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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2000:T024195.20000614
Date de la décision : 14 Juin 2000
Numéro de l’affaire : T 0241/95
Numéro de la demande : 91302599.5
Classe de la CIB : A61K 31/135
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Versions : OJ
Titre de la demande :
Nom du demandeur : ELI LILLY AND COMPANY
Nom de l’opposant :
Chambre : 3.3.02
Sommaire : I. L’occupation sélective d’un récepteur ne peut à elle seule être considérée comme une application thérapeutique ; tant qu’elle n’a pas trouvé d’application pratique sous la forme d’un traitement défini et réel d’une pathologie, la découverte selon laquelle une substance se lie de façon sélective à un récepteur, même si elle constitue un apport important sur le plan scientifique, ne constitue pas une contribution d’ordre technique par rapport à l’état de la technique qui permet de considérer que l’on a affaire à une invention pouvant bénéficier d’une protection par brevet (cf. point 3.1.2 des motifs).
II. Si une revendication porte sur une autre application thérapeutique d’un médicament et que la pathologie à traiter est définie en termes fonctionnels, p.ex. en tant que pathologie qui peut être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective d’un récepteur particulier, cette revendication ne peut être jugée suffisamment claire que si l’homme du métier est en mesure de déterminer les pathologies qui sont couvertes par la définition fonctionnelle et sont donc comprises dans le champ de la revendication, grâce aux indications sous forme de tests expérimentaux ou de critères pouvant être testés qu’il peut trouver dans des documents de brevets ou en faisant appel à ses connaissances générales (cf. point 3.1.1 des motifs). (Décision en accord avec la décision T 68/85, Herbicides à effet synergique/CIBA-GEIGY, JO OEB 1987, 228).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 54
European Patent Convention 1973 Art 84
European Patent Convention 1973 Art 111(1)
Mot-clé : Requête principale : clarté de la définition fonctionnelle (non)
Première requête subsidiaire : nouveauté (non) ; effet thérapeutique déjà décrit chez les animaux
Deuxième requête subsidiaire : maladies précises n’ayant jamais été prises en considération par la division d’examen – renvoi à la première instance
Exergue :

Décisions citées :
T 0068/85
T 0158/96
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 1045/98
T 1048/98
T 1031/00
T 0609/02
T 0462/06
T 0385/07
T 1911/08
T 0814/12
W 0018/03
W 0023/03

Exposé des faits et conclusions

I. La demande de brevet européen n 91 302 599.5 (n de publication 0 449 562) a été rejetée par la division d’examen sur le fondement de l’article 97(1) CBE, pour défaut de clarté et absence d’activité inventive par rapport à l’objet de la revendication 1. Cette décision de rejet avait été prise sur la base d’une seule revendication, la revendication 1 déposée par lettre en date du 4 août 1994, qui s’énonçait comme suit :

“Utilisation de la R-fluoxétine, à savoir la R-fluoxétine pratiquement exempte de S-fluoxétine, ou d’un sel ou solvate pharmaceutiquement acceptable de ladite substance, pour préparer un médicament destiné au traitement de mammifères souffrant ou susceptibles de souffrir d’une pathologie pouvant être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC”.

II. Au cours de l’examen, il a été tenu compte, entre autres, des documents suivants :

(1) Journal of Medical Chemistry, Vol. 31, N . 7, 1988, pages 1412-1417 (D.W. Robertson et al.);

(3) Psychopharmacology, Vol. 99, 1989, pages 196-201 (J.C. Neill et al.);

Un autre document ne faisant pas partie de l’état de la technique avait également été cité dans le rapport de recherche européenne comme étant utile pour la compréhension de l’invention :

(4) Neuropsychopharmacology, Vol. 5, N 1, août 1991, pages 43 à 47 (D.T. Wong, P.G. Threlkleld, D.W. Robertson).

III. La division d’examen a estimé que la revendication 1 en cause manquait de clarté car en dépit de la définition fonctionnelle utilisée dans cette revendication pour caractériser l’objet pour lequel la protection était demandée, la demande ne fournissait pas à l’homme du métier les indications dont il avait besoin pour pouvoir déterminer ce que recouvrait en réalité cette définition. En fait, bien que la portée de la revendication ne fût pas limitée aux exemples spécifiques de “pathologies” divulgués dans la description, l’homme du métier ne pouvait trouver dans la demande attaquée ni découvrir grâce à ses connaissances générales des tests ou autres indications lui permettant de déterminer toutes les autres pathologies qui peuvent être améliorées ou évitées grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC et qui sont par conséquent couvertes par la revendication.

La division d’examen avait conclu par conséquent que la revendication ne satisfaisait pas aux conditions requises par l’article 84 CBE.

En outre, elle avait estimé que l’objet revendiqué n’impliquait pas d’activité inventive.

Selon la division d’examen, le document (1) suggérait déjà l’utilisation de la fluoxétine sous forme racémique dans le traitement de pathologies également citées dans la demande en litige, si bien que l’utilisation de l’isomère R de la fluoxétine pour le traitement de ces pathologies devait être considérée comme évidente. De même, telle qu’elle avait été divulguée, la sélectivité de l’isomère R pour le récepteur 5-HTIC ne constituait pas une preuve de l’activité inventive impliquée par l’objet revendiqué puisque, toujours d’après la division d’examen, cette propriété pouvait être déduite de l’enseignement du document (3).

IV. Le demandeur a formé un recours contre cette décision et déposé, le 24 février 1995, à titre de requête principale, un jeu de quatre revendications dans lequel la revendication 1 était la même que celle qui avait été examinée par la division d’examen, ainsi que d’autres requêtes présentées à titre subsidiaire.

V. Par notification en date du 14 juin 1999, la Chambre a annoncé qu’elle avait décidé de prendre en compte dans la procédure un nouveau document appartenant à l’état de la technique, à savoir :

(5) The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences, Vol. 1, N 3, summer 1989, pages 253-262 (S.J. Peroutka et al.)

VI. En réponse à cette notification de l’Office, le requérant a produit d’autres documents et résultats d’expériences, à savoir des tests montrant que la sélectivité manifestée pour le récepteur 5-HTIC par le racémate de la fluoxétine différait de celle manifestée par les isomères R et S, ainsi que des tests montrant l’effet pharmacologique produit par la fluoxétine R sur des modèles animaux atteints de migraines, de troubles obsessionnels ou de douleurs.

VII. Lors de la procédure orale qui s’est tenue le 14 juin 2000, le requérant a maintenu telle quelle sa requête principale, mais a déposé un nouveau texte de sa première, deuxième, troisième et quatrième requêtes subsidiaires.

La revendication 1 selon la requête principale est identique à celle qui avait été examinée dans la décision attaquée. Les deux revendications 1 selon la première et selon la deuxième requêtes subsidiaires s’énoncent comme suit :

Première requête subsidiaire :

“Utilisation de la R-fluoxétine, à savoir la R-fluoxétine pratiquement exempte de S-fluoxétine, ou d’un sel ou solvate pharmaceutiquement acceptable de ladite substance, pour préparer un médicament destiné au traitement de mammifères souffrant ou susceptibles de souffrir d’une des pathologies suivantes : obésité, boulimie, alcoolisme, douleur, apnée du sommeil, troubles obsessionnels, toxicomanie ou migraine”.

Deuxième requête subsidiaire :

“Utilisation de la R-fluoxétine, à savoir la R-fluoxétine pratiquement exempte de S-fluoxétine, ou d’un sel ou solvate pharmaceutiquement acceptable de ladite substance, pour préparer un médicament destiné au traitement de mammifères souffrant ou susceptibles de souffrir d’apnée du sommeil, de toxicomanie ou de migraine”.

Les revendications 1 selon la troisième et la quatrième requêtes subsidiaires portent respectivement sur l’apnée du sommeil et sur la migraine.

VIII. Le requérant a fait valoir, par écrit et pendant la procédure orale, que l’invention reposait sur la découverte selon laquelle l’isomère R de la fluoxétine manifeste une sélectivité étonnamment élevée pour le récepteur 5-HTIC, ce qui a pour avantage que, à dose égale, la R-fluoxétine ne devrait produire aucun des effets secondaires que provoque une liaison non sélective à d’autres récepteurs.

En ce qui concerne la critique émise par la division d’examen, qui avait objecté que l’identification de toutes les pathologies couvertes par la revendication 1 (requête principale actuelle) exigerait un effort déraisonnable de la part de l’homme du métier, le requérant a rétorqué que la liaison sélective au récepteur 5-HTIC conduit déjà en soi à envisager des pathologies associées aux troubles du système nerveux central et qu’il existe de nombreux modèles animaux pour l’étude de l’évolution de ces troubles. D’autre part, l’on trouve dans la description une liste de ces pathologies, liste qui n’a qu’une valeur indicative et qui ne doit pas nécessairement être exhaustive.

En outre, l’efficacité de la R-fluoxétine dans le traitement de la migraine, de la douleur et des troubles obsessionnels a été démontrée par les tests expérimentaux dont le compte rendu figure à l’annexe Z. Toutefois, au cours de la discussion de ces tests, le requérant a admis qu’il n’était pas possible de prouver de manière concluante ni de démontrer que les effets thérapeutiques observés étaient dus à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC plutôt qu’à l’inhibition concomitante de la fixation synaptique de la sérotonine, laquelle constitue effectivement le principal effet pharmacologique de la fluoxétine.

IX. Le requérant a demandé que la décision de la division d’examen soit annulée et que le brevet soit délivré sur la base de la requête principale ou, à défaut, de l’une des quatre requêtes subsidiaires, telles qu’elles ont été présentées lors de la procédure orale.

Motifs de la décision

1. Le recours est recevable.

2. Article 123(2) CBE

Dans toutes les requêtes, la revendication 1 comprend le passage suivant : “à savoir de la R-fluoxétine pratiquement exempte de S-fluoxétine”, précision qui ne figurait pas dans le texte de la demande telle que déposée. Toutefois, en lisant la description initiale, on comprend immédiatement que l’invention porte sur l’utilisation du seul isomère R, dont il est dit aux troisième et quatrième paragraphes de la page 1 qu’il correspond à la forme sous laquelle se présente la fluoxétine selon l’invention, par opposition à la forme racémique connue. La description mentionne également plusieurs méthodes classiques pour la résolution du racémate en ses deux isomères R et S, et pour l’obtention de la forme R pure (cf. page 3, lignes 12 à 24). Par conséquent, la Chambre peut conclure que la demande telle que déposée divulguait implicitement l’utilisation de la R-fluoxétine ne comportant pas l’isomère S.

En ce qui concerne la suppression dans la revendication 1 selon chacune des requêtes subsidiaires du passage “une pathologie pouvant être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC”, la Chambre a noté que cette caractéristique de l’objet revendiqué initialement a été remplacée par une énumération de maladies précises qui dans la demande initiale étaient citées comme exemples de ladite “pathologie”. La Chambre n’étant pas en mesure et n’ayant aucune raison de réfuter les affirmations du demandeur qui avait déclaré dans la description que ces pathologies précises sont améliorées ou évitées grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC, elle considère que la modification apportée n’a pas pour effet d’étendre le contenu de la demande telle que déposée.

Par conséquent, elle estime que les revendications modifiées selon chacune des requêtes satisfont aux conditions requises à l’article 123(2) CBE.

3. Requête principale

3.1 Article 84 CBE

3.1.1 La revendication 1 définit la maladie ou le trouble à traiter par la R-fluoxétine comme étant une pathologie susceptible d’être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC. Les termes fonctionnels utilisés pour définir la pathologie à traiter peuvent être acceptés dans la mesure où la revendication continue de satisfaire aux conditions requises à l’article 84 CBE. D’après la décision T 68/85 (JO OEB 1987, 228) citée par le requérant, pour qu’une revendication puisse être considérée comme claire, il faut non seulement que l’homme du métier puisse en comprendre le contenu, mais encore qu’il puisse le mettre en pratique (cf. T 68/85, point 8.4.3). Autrement dit, la caractéristique fonctionnelle doit s’accompagner d’un enseignement technique suffisamment clair pour que l’homme du métier puisse le mettre en oeuvre. Cette mise en oeuvre de l’invention suppose que l’homme du métier soit en mesure, en lisant la demande de brevet, ou en faisant appel aux connaissances générales de l’homme du métier à la date du dépôt de la demande, de reconnaître et d’évaluer l’effet technique obtenu selon la définition fonctionnelle.

Lorsque la revendication porte, à en juger par le libellé classique qui a été adopté, sur une indication thérapeutique supplémentaire d’un médicament et que la pathologie à traiter est définie en termes fonctionnels, comme c’est le cas dans la revendication en cause, l’homme du métier doit trouver dans la demande un enseignement technique, se présentant sous la forme de résultats d’expériences ou de critères pouvant être testés, qui lui permettra de déterminer les pathologies relevant de cette définition fonctionnelle, et de savoir par conséquent si l’indication thérapeutique qui est au centre de l’invention est ou non couverte par la revendication.

3.1.2 Dans la présente espèce, l’invention repose sur la découverte selon laquelle l’isomère R de la fluoxétine fait preuve d’une sélectivité élevée pour le récepteur 5-HTIC de la sérotonine, si bien que l’indication thérapeutique revendiquée pour la R-fluoxétine est le traitement de n’importe quelle pathologie susceptible d’être améliorée ou évitée par “l’occupation sélective” de ce récepteur bien précis. La Chambre tient à souligner que “l’occupation sélective” d’un récepteur constitue indubitablement un effet pharmacologique, mais qu’elle ne peut à elle seule être considérée comme une application thérapeutique. La découverte sur laquelle repose l’invention constitue, certes, un apport important sur le plan scientifique, mais elle n’en nécessite pas moins l’existence d’une application pratique, sous la forme d’un traitement défini, réel d’une pathologie quelconque, pour qu’il puisse être considéré qu’elle apporte une contribution d’ordre technique par rapport à l’état de la technique et qu’il s’agit d’une invention pouvant bénéficier d’une protection par brevet.

A cet effet justement, la description énumère des exemples de telles pathologies, à savoir l’obésité, la boulimie, l’alcoolisme, la douleur, l’apnée du sommeil, les troubles obsessionnels, la toxicomanie et la migraine, qui devraient pouvoir être traitées selon la présente invention.

Toutefois, en raison de la définition fonctionnelle donnée de l’objet revendiqué, la portée de la revendication 1 n’est pas limitée au traitement desdites pathologies, mais englobe au contraire un nombre indéterminé d’autres pathologies, qui théoriquement pourraient toutes être améliorées ou évitées grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC. Dans ces conditions, la revendication indépendante ne peut être considérée comme claire que si l’homme du métier est en mesure de déterminer si une autre pathologie qui n’a pas été explicitement mentionnée dans la demande, mais qui réagit néanmoins elle aussi à l’administration de R-fluoxétine, est ou non couverte par la revendication 1.

3.1.3 Le requérant maintient que l’invention satisfait à cette condition puisque l’homme du métier connaît l’existence de nombreux modèles animaux pour l’étude des différents troubles du système nerveux central, qui sont utilisés pour évaluer a posteriori l’amélioration ou la prévention obtenue à l’aide de la R-fluoxétine. Par conséquent, le demandeur estime que l’homme du métier est bel et bien en mesure d’établir si une telle pathologie est ou non couverte par la revendication.

A l’appui de ces arguments, le requérant a fait valoir trois tests expérimentaux montrant l’effet exercé par la R-fluoxétine sur des modèles animaux atteints de migraine, de troubles obsessionnels ou de douleurs (annexe Z du 14 février 2000).

3.1.4 La Chambre ne peut néanmoins se rallier à l’opinion du requérant.

L’occupation sélective du récepteur 5-HTIC n’est qu’une des activités pharmacologiques de la fluoxétine, qu’elle se présente sous forme d’isomère R ou sous forme racémique. En fait, telle qu’elle est décrite dans le document (5), pages 258 et 259, et tableau 4, la fluoxétine fait preuve en outre d’une activité inhibitrice de la fixation de la sérotonine dans les synapses, et cette activité semblerait constituer son principal effet pharmaceutique. L’enseignement du document (5) se voit même confirmé par les travaux de D.W. Robertson et D.T. Wong, inventeurs cités dans la présente demande, qui ont suggéré dans le document (4) publié plus tard que l’inhibition de la fixation de la 5-hydroxy-tryptamine est le principal facteur responsable de l’augmentation de la transmission sérotoninergique et d’autres réactions pharmacologiques chez les animaux traités à la fluoxétine ou par des molécules apparentées (cf. page 43, abrégé, et page 46, “Discussion”).

Par conséquent, il convient pour l’appréciation des tests expérimentaux présentés par le requérant à l’annexe Z de tenir compte de cette activité, au moins double, de la fluoxétine. Les tests effectués montrent l’efficacité thérapeutique de la R-fluoxétine dans le traitement de la migraine, des troubles obsessionnels et de la douleur, mais il ressort à l’évidence de leur description qu’ils ne permettent nullement d’élucider le mécanisme qui conduit à l’effet en question, car ils ne sont conçus que pour vérifier l’obtention d’un résultat final, se situant essentiellement au niveau du comportement. Dès lors, ces tests, bien que prouvant effectivement l’activité thérapeutique de la R-fluoxétine, ne permettent pas de savoir si ces effets thérapeutiques sont dus à l’occupation du récepteur 5-HTIC ou à l’inhibition concomitante de la fixation de la 5-hydroxy-tryptamine, ou même à un autre effet, jusqu’ici inconnu, de la fluoxétine.

Le requérant, qui a concédé qu’il n’avait pas été démontré de façon concluante que l’activité thérapeutique qui avait été signalée était due à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC, plutôt qu’à l’inhibition de la fixation de la 5-hydroxy-tryptamine, a lui-même confirmé lors de la procédure orale que ni les tests qui avaient été invoqués, ni les autres tests connus habituellement utilisés pour étudier les troubles du système nerveux central, ne permettent d’élucider effectivement le mode d’action de la R-fluoxétine.

Dans ces conditions, la Chambre estime qu’à la date du dépôt de la demande, l’homme du métier ne disposait d’aucun moyen et ne pouvait notamment faire appel à des critères pouvant être testés pour déterminer si une “pathologie” ayant pu être améliorée ou évitée par la R-fluoxétine était ou non couverte par la définition fonctionnelle de l’objet revendiqué.

Par conséquent, la Chambre estime pour toutes ces raisons que la revendication 1 ne satisfait pas aux conditions requises à l’article 84 CBE.

4. Première requête subsidiaire

L’expression “pathologie pouvant être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC” ne figure plus dans le texte de la revendication 1 selon la première requête subsidiaire, laquelle est limitée désormais à la préparation d’un médicament destiné à traiter des pathologies bien précises, à savoir l’obésité, la boulimie, l’alcoolisme, la douleur, l’apnée du sommeil, les troubles obsessionnels, la toxicomanie ou la migraine. La Chambre estime que la formulation actuelle de la revendication est claire.

4.1 Article 54 CBE 4.1.1 Les modifications apportées à la définition de l’objet revendiqué ayant changé du tout au tout l’essence de l’invention, la Chambre considère que bien que la nouveauté de l’objet revendiqué ne soit pas contestée dans la décision attaquée, il convient désormais de l’apprécier à la lumière des antériorités qui ont été citées, et notamment du document (1).

Ce document divulgue la configuration absolue et les activités pharmacologiques des isomères R et S de la fluoxétine. Il rend compte de trois études in vivo montrant les effets de chacun des isomères pour ce qui est (a) du contrôle de la douleur endogène et de l’antinociception induite par les opiacés, (b) de l’inhibition de l’épuisement des réserves de sérotonine induit dans le cerveau de la souris et (c) de la réduction de l’ingestion (de liquide) provoquée par la palatabilité. Dans tous les modèles animaux, ces deux isomères se sont révélés actifs, avec peu de différences énantiospécifiques. Plus précisément, dans le test de contrôle de la douleur endogène, les fluoxétines R et S, injectées isolément ou en combinaison avec une dose sous-analgésique de morphine, ont produit un effet antagoniste sur la constriction abdominale induite par l’acide acétique, bloquant les convulsions en fonction de la dose utilisée, avec une efficacité légèrement supérieure de l’isomère R par rapport à l’isomère S (cf. le passage intitulé “Pharmacology”, pages 1414 et 1415). La Chambre estime que la divulgation dans le document (1) du contrôle de la douleur endogène que permet la R-fluoxétine porte atteinte à la nouveauté de la revendication 1, dans laquelle il est également question du traitement de mammifères souffrant ou susceptibles de souffrir de douleurs.

4.1.2 Au cours de la procédure orale, le requérant a fait valoir que le document (1) ne divulgue pas réellement la préparation d’un médicament au sens où l’entend la demande actuelle ou la revendication 1. En fait, l’expérimentation avait été effectuée sur des animaux, sans que l’on se propose d’obtenir un effet thérapeutique, intention qui est la caractéristique typique d’un traitement thérapeutique réel.

La Chambre tient à souligner tout d’abord que la solution de R-fluoxétine injectée aux animaux dans les différents tests décrits dans le document (1) doit effectivement être considérée comme un “médicament” puisqu’elle comporte un principe thérapeutique actif et se prête à l’utilisation comme médicament, tout au moins chez l’animal.

En outre, l’objet de la revendication 1 n’est pas un produit, mais l’utilisation d’une substance connue en tant que telle pour la préparation d’un médicament, lui aussi connu en tant que tel, en vue d’une application thérapeutique spécifique, et la nouveauté de cette revendication, si nouveau il y a, ne peut venir que de la nouveauté de cette utilisation thérapeutique.

Il est constant et largement admis que pour la protection par brevet de l’application médicale d’une substance, l’on considère que l’existence d’un effet pharmacologique ou de tout autre effet tel qu’un effet au niveau comportemental observé in vitro ou sur des modèles animaux constitue une preuve suffisante de l’existence d’une application thérapeutique si, pour l’homme du métier, l’existence de l’effet en question témoigne directement et sans ambiguïté de l’existence d’une telle application thérapeutique. Ce principe a été posé dans la décision T 158/96 en date du 28 octobre 1998 ((1999) EPOR, page 285), qui avait trait à l’existence alléguée d’une application thérapeutique laquelle, à la différence de celle dont il s’agit dans la présente espèce, n’avait pas été rendue plausible par l’existence d’un tel effet préliminaire. Au contraire, l’efficacité de la R-fluoxétine pour ce qui est du contrôle de la constriction abdominale provoquée par l’acide acétique (convulsions) et de la potentialisation de l’antinociception induite par la morphine chez la souris, comme le montre le document (1), témoigne directement et sans équivoque de l’existence de l’une des applications thérapeutiques mentionnées dans la revendication 1, à savoir le traitement de la douleur.

La Chambre estime par conséquent que l’objet de la revendication 1 est dénué de nouveauté par rapport à l’enseignement du document (1).

5. Deuxième requête subsidiaire

Les motifs exposés ci-dessus ne valent pas pour la deuxième requête subsidiaire.

La revendication 1 selon cette requête est limitée à trois pathologies bien précises : l’apnée du sommeil, la toxicomanie ou la migraine.

Plus encore que ce n’était le cas pour la première requête subsidiaire, les modifications apportées au texte de la revendication 1 ne constituent pas une simple limitation de l’étendue de la revendication, mais plutôt un changement radical de ce qui est au coeur de l’invention. Alors que l’objet de la demande telle que déposée ou telle que modifiée pendant la procédure d’examen portait sur une pathologie susceptible d’être améliorée ou évitée grâce à l’occupation sélective du récepteur 5-HTIC, elle porte désormais, après cette modification, sur trois maladies bien précises qui n’ont jamais été citées comme constituant une caractéristique d’une revendication soumise à la division d’examen.

Dans ces conditions, la Chambre, usant du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 111(1) CBE, renvoie l’affaire à la division d’examen pour poursuite de la procédure relative à la demande.

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision attaquée est annulée.

2. L’affaire est renvoyée devant la première instance, à charge pour celle-ci de poursuivre la procédure sur la base de la deuxième requête subsidiaire telle que déposée au cours de la procédure orale.