir appris l’existence de la demande de brevet européen Dodge.

IV. Le 1er mai 1990, Latchways a déposé, en vertu de l’article 61(1)b) CBE, une nouvelle demande de brevet européen ayant pour objet l’invention divulguée dans la demande de brevet européen Dodge. Latchways a fait valoir que la décision rendue par le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni le 6 mars 1990 était une décision passée en force de chose jugée au sens de l’article 61(1) CBE et qu’elle devait être reconnue en vertu du Protocole sur la compétence judiciaire et la reconnaissance de décisions portant sur le droit à l’obtention du brevet européen, annexé à la CBE (ci-après dénommé le protocole sur la reconnaissance).

V. Dans la décision attaquée, la Section de dépôt a rejeté la requête présentée par Latchways et visant à ce que sa demande soit considérée comme une demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE, au motif qu’une demande ne peut être déposée en vertu de l’article 61 (et des règles correspondantes) que “dans le cadre d’une procédure initiale en instance”. Etant donné que la demande de brevet européen Dodge était réputée retirée avec effet à compter du 5 août 1986, le dépôt de la demande au titre de l’article 61(1)b) n’était pas valable. La Section de dépôt s’est appuyée sur la décision T 146/82 qui, selon elle, “fait clairement dépendre la suspension de la procédure d’une procédure initiale encore en instance”, et a cité le passage suivant du sommaire de la décision : “pour autant que la demande de brevet européen n’a pas été retirée ou n’est pas réputée retirée”. La Section de dépôt a donc ordonné que la demande soit traitée comme une nouvelle demande de brevet européen et que le 1er mai 1990 soit considéré comme sa date de dépôt. La priorité de la demande de brevet américain n° 606 351 en date du 2 mai 1984 n’a pas été reconnue, plus d’un an s’étant écoulé entre cette date et le 1er mai 1990, date de dépôt attribuée par la Section de dépôt à la demande de Latchways.

VI. Latchways a fait appel de la décision de la Section de dépôt, en formant un recours, en déposant un mémoire exposant les motifs du recours et en acquittant la taxe prescrite le 19 février 1991 ; elle a demandé l’annulation dans son intégralité de la décision de refuser de considérer sa demande comme une demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE. La requérante a contesté la décision au motif qu’une distinction devait être établie entre les trois possibilités offertes à la personne habilitée en application de l’article 61, paragraphe (1), lettres a), b) et c) et que le paragraphe (1), lettre b) n’exigeait pas qu’une demande soit en instance. La seule restriction prévue à l’article 61 est que le brevet européen ne doit pas encore avoir été délivré. En ce qui concerne la décision T 146/82, le sommaire n’aurait constitué, de l’avis de Latchways, rien de plus qu’un énoncé de l’évidence, à moins que l’on ait envisagé qu’une décision pertinente passée en force de chose jugée puisse être encore pertinente après le retrait de la demande de brevet européen initiale. Il a également été souligné dans les motifs du recours que, si le recours était rejeté, le demandeur perdrait le bénéfice de la protection conférée par le brevet à l’invention dans tous les pays désignés autres que le Royaume-Uni.

VII. Par la suite, Latchways a présenté une requête supplémentaire, en date du 21 février 1991 (reçue le 25 février 1991), par laquelle elle demandait que les taxes acquittées concernant la demande lui soient remboursées en cas de rejet du recours.

VIII. Par une notification en date du 29 septembre 1991, établie conformément à l’article 110(2) CBE, la Chambre a informé le mandataire de la requérante, à titre provisoire, que, sans préjuger de sa décision finale, elle estimait que l’article 61(1) dans son ensemble ne s’appliquait que dans le cadre d’une procédure en instance et que, de ce point de vue, il n’était pas possible d’établir de distinction entre les trois options ouvertes aux personnes habilitées. La requérante a été invitée à présenter de nouvelles observations.

Le 15 octobre 1991, la requérante a répondu à cette invitation en présentant un certain nombre d’observations qui peuvent être résumées comme suit :

L’article 61(1) CBE prévoit trois possibilités distinctes et n’exclut pas expressément le cas dans lequel la demande de brevet européen antérieure concernée n’est plus en instance. La seule condition prévue à l’article 61(1) est que le brevet européen ne doit pas encore avoir été délivré. L’article 61(3) indique seulement que les procédures à suivre sont fixées par le règlement d’exécution. Les articles de la Convention sont de la plus grande importance pour l’application des dispositions de la CBE. La règle 15, qui a précisément pour objet le dépôt d’une nouvelle demande de brevet européen par la personne habilitée et qui prévoit que la demande initiale est réputée retirée avec effet à compter de la date de dépôt de la nouvelle demande, s’accommode d’une situation dans laquelle la demande de brevet initiale a déjà été réputée retirée.

La requérante a également répété l’argument (cf. VI supra) selon lequel les droits des demandeurs seraient gravement lésés dans un certain nombre de pays européens si l’article 61 devait être interprété d’une manière beaucoup trop restrictive. L’abandon de la demande de brevet européen antérieure n’est pas imputable au demandeur. Une telle situation échappe à son contrôle.

Enfin, la requérante a fait valoir que, compte tenu de l’importance de la question, l’affaire devrait être soumise à la Grande Chambre de recours.

Motifs de la décision

1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106 à 108 ainsi qu’à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.

2. L’article 112(1)a) CBE dispose qu’une chambre de recours peut, soit d’office, soit à la requête de l’une des parties, saisir en cours d’instance la Grande Chambre de recours lorsqu’une décision est nécessaire sur une question de droit d’importance fondamentale. En l’espèce, la requérante a demandé la saisine de la Grande Chambre de recours. En outre, la Chambre de recours considère qu’une décision de la Grande Chambre de recours est nécessaire à propos de l’importante question de droit qui se pose en l’espèce, notamment en considération du fait que toute décision rendue en la matière affectera la relation existant entre la CBE et le droit national d’un Etat contractant.

3. En vertu de l’article 60(1) CBE, le droit au brevet européen appartient à l’inventeur ou à son ayant cause, et l’article 60(3) pose le principe que “dans la procédure devant l’Office européen des brevets, le demandeur est réputé habilité à exercer le droit au brevet européen”. L’article 61 prévoit toutefois un mécanisme qui peut être mis en oeuvre lorsqu’une demande de brevet européen est déposée par une personne non habilitée. Si une décision passée en force de chose jugée, rendue par un tribunal national compétent, a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur, cette personne a le droit en vertu de l’article 61(1) :

a) soit de poursuivre, aux lieu et place du demandeur, la procédure relative à la demande, en prenant cette demande à son compte (article 61(1)a)) ;

b) soit de déposer une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention (article 61(1)b)) ; ou

c) soit de demander le rejet de la demande (article 61(1)c)).

L’intéressé peut entreprendre l’une de ces démarches dans un délai de trois mois après que la décision du tribunal national est passée en force de chose jugée, à condition que le brevet européen n’ait pas encore été délivré (article 61(1)).

4. En vertu du Protocole sur la reconnaissance visé à l’article 61(1) CBE sont compétents pour les actions intentées contre le titulaire d’une demande de brevet européen visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen les tribunaux des Etats contractants (cf. article premier du Protocole sur la reconnaissance).

Sont assimilées aux tribunaux les autorités qui, selon la loi nationale d’un Etat contractant, sont compétentes pour statuer sur de telles actions (article premier, paragraphe 2 du Protocole).

5. L’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume- Uni, dans son application à un brevet européen et à une demande de brevet européen, produit effet sous réserve des dispositions de l’article 82 de ladite Loi. L’article 82(2) prévoit que l’article 12 confère au comptroller la compétence pour statuer sur certaines questions. L’article 82(3) dispose que : “le présent article s’applique à la question de savoir, avant la délivrance d’un brevet européen, si une personne a le droit de se faire délivrer un tel brevet”. D’après l’article 82(4) le tribunal et le comptroller sont compétents pour déterminer, entre autres, si la partie demandant que le brevet lui soit délivré a son domicile ou son établissement principal au Royaume-Uni, mais que le déposant n’est pas domicilié ou n’a pas son établissement principal dans l’un des Etats contractants pertinents. Cette condition est remplie en l’espèce, puisque Latchways a son établissement principal au Royaume-Uni et que Dodge est domicilié aux Etats-Unis d’Amérique.

6. Dans l’affaire faisant l’objet du recours, la compétence des tribunaux du Royaume-Uni pour statuer sur les prétentions de Latchways est expressément reconnue par l’article 3 du Protocole sur la reconnaissance qui dispose que “… lorsque la personne qui fait valoir le droit à l’obtention du brevet européen a son domicile ou son siège dans l’un des Etats contractants, les juridictions de ce dernier Etat sont seules compétentes”.

7. La question de savoir si Latchways avait le droit de se faire délivrer un brevet européen pour l’invention divulguée dans la demande de brevet européen Dodge a été soumise, en application de l’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni, au comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni. Comme on l’a vu plus haut, ce dernier avait compétence pour statuer sur la question conformément aux dispositions de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni par lesquelles les obligations du Royaume- Uni découlant de la CBE et du Protocole sur la reconnaissance reçoivent application.

8. L’article 12(1) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume- Uni, qui traite des questions du droit à se faire délivrer, entre autres, un brevet européen, dispose que :

“A tout moment avant la délivrance d’un brevet d’invention sur la base d’une demande déposée selon la législation d’un pays autre que le Royaume-Uni ou selon un traité ou une convention internationale (que la demande ait ou non été déposée) :

a) toute personne peut soumettre au comptroller la question de savoir si elle a le droit de se faire délivrer … un brevet pour cette invention ou a ou aurait un droit à ce brevet ou à cette demande ou découlant de ce brevet ou de cette demande … ; le comptroller statue sur la question pour autant qu’il puisse le faire et peut ordonner les mesures qu’il estime appropriées pour l’exécution de sa décision”.

9. L’article 12(6) traite des pouvoirs du comptroller d’ordonner, dans certains cas spécifiques, l’application d’une décision déterminant un droit en vertu de l’article 12(1), en rendant justice conformément à la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni. Il prévoit notamment qu'”en cas de rejet ou de retrait d’une demande de brevet européen (Royaume-Uni), ou en cas de retrait de la désignation du Royaume-Uni dans la demande, après la publication de la demande, mais avant qu’une question relative au droit au brevet ait été présentée au comptroller en vertu de l’alinéa 1) … le comptroller peut, lorsqu’il lui apparaît qu’une personne (autre que le déposant) a le droit de se faire délivrer un brevet en vertu de la présente Loi, ordonner que cette personne puisse … déposer une demande de brevet pour tout ou partie d’un élément compris dans la demande antérieure … et que, si cette demande de brevet en vertu de la présente Loi est déposée, qu’elle soit considérée comme ayant été déposée à la date de dépôt de la demande antérieure”.

10. Dans la présente affaire le comptroller avait donc deux points à examiner, à savoir la question qui lui était soumise en application de l’article 12(1) en vue de déterminer si Latchways avait le droit de se faire délivrer un brevet pour l’invention divulguée dans la la demande de brevet européen Dodge, ainsi qu’une requête en réparation sous la forme d’une ordonnance émise en vertu de l’article 12(6). Une décision en application de l’article 12(1) était la condition préalable à une ordonnance émise en vertu de l’article 12(6). Bien que le comptroller n’ait pas émis d’ordonnance ni de déclaration particulière au titre de l’article 12(1), il s’est déclaré convaincu, d’après les preuves fournies, que la demande de brevet européen Dodge contenait des éléments qui avaient été obtenus à titre confidentiel auprès de Latchways et que Latchways avait en principe le droit de se faire délivrer un brevet britannique pour ces éléments. Il a donc ordonné, en vertu de l’article 12(6), que Latchways puisse déposer, au titre de cet article, une nouvelle demande de brevet britannique pour l’invention divulguée dans la demande de brevet européen Dodge. Il a en outre ordonné que la nouvelle demande soit considérée comme ayant été déposée à la date de dépôt de la demande de brevet européen Dodge, c’est-à- dire le 2 mai 1985. La Chambre est convaincue que la décision du comptroller est une décision valable en vertu de l’article 12(1) de la Loi.

11. L’article 9 du Protocole sur la reconnaissance du 5 octobre 1973, mentionné plus haut, prévoit que “les décisions passées en force de chose jugée rendues dans un Etat contractant, en ce qui concerne le droit à l’obtention du brevet européen pour un ou plusieurs Etats désignés dans la demande de brevet européen, sont reconnues dans les autres Etats contractants, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure”. En outre, “il ne peut être procédé ni au contrôle de la compétence de la juridiction dont la décision doit être reconnue ni à la révision au fond de cette décision”.

12. En vertu de l’article 12(7)b) de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni, une décision est réputée définitive lorsque le délai pour en recourir a expiré sans qu’il ait été fait recours ou, en cas de recours, lorsque celui-ci a été définitivement tranché. En l’espèce, il considérée comme passée en force de chose jugée au sens de l’article 61 CBE.

13. En vertu de l’article 61 CBE et du Protocole sur la reconnaissance, la question du droit à se faire délivrer un brevet européen en cas de litige doit être tranchée par les tribunaux nationaux du pays concerné. Ces tribunaux n’ont toutefois pas le pouvoir de fournir un remède directement en application de la CBE, ceci incombant à l’OEB conformément à l’article 61 CBE. Ainsi, en l’espèce, le tribunal du Royaume-Uni ayant décidé de trancher en faveur de Latchways la question soumise en application de l’article 12(1), a émis une ordonnance en vertu de l’article 12(6) autorisant Latchways à déposer une nouvelle demande de brevet britannique ayant la date de dépôt de la demande de brevet européen Dodge.

14. La procédure permettant de rendre applicables, dans le cadre de la procédure de délivrance des brevets européens, les décisions rendues par les tribunaux nationaux concernant la question du droit à se faire délivrer un brevet est exposée à l’article 61 CBE. Cet article pose deux conditions principales qui ont toutes deux été remplies en l’espèce, à savoir : i) une personne à qui a été reconnu le droit de se faire délivrer un brevet européen doit agir, aux termes de l’article 61, dans un délai de trois mois après que la décision du tribunal national est passée en force de chose jugée ; ii) le brevet européen ne doit pas avoir été délivré.

15. Dans sa décision en date du 27 décembre 1990, la Section de dépôt a indiqué que l’article 61(1) dans son ensemble “ne s’applique que dans le cadre d’une procédure en instance” et que, de ce point de vue, on ne peut établir de distinction entre les trois options offertes à la personne titulaire du droit (cf. paragraphe 3 supra). A l’appui de cet argument, la Section de dépôt s’est référée à la décision T 146/82 qui, selon elle, “fait clairement dépendre la suspension de la procédure d’une procédure encore en instance”. Elle s’est appuyée sur le passage suivant du sommaire de la décision : “… pour autant que la demande de brevet européen n’a pas été retirée ou n’est pas réputée retirée”.

16. On peut établir une distinction entre la décision T 146/82 et la présente espèce. La décision T 146/82 concernait une requête en suspension de la procédure de délivrance d’un brevet européen en application de la règle 13 par un tiers qui avait introduit une procédure devant un tribunal national contre le demandeur, à l’effet d’établir que le droit à l’obtention du brevet européen lui appartenait. La Chambre a indiqué que : “Etant donné que la requête en suspension de la procédure de délivrance répond aux conditions énoncées à la règle 13(1) CBE et que le tiers a apporté la preuve convaincante qu’une procédure appropriée a été introduite contre la demanderesse devant l’Office des brevets du Royaume-Uni, il y a lieu de faire droit à la requête”.

17. Le passage du sommaire de la décision T 146/82, sur lequel s’est appuyée la Section de dépôt, n’apparaît pas dans la décision elle-même et ne doit donc pas être pris en considération. Néanmoins, et cela est une évidence, il n’est possible de suspendre une procédure en instance et la règle 13 n’est applicable que si une procédure est en instance. Toutefois, en l’espèce, la procédure visée à la règle 13 n’a pas été invoquée puisque la demande de brevet européen Dodge avait été retirée avant que Latchways n’apprenne son existence.

18. Dans la présente affaire, la Chambre est saisie d’une requête présentée par une personne habilitée, en vertu de l’article 61(1)b), à déposer une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention que celle exposée dans la demande initiale. Aux termes de l’article 61(2), des conditions spéciales s’appliquent à une telle nouvelle demande qui est traitée, mutatis mutandis, de la même façon qu’une demande divisionnaire. L’article 61(1)b) fait l’objet d’une disposition d’exécution séparée, la règle 15. Cette règle prévoit que la demande de brevet européen initiale est réputée retirée à compter du dépôt de la nouvelle demande et n’envisage pas le cas dans lequel la demande a déjà été retirée. Tant l’article 61 que la règle 15 restent muets sur le point de savoir si une nouvelle demande est recevable lorsque la demande antérieure a été retirée.

19. La question à trancher est celle de savoir si les trois options offertes par l’article 61(1) CBE à une personne à laquelle a été reconnu, en vertu d’une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national compétent, le droit à l’obtention d’un brevet européen, présupposent qu’une demande de brevet européen est en instance.

20. La Chambre considère que l’article 61(1) CBE peut être interprété comme donnant à la personne habilitée la possibilité d’emprunter différentes voies pour rendre applicables, en diverses circonstances, les décisions des tribunaux nationaux passées en force de chose jugée. En application de l’article 61(1)a), la personne habilitée peut poursuivre, aux lieu et place du demandeur, la procédure relative à la demande, en prenant cette demande à son compte. Dans ce cas, il faut à l’évidence qu’il y ait une demande en instance. En application de l’article 61(1)b), cas dont est saisie la Chambre, la personne habilitée peut déposer une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention. Ici, la Chambre estime qu’il y a tout lieu de se demander s’il est bien nécessaire qu’une demande soit en instance. En vertu de l’article 61(1)c), la personne habilitée peut demander le rejet de la demande ; ceci présuppose l’existence d’une demande.

21. Un certain nombre d’arguments parlent en faveur du point de vue adopté par la Section de dépôt dans sa décision du 27 décembre 1990. Les procédures prévues aux règles 13 à 15 supposent qu’une demande est en instance à la date à laquelle la personne habilitée fait valoir son droit en application de l’article 61(1) CBE. La règle 13 prévoit un mécanisme de suspension de la procédure devant l’OEB, visant à garantir qu’une demande reste en instance tant qu’une procédure concernant le droit à l’obtention d’un brevet européen se poursuit au niveau national. De la même façon, il est impossible, en vertu de la règle 14, de retirer une demande en instance au cours d’une telle procédure. Enfin, la règle 15, qui concerne la procédure particulière de dépôt d’une nouvelle demande de brevet par la personne habilitée en vertu de l’article 61(1)b), peut être interprétée comme présupposant l’existence d’une demande en instance, puisqu’elle prévoit que “la demande de brevet européen initiale est réputée retirée à compter du dépôt de la nouvelle demande”. Ainsi, ces règles donnent à la personne habilitée, à condition qu’elle ait connaissance de l’existence de la demande antérieure, les moyens de garantir que la demande initiale usurpatoire reste en instance. On peut donc faire valoir que le maintien de la demande initiale en instance est requis pour l’application de l’article 61(1) dans son ensemble, y compris l’article 61(1)b).

22. La présente Chambre de recours considère toutefois que les arguments avancés ci-dessus ne sont pas nécessairement exacts et que l’on pourrait, le cas échéant, adopter un point de vue opposé en se fondant sur les arguments suivants. L’article 61(1) CBE, comme cela a été indiqué plus haut, prévoit que deux conditions seulement doivent être remplies par la personne habilitée lorsqu’elle dépose une nouvelle demande de brevet européen en vertu de l’article 61(1)b) : elle doit déposer la nouvelle demande dans un délai de trois mois après que la décision est passée en force de chose jugée et le brevet européen ne doit pas avoir été délivré. Ces deux conditions sont remplies en l’espèce. Le texte de l’article 61 est clair. Le fait que le règlement d’exécution n’envisage pas le cas dans lequel la demande de brevet européen initiale a déjà été retirée à la date du dépôt de la nouvelle demande en application de l’article 61(1)b) n’est pas déterminant. Si une situation n’est pas spécifiquement envisagée dans le règlement d’exécution, cela ne signifie pas qu’elle ne soit pas autorisée.

En vertu de la règle 15, il est nécessaire, pour qu’une nouvelle demande puisse être présentée, que la demande antérieure soit retirée; cette règle n’est donc pas incompatible avec la situation de la présente espèce. Le règlement d’exécution doit être interprété conformément aux dispositions de la Convention et, dans les conditions de la présente espèce, l’article 61 n’empêche pas une personne habilitée de déposer une nouvelle demande de brevet européen.

23. La Chambre a tenu compte du fait que, si la demande déposée par Latchways était admise, celle-ci bénéficierait d’une date de priorité remontant à cinq ans. Après avoir examiné le bien-fondé de l’octroi de cette date de priorité, le comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni a tranché en faveur de Latchways. Il n’appartient pas à l’OEB de contester ces conclusions conformément au Protocole sur la reconnaissance. L’article 61(2) CBE, comme on l’a vu plus haut, rend les dispositions de l’article 76(1) applicables à toute nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b). En vertu de l’article 76(1), la nouvelle demande est considérée comme déposée à la date de dépôt de la demande initiale et bénéficie du droit de priorité.

24. La Grande Chambre de recours a établi des directives pour l’interprétation de la CBE (G 6/83, JO OEB 1985, 67). Les règles suivantes sont pertinentes en l’espèce :

“La Convention (CBE) doit s’interpréter de bonne foi.

Quand il n’est pas constant que les parties au Traité ont voulu donner à une expression une signification particulière, il y a lieu de reconnaître aux termes employés leur sens ordinaire, dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention.

Les travaux préparatoires peuvent être pris en considération – pour confirmer une interprétation telle qu’elle se dégage de l’application des principes ci-dessus ou – pour déterminer le sens d’un terme ou d’une expression si l’application des mêmes principes devait conduire à une interprétation soit ambigüe soit obscure ou à un résultat manifestement absurde ou déraisonnable” (cf. règles 1, 2 et 5, loc. cit. 65).

La Chambre a examiné les travaux préparatoires avec attention et estimé que ces documents ne fournissent aucune indication concluante au sujet de l’interprétation de l’article 61 et des règles s’y rapportant. Il ne semble donc pas justifié de restreindre l’applicabilité de l’article 61(1)b), en allant à l’encontre de son libellé, aux cas dans lesquels la demande de brevet européen initiale est encore en instance.

25. En vertu de la CBE et du Protocole sur la reconnaissance, comme il a été indiqué plus haut, c’est au tribunal national de déterminer si une personne est habilitée à se faire délivrer un brevet européen. Il appartient à l’OEB de rendre applicables de telles décisions en vertu de l’article 61. En l’espèce, la question se pose de savoir si le principe de base du droit de la propriété intellectuelle, selon lequel le véritable inventeur a le droit au même titre que n’importe quel autre travailleur, de jouir des fruits de son travail, doit être respecté. On peut alléguer qu’il serait contraire à la “natural justice” de dénier à une personne habilitée, en vertu de cet article, à présenter une nouvelle demande pour une invention qui lui a été dérobée, le droit de le faire, au motif que l’usurpateur qui n’est pas dans son droit a retiré ou abandonné la demande initiale usurpatoire. Les actes ou omissions de l’usurpateur ne doivent pas avoir d’effet à l’égard du véritable inventeur. En l’espèce, la personne habilitée (Latchways) n’avait pas connaissance de la demande initiale, ni le moyen d’en contrôler le traitement. Il ne peut être prétendu que Latchways aurait dû être au courant de l’existence de la demande initiale, qui avait été déposée à son insu, sans son consentement et de mauvaise foi, et constituait un abus de confiance.

26. L’interprétation de l’article 61 CBE donnée par la Section de dépôt pourrait constituer un déni de justice. La règle 13(1) CBE permet qu’une procédure de délivrance d’un brevet qui a été engagée par une personne non habilitée soit suspendue afin de protéger les droits de la personne effectivement habilitée. Or, si l’on s’en tenait à l’interprétation de la Section de dépôt, la personne habilitée qui n’a pas eu connaissance de la demande de brevet européen, perdrait ses droits, dans la mesure où la procédure devant l’OEB serait déjà close avant même qu’elle n’ait découvert l’existence de la demande initiale. Ceci serait valable même lorsque le demandeur initial aurait agi de mauvaise foi (comme c’est le cas en l’espèce) ou aurait retiré sa demande avec l’intention bien claire de contrecarrer tous les efforts déployés par le véritable inventeur pour recouvrer ses droits sur l’invention. Ainsi, un demandeur agissant de mauvaise foi pourrait déjouer la finalité de la règle 13. L’affaire soulève aussi d’importantes questions à propos du lien existant entre l’application de la CBE et du Protocole sur la reconnaissance par les tribunaux nationaux, en l’espèce ceux du Royaume-Uni, d’une part, et par l’OEB, d’autre part.

27. Les arguments avancés par la requérante dans le mémoire exposant les motifs de son recours et dans sa réponse à la notification de la Chambre soulèvent donc une question de droit d’importance fondamentale, qui est celle de savoir si, pour qu’une demande soit admise au titre de l’article 61(1)b) CBE, il est nécessaire que la demande initiale usurpatoire soit encore en instance devant l’OEB à la date de dépôt de la nouvelle demande. De l’avis de la Chambre, la CBE elle-même ne fournit pas de réponse claire à cette importante question de droit. En conséquence, la Chambre a décidé, comme le demandait la requérante, de soumettre cette question à la Grande Chambre de recours.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

La question suivante concernant un point de droit d’importance fondamentale est soumise à la Grande Chambre de recours :

Si une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur et que cette personne, conformément aux dispositions particulières de l’article 61(1) CBE, dépose une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention en vertu des dispositions de l’article 61(1)b) CBE, faut-il, pour que la demande soit admise, que la demande initiale usurpatoire soit toujours en instance devant l’OEB lors du dépôt de la nouvelle demande ?