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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:1998:T037795.19980805
Date de la décision : 05 Août 1998
Numéro de l’affaire : T 0377/95
Décision de la Grande Chambre des recours G 0003/98
Numéro de la demande : 83901021.2
Classe de la CIB : A61K 39/245
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande : MATERIAUX ET PROCEDES DE VACCINATION CONTRE LE VIRUS D’HERPES SIMPLEX
Nom du demandeur : University Patents, Inc.
Nom de l’opposant : SmithKline Beecham Biologicals SA
Chambre : 3.3.04
Sommaire : La question suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Aux fins de l’article 55(1) CBE, lorsqu’une priorité est reconnue à une demande de brevet européen, la période de six mois “avant le dépôt de la demande de brevet européen” doit-elle être calculée à partir de la date de dépôt de la demande fondant la priorité (date de priorité) ou à partir de la date à laquelle la demande de brevet européen a été effectivement déposée ?
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 54
European Patent Convention 1973 Art 55
European Patent Convention 1973 Art 56
European Patent Convention 1973 Art 66
European Patent Convention 1973 Art 87
European Patent Convention 1973 Art 89
European Patent Convention 1973 Art 112
Paris Convention Art 4
Paris Convention Art 19
Vienna Convention on the Law of Treaties (1969) Art 31
Vienna Convention on the Law of Treaties (1969) Art 32
Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms Art 6(1)
Strasbourg Convention Art 004
Mot-clé : Abus
Délai de grâce
Date de priorité
Champ d’application de l’article 55(1) CBE
Saisine de la Grande Chambre de recours
Exergue :

Décisions citées :
G 0001/83
G 0001/88
G 0003/93
J 0004/91
T 0301/87
T 0261/88
T 0173/89
T 0830/90
T 0027/92
T 0436/92
T 0585/92
T 0356/93
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0003/08
T 0535/95
T 1045/98
T 0542/03
T 1465/07
T 1149/09

Exposé des faits et conclusions

I. Les recours sont dirigés contre la décision intermédiaire de la division d’opposition en date du 7 avril 1995, par laquelle le brevet en cause a été maintenu sous une forme modifiée.

II. La présente décision se limite à la première requête subsidiaire du requérant/titulaire du brevet tendant à soumettre à la Grande Chambre de recours, en vertu de l’article 112 CBE, la question de savoir quel est le champ d’application de l’article 55(1) CBE relatif aux divulgations résultant d’un abus évident.

III. Les faits pertinents aux fins de la décision à rendre par la Chambre sur cette question de droit sont les suivants :

Lors du 17e Congrès international sur le virus de l’herpès chez l’être humain et l’animal, qui a eu lieu du 7 au 9 décembre 1981 à Lyon, en France, Mme Pereira a effectué un exposé oral (ci-après dénommé “l’exposé Pereira”). Les deux parties s’accordent à reconnaître que Mme Pereira a présenté à cette occasion deux diapositives qui comportaient des données figurant également dans la première demande fondant la priorité et dans la demande de brevet européen en cause (tableaux 3 et 4). Les inventeurs (avec lesquels Mme Pereira avait coopéré en fournissant des anticorps provenant de son laboratoire) ont publié un article sur leurs résultats dans le Journal of Virology, 43: 1099-1104, en mars 1982, sans toutefois y inclure ces données. Mme Pereira était mentionnée en tant que co-auteur de cet article. La première date de priorité revendiquée par le titulaire du brevet est le 18 février 1982 (brevet US 350021), et la deuxième le 4 février 1983 (brevet US 463141). La demande de brevet européen en cause a été déposée le 14 février 1983.

IV. La question qui se pose est de savoir si une divulgation effectuée dans les six mois précédant la date de priorité d’une demande de brevet européen relève de l’article 55(1) CBE. S’il est répondu par l’affirmative à cette question, une divulgation dont il est conclu qu’elle résulte d’un abus évident, comme l’exige cette disposition, sera considérée comme non opposable et ne sera donc pas comprise dans l’état de la technique.

V. S’agissant de l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 55 CBE, les parties ont pour l’essentiel invoqué les arguments suivants :

Le requérant/titulaire du brevet

a) Pour définir l’état de la technique à prendre en considération aux fins d’une décision au titre de l’article 100a) CBE, la Chambre doit en premier lieu déterminer si l’exposé Pereira résulte d’un abus évident à l’égard du demandeur ou de ses prédécesseurs en droit, conformément à l’article 55(1)a) CBE, et si oui, si la date pertinente pour le calcul du délai de six mois prévu dans cet article est la date de priorité unioniste ou la date de dépôt de la demande de brevet européen.

b) La division d’opposition n’a pas répondu à la première question, mais a refusé d’appliquer l’article 55(1)a) CBE en l’espèce, au motif que l’exposé Pereira avait eu lieu plus de six mois avant la date de dépôt effective de la présente demande de brevet européen. Ce faisant, elle n’a pas tenu compte d’une décision antérieure rendue par une autre division d’opposition dans l’affaire Passoni/Stand Structure et publiée in EPOR 1992, 79, où il avait été estimé que l’article 55 CBE s’appliquait à la période de six mois précédant la date de priorité d’une demande de brevet européen.

c) En prévoyant que par l’effet du droit de priorité, la date de priorité est considérée comme celle du dépôt de la demande de brevet européen, l’article 89 CBE redéfinit la date de dépôt comme étant la date de priorité dans le cas d’une demande unioniste. Les articles 55 et 56 CBE, qui portent également sur les publications antérieures et sur l’état de la technique, complètent l’article 54 CBE, auquel ils font expressément référence. Par conséquent, la date de “dépôt de la demande de brevet européen” visée à l’article 55(1) CBE doit être la même qu’à l’article 54(2) CBE, et “l’état de la technique” aux fins des articles 54(1) et 56 CBE doit également être identique.

d) L’argument selon lequel l’article 55 CBE n’étant pas mentionné à l’article 89 CBE, il vise uniquement la date à laquelle la demande de brevet européen a été effectivement déposée, méconnaît le fait que l’article 56 CBE n’y est pas davantage cité. Nul n’en conclurait pour autant qu’il convient de ne pas tenir compte d’une priorité lors de l’examen de l’activité inventive de l’objet de la demande. Le même raisonnement doit donc s’appliquer à l’article 55 CBE, qui porte sur des cas particuliers d’application de l’article 54 CBE. Si le “dépôt de la demande de brevet européen” visé à l’article 54(2) CBE était effectivement remplacé par la date de priorité eu égard à l’article 89 CBE, cela vaut nécessairement aussi pour le “dépôt de la demande de brevet européen” visé à l’article 55(1) CBE.

e) Il serait tout à fait injuste que le demandeur qui a déposé la première demande dans les six mois suivant la divulgation soit puni lorsqu’il n’a pas également déposé la demande européenne durant cette période. Plus de 90% de l’ensemble des demandes de brevet européen revendiquent une date de priorité unioniste antérieure. Si la pratique de l’OEB devait restreindre l’application de l’article 55 CBE, la protection conférée par la disposition sur les droits de priorité serait illusoire. Ce n’est qu’en 1992 que le titulaire du brevet a été informé de l’exposé Pereira.

f) En conséquence, il conviendrait de soumettre à la Grande Chambre de recours la question suivante :

Lorsque l’on applique les articles 54 et 55 CBE à une divulgation de l’invention qui résulte directement ou indirectement d’un abus évident à l’égard du demandeur ou de ses prédécesseurs en droit, le délai de grâce de six mois autorisé par l’article 55(1)a) CBE expire-t-il à la date de priorité ou à la date de dépôt ultérieure de la demande européenne ?

Le requérant/opposant

g) Les revendications 1 et 2 du brevet tel que maintenu par la division d’opposition sont dénuées de nouveauté au regard de l’exposé Pereira. L’article 55 CBE ne s’applique pas à cette divulgation, étant donné qu’elle a eu lieu plus de douze mois avant le dépôt de la demande EP. A cet égard, la CBE est tout à fait claire, dans la mesure où l’article 89 CBE autorise le remplacement de la date de dépôt par la date de priorité uniquement pour l’application des articles 54(2) et (3), ainsi que 60(2) CBE, et non de l’article 55 CBE. Cet article a pour but de concilier les intérêts légitimes d’un titulaire de brevet potentiel qui a subi un préjudice et ceux du public en général. Si le titulaire d’un brevet veut bénéficier de l’exception prévue à l’article 55 CBE, il doit agir rapidement et déposer une demande de brevet européen. S’il ne le fait pas dans les six mois suivant la divulgation, l’exigence de l’article 55 CBE n’est pas remplie, auquel cas le public est libre d’utiliser la divulgation.

h) Dans la décision T 173/83, la chambre relève, quoiqu’à titre d’opinion incidente, qu’il ressort des Travaux préparatoires à la Conférence diplomatique de Munich que le libellé de l’article 55 CBE a été expressément choisi pour assurer que le délai soit compris comme ne se rapportant pas à la date de priorité mais à la date réelle de dépôt de la demande de brevet européen. Par conséquent, la divulgation Pereira ne relève pas de l’article 55 CBE et fait donc partie de l’état de la technique.

i) Il n’est pas nécessaire de saisir la Grande Chambre de recours à ce sujet, car la Chambre est parfaitement compétente pour statuer sur cette question de droit, en se fondant sur les observations formulées par la chambre dans l’affaire T 173/83. En outre, la question n’est pas déterminante pour l’issue du brevet, vu que son objet est de toute manière antériorisé par un autre document (Thèse Madras, document A 1). Elle n’est même pas décisive pour la question de l’article 55 CBE, étant donné que le titulaire du brevet n’a pas démontré qu’il y avait eu abus évident.

Motifs de la décision

Recevabilité

1. Les deux recours sont recevables.

Champ d’application de l’article 55(1)a) CBE – Pratique de l’OEB

2. A ce jour, les chambres n’ont rendu aucune décision qui apporte une réponse à cette question. Elles ont examiné le champ d’application de l’article 55(1)a) CBE dans un certain nombre d’affaires, mais n’ont jamais statué sur cette question, car les divulgations en question ne résultaient pas d’un abus évident, comme l’exige cet article (cf. par ex. les décisions T 173/83, JO OEB 1987, 465; T 830/90, JO OEB 1994, 713; T 436/92 en date du 20 mars 1995 et T 585/92 en date du 9 février 1995).

L’on notera que quel que soit le champ d’application qui sera considéré comme justifié, il s’appliquera également aux cas visés à l’article 55(1)b) CBE relatif aux divulgations réalisées lors de certaines expositions internationales.

3. Toutefois, aucune disposition légale ne saurait s’appliquer à un fait, s’il n’a pas été établi auparavant qu’elle peut juridiquement s’appliquer à ce même fait. Aussi, contrairement à l’hypothèse émise par le titulaire du brevet, selon laquelle la première question à résoudre est de savoir si l’exposé Pereira résulte d’un abus évident, la Chambre doit commencer par examiner la question du champ d’application de l’article 55(1)a) CBE. Il s’ensuit également que l’argument de l’opposant, selon lequel il n’est pas déterminant de répondre à la question du champ d’application tant que l’existence d’un abus évident n’a pas été prouvée, est inopérant. S’il est conclu que cette disposition s’applique uniquement à la période de six mois précédant le dépôt effectif de la demande de brevet européen, la question de la divulgation non opposable ne se pose pas et l’exposé Pereira est compris dans l’état de la technique.

4. La seule décision qui a été prononcée sur cette question par une instance de l’OEB est la décision en date du 8 juillet 1991 que la division d’opposition a rendue dans l’affaire Passoni au sujet de la demande 82 107 958.9, et selon laquelle, tout bien considéré, il existe des raisons impératives justifiant l’application de l’article 55(1)a) CBE à la période de six mois précédant la date de priorité de la demande de brevet européen. Il semble que la division d’opposition ait essentiellement fait valoir la sauvegarde du droit au droit de priorité garanti par la Convention de Paris (CUP). Elle a relevé que la vaste majorité des demandes déposées auprès de l’OEB revendiquent une priorité. La CBE étant un arrangement régional selon l’article 19 CUP, la division d’opposition a soutenu que la CBE devait obligatoirement être interprétée de manière conforme à la CUP. Cela signifie que l’OEB ne peut déclarer à un demandeur qu’il doit perdre son brevet, parce qu’il a d’abord déposé sa demande auprès d’un office national, alors que son droit au brevet aurait été maintenu s’il avait déposé directement sa demande auprès de l’OEB. Dans ce contexte, la division d’opposition a également fait référence à l’article 66 CBE, qui garantit que la demande de brevet européen à laquelle une date de dépôt a été accordée a la valeur d’un dépôt national régulier, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l’appui de la demande de brevet européen.

5. La décision T 173/83 (loc. cit.), citée par l’opposant, n’a pas apporté de réponse à cette question. Dans cette affaire, la chambre avait relevé que l’article 55(1)a) CBE semblait être limité à la période de six mois précédant la date effective de dépôt, bien qu’il n’y eût pas unanimité de la doctrine sur ce point, mais a conclu qu’une réponse à cette question n’était pas nécessaire en l’espèce car la divulgation ne résultait pas d’un abus évident (point 5 des motifs).

6. La décision T 830/90 (loc. cit.) suit la même approche, la chambre ayant conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de la divulgation non opposable conformément à l’article 55(1)a) CBE, au motif que les preuves relatives à l’utilisation antérieure publique étaient incomplètes (point 4 des motifs).

7. Dans la décision T 436/92 (loc. cit.), la chambre a estimé qu’il convenait à juste titre de trancher en premier lieu la question de l’applicabilité de l’article 55 CBE, mais n’ayant en l’espèce constaté aucun abus évident, elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner ce point et a présumé que cet article s’appliquait à la période de six mois précédant la date de priorité (point 5.1 des motifs).

8. La décision T 585/92 (loc. cit.) fait référence à la conclusion énoncée dans l’affaire T 173/83 (loc. cit.), à savoir qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur le champ d’application de l’article 55(1)a) CBE lorsqu’il est conclu que la divulgation ne résulte pas d’un abus évident.

Articles 55(1)a) et 89 CBE

9. L’article 55(1)a) CBE s’énonce comme suit, titre compris :

“Divulgations non opposables

(1) Pour l’application de l’article 54, une divulgation de l’invention n’est pas prise en considération si elle n’est pas intervenue plus tôt que six mois avant le dépôt de la demande de brevet européen et si elle résulte directement ou indirectement :

a) d’un abus évident à l’égard du demandeur ou de son prédécesseur en droit ou”.

10. L’article 89 CBE s’énonce comme suit, titre compris :

“Effet du droit de priorité

Par l’effet du droit de priorité, la date de priorité est considérée comme celle du dépôt de la demande de brevet européen pour l’application de l’article 54, paragraphes 2 et 3, et de l’article 60, paragraphe 2.”

11. En ce qui concerne tout d’abord le libellé de ces dispositions, il est question à l’article 55 CBE du “dépôt de la demande de brevet européen”, tandis que l’article 89 CBE mentionne “la date du dépôt de la demande de brevet européen” (cette même différence figurant également dans les versions allemande et anglaise de la CBE). Cela pourrait indiquer que cette différence n’est pas fortuite, mais qu’ell répond à la volonté des législateurs d’établir une distinction, dans le but de restreindre le champ d’application de l’article 55(1) CBE.

12. Une telle intention de restreindre le champ d’application de cette disposition pourrait être inférée des Travaux préparatoires relatifs à l’article 55(1) CBE. Selon le document M/PR/I, page 30, paragraphe 61 de la version allemande de la Conférence diplomatique de Munich sur la CBE, le président a expliqué, en réponse à une question de la délégation néerlandaise, que l'”Anmeldetag” (à savoir la date de dépôt, telle que mentionnée à l’article 54(2) CBE) devait être entendu comme signifiant “Tag der Einreichung” (à savoir “le dépôt de”, tel que visé à l’article 55 dans sa version finale). Le libellé a ultérieurement été modifié en conséquence.

13. Il échet de relever dans ce contexte qu’au cours des négociations qui ont précédé la conférence diplomatique, certaines délégations se sont opposées à l’instauration d’un délai de grâce, conformément à la notion de nouveauté absolue adoptée dans leur législation nationale sur les brevets, et ont donc pu chercher à limiter l’exception dans toute la mesure du possible (cf. par ex. le document IV/2767/61/Bruxelles, première réunion du groupe de travail “Brevets”, qui a eu lieu du 17 au 28 avril 1961, et le document 6551/IV/62/Bruxelles, sixième réunion du groupe de travail “Brevets”, qui a eu lieu du 13 au 23 juin 1962). Plusieurs délégations ont également exprimé le souci que cette disposition soit harmonisée avec la disposition correspondante du projet de convention sur le droit des brevets qui était en discussion au Conseil de l’Europe (et qui a été adopté en 1963 sous le titre de Convention de Strasbourg sur l’unification de certains éléments du droit des brevets d’invention, article 4(4)a)). Lors de la Conférence diplomatique de Munich, un certain nombre de propositions de modification de l’article 55 CBE ont été examinées, cf. le document M/PR/I, page 30, ainsi que la question de la délégation néerlandaise.

Interprétation des traités internationaux

14. Selon la jurisprudence des chambres de recours de l’OEB, la Convention de Vienne de 1974 sur le Droit des Traités (CV) s’applique à la CBE, cf. la décision G 1/83, JO OEB 1985, 60. Les articles 31 et 32 CV fournissent des indications utiles sur l’interprétation correcte des conventions internationales.

15. La méthode d’interprétation de base est énoncée à l’article 31.1 CV, qui dispose qu’un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Cela correspond à ce qu’il est convenu d’appeler la méthode téléologique, par laquelle le juge essaie de respecter aussi fidèlement que possible les intentions du législateur, tout en lisant et en comprenant les termes du traité suivant le sens ordinaire à leur attribuer en fonciton de leur contexte. Ce principe est reconnu par les chambres de recours, cf. par ex. les décisions G 1/88, JO OEB 1989, 189, J 4/91, JO OEB 1992, 402 et T 356/93, JO OEB 1995, 545.

16. L’article 31.2 CV définit le contexte d’un traité comme s’entendant du texte, préambule et annexe inclus, de tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité, ainsi que de tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

17. Vu la définition détaillée du “contexte” qui est donnée à l’article 31.2 CV, cette disposition devrait probablement être considérée comme complète. Cela signifierait que toute entente entre certaines seulement des délégations présentes ou tout accord intervenu ultérieurement ne sont pas considérés comme faisant partie du “contexte” d’un traité, à moins qu’ils ne soient confirmés par toutes les autres parties au traité.

18. Cette perception du terme “contexte” influe aussi sur celle de l’article 31.3 CV, qui prévoit que les accords ultérieurs intervenus entre les parties et les pratiques ultérieures établissant un tel accord peuvent également être pris en considération. Là encore, la définition du terme “contexte” figurant à l’article 31.2 CV exige que toutes les parties au traité aient conclu l’accord pour que celui-ci soit considéré comme faisant partie du “contexte”.

19. Enfin, l’article 32 CV mentionne les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu en tant que moyens complémentaires d’interprétation, “en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable” (c’est la Chambre qui souligne).

20. Il semble que l’article 32 CV soit une disposition accessoire de l’article 31 CV et qu’il se limite aux situations qui y sont mentionnées, à savoir aux cas où une disposition s’avère ambiguë ou obscure ou conduit à un résultat déraisonnable lorsque l’on met en application la méthode indiquée à l’article 31 CV.

21. Si l’on applique ces principes aux dispositions pertinentes de la CBE, à savoir aux articles 55 et 89, l’on pourrait conclure que le choix de la terminologie est cohérent si le législateur voulait différencier les conditions afférentes au droit de priorité selon l’article 89 CBE de celles dans lesquelles un abus peut être invoqué selon l’article 55 (1)a) CBE.

22. La législation nationale sur les brevets d’un certain nombre d’Etats parties à la CBE, tels que l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Italie et la Suède, limite également dans son application le moyen de défense tiré de l’abus, ainsi qu’il a été constaté dans la décision T 436/92, point VI.

23. En revanche, selon le jugement rendu le 19 août 1991 par le Tribunal fédéral suisse dans l’affaire S. GmbH c. B. AG, cf. GRUR Int. 1992, page 293 s., le droit suisse sur les brevets semble avoir admis un champ d’application plus large.

24. On pourrait donc conclure que la grande majorité, voire l’ensemble des Etats parties à la CBE s’accordent sur le fait qu’au moment où la CBE a été adoptée, le législateur avait l’intention de restreindre le droit d’invoquer un abus à la période de six mois précédant la date à laquelle la demande européenne a été effectivement déposée.

25. Toutefois, la présente Chambre juge nécessaire d’examiner plus avant cette question, étant donné qu’une telle interprétation de l’article 55(1)a) CBE pourrait conduire à un résultat déraisonnable, comme examiné ci-après.

Autres aspects de l’interprétation d’un traité international

26. Selon une autre méthode d’interprétation, dite dynamique ou évolutive, les instances compétentes pour appliquer un texte légal donné peuvent, au fil du temps, adapter le sens initial d’une disposition, lorsque les circonstances et/ou les attitudes ont changé au point de rendre semble-t-il inacceptable l’intention initiale. Ainsi, une telle situation peut se produire lorsque, par exemple, il y aurait lieu de prendre en considération certains aspects que le législateur initial n’avait pas été en mesure de prendre en considération, car ils n’existaient pas encore, ou qu’il avait jugé trop insignifiants pour influencer la disposition en question. Cette méthode d’interprétation est admise par la Commission européenne ainsi que par la Cour européenne des Droits de l’Homme, cf. Matscher, Methods of Interpretation of the Convention, in Macdonald et al., The European System for the Protection of Human Rights, Kluwer Academic Publishers, 1993, page 63 s.

27. L’un des aspects à prendre en considération dans le choix d’une méthode d’interprétation est la fréquence à laquelle les demandes de brevet européen revendiquent des priorités et qui, d’après Loth, avoisinait les 94% dans les années 80 (article 55, Europäisches Patentübereinkommen, Münchner Gemeinschaftskommentar, 13e édition, janvier 1990, page 31).

28. Un autre aspect est le facteur temps, à savoir la durée de la procédure relative aux demandes de brevet. Dans les années 50 à 70, lorsque l’instauration d’un système européen des brevets était en discussion au Conseil de l’Europe et au sein de la CEE, on a pu craindre que les litiges relatifs aux demandes de brevet ne se prolongent dans les cas où les titulaires de brevets invoqueraient un abus. Toutefois, la CBE ayant adopté la procédure d’opposition faisant suite à la délivrance du brevet, la procédure devant l’autorité chargée de la délivrance des brevets a de toute façon été prolongée. En ce qui concerne la CBE, le facteur temps ne semble donc plus avoir le même poids que dans les systèmes nationaux de brevets qui prévoient encore la possibilité, pour le public, de consulter le dossier et de formuler des objections à l’encontre de la demande avant la délivrance.

29. L’on pourrait par ailleurs faire valoir à l’encontre d’un large champ d’application qu’en cas d’opposition, le litige se prolongerait indûment, compte tenu de la nécessité de produire des preuves, y compris les témoignages. Bien que cet argument ait été valable à une époque où la procédure d’examen des demandes et de délivrance des brevets ne durait qu’un an ou deux, il semble moins pertinent dans un système international tel que le système européen des brevets, où la moitié de la durée du brevet peut s’être écoulée avant qu’une décision définitive ne soit prise par une instance de l’OEB.

30. Un autre aspect du facteur temps qui peut avoir influencé le législateur au moment où il a rédigé l’article 55 CBE est la difficulté d’apprécier des preuves longtemps après que les faits se sont produits. Il ressort toutefois des discussions qui se sont déroulées dans le cadre de la Conférence diplomatique de Munich (ut supra) que l’abus auquel songeaient les délégations concernait le dépôt de demandes de brevets par des tiers ne possédant aucun droit sur l’invention en question. Il ne devrait normalement pas être plus difficile, avec le temps, d’établir les faits afférents à la propriété en droit d’une invention, alors que le facteur temps pourrait réduire les chances de trouver des preuves suffisamment solides sur les circonstances entourant une utilisation antérieure.

31. S’agissant d’un traité international tel que la CBE, d’autres facteurs peuvent également influer sur la décision d’adopter ou non une méthode d’interprétation dynamique. Ainsi, les principes fondamentaux de procédure, tels que l’égalité des parties devant la loi, peuvent s’avérer décisifs.

32. Il convient également d’examiner si la disposition en question devrait ou non être interprétée de manière restrictive, vu qu’elle déroge à la notion fondamentale de nouveauté absolue prévue dans la CBE. Une telle approche doit être mise en balance avec l’intérêt légitime des demandeurs à obtenir des brevets pour les contributions qu’ils apportent à la technique par leurs innovations, tout du moins lorsque l’accessibilité au public de ces contributions échappe à leur contrôle.

La Convention européenne de 1950 sur la sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales

33. Cette convention, dont la pertinence aux fins de la CBE a été reconnue dans la jurisprudence des chambres de recours (cf. par ex. les décisions T 261/88, JO OEB 1992, 627 et T 27/92, JO OEB 1994, 853), énonce des principes fondamentaux de procédure qui garantissent aux parties le droit à un procès équitable et public.

34. Les parties pertinentes de l’article 6(1) de cette convention s’énoncent comme suit :

“Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, …”

La notion d'”audition équitable” suppose que toutes les parties à une procédure soient traitées de manière égale, ce qui exige à son tour que leur aptitude à se défendre ne soit pas indûment entravée.

35. Selon la jurisprudence constante de la Commission européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme, le droit d’une partie d’invoquer des preuves ou des événements afin de réfuter une allégation de la partie adverse est essentiel pour satisfaire à l’exigence d’égalité de traitement, cf. Affaire Sutter c. la Suède, requête n 8209/78, Décisions et Rapports 16, Conseil de l’Europe, 1979. Dans cette affaire, la Commission européenne avait énoncé le principe selon lequel une partie a le droit d’essayer de réfuter les allégations faites par la partie adverse, ce qui comprend le droit d’invoquer des preuves. Appliqué par analogie à une divulgation concernant une demande de brevet, ce principe reviendrait à avoir le droit d’invoquer un abus, c’est-à-dire de faire valoir la disposition spéPciale de l’article 55(1a) CBE, lorsque la partie adverse a allégué que le brevet est dénué de nouveauté ou d’activité inventive, suite à une divulgation particulière survenant avant la date de priorité (comme le requiert la législation sur les brevets). En d’autres termes, comme la Commission européenne l’a dit dans l’affaire antérieure relative à la requête no 434/58, X. c. la Suède, Conseil de l’Europe, Annuaire 2, page 354, “chaque partie doit avoir des possibilités raisonnables de défendre ses intérêts dans une position qui ne soit pas désavantageuse vis-à-vis de celle de la partie adverse”.

36. Le fait que tous les Etats parties à la CBE aient adhéré à la Convention européenne sur les Droits de l’Homme montre que celle-ci est largement acceptée.

Littérature brevets

37. Dans la littérature brevets, les avis divergent sur le champ d’application de l’article 55(1)a) CBE. On peut mentionner ici Singer/Singer, Europäisches Patentübereinkommen, C. Heymanns Verlag 1989, article 55, point 2; Paterson, The European Patent System, The Law and Practice of the European Patent Convention, Sweet & Maxwell, London 1992, page 382, 9-23; van Empel, The Granting of European Patents, Sijthoff-Leyden, 1975, page 45 et note 75; Benkard G., Patentgesetz, 9e édition C. H. Beck Munich 1993, Patgesetz, article 3, point 96; C.I.P.A, Guide to the Patents Act, 4e édition, Sweet & Maxwell, paragraphe 2.30, page 57. Si les auteurs susmentionnés s’accordent tous à dire que le champ d’application de la disposition devrait être limité à la période précédant immédiatement le dépôt effectif de la demande de brevet européen, ils donnent néanmoins peu de raisons.

Parmi les défenseurs de l’opinion adverse, on peut citer Loth (cf. ci-dessus le paragraphe 27) et Eisenführ (Die Schonfrist-Falle des Art. 55(1)a) CBE, Mitteilungen der deutschen Patentanwälte, 1997, page 268 s.). En 1962 déjà, le Comité des Instituts nationaux d’agents de brevets (CNIPA), commentant une proposition du Conseil de l’Europe, avait qualifié d’anomalie étrange le fait qu’une demande de brevet déposée au titre de la Convention sur la base d’une demande nationale puisse être rejetée, alors que la demande nationale elle-même serait sauvegardée (cf. document EXP/Brev. (62)6, Conseil de l’Europe).

38. Dans la littérature, d’aucuns objectent parfois à l’encontre d’un champ d’application plus étendu de l’article 55 CBE qu’il pourrait conduire à un “cumul” de la période de six mois avec le délai de priorité d’un an, lequel dépasserait ainsi le délai de douze mois prévu à l’article 4C de la Convention de Paris.

Toutefois, cette opinion repose semble-t-il sur une méprise quant à l’effet produit lorsque l’on fait valoir avac succés un abus. Si l’instance chargée de trancher cette question donne raison au titulaire du brevet, à savoir si elle conclut que la divulgation était bien due à un abus évident, il en résulte uniquement que la divulgation invoquée n’est pas prise en considération, soit, en d’autres termes, qu’elle n’est pas considérée comme comprise dans l’état de la technique. La date de priorité demeure inchangée et toutes les autres divulgations antérieures appartiennent encore à l’état de la technique. Il convient également de noter que l’article 55 CBE, qui est intitulé “Divulgations non opposables”, ne parle pas de cumul. En conséquence, un champ d’application “étendu” de l’article 55(1)a) CBE ne devrait pas conduire à des résultats inacceptables au regard du droit international et des obligations nées d’un autre traité.

39. Les tenants d’un champ d’application plus étendu mettent en avant la logique de la CBE, à savoir que l’article 54, paragraphes 2 et 3 CBE, qui est spécifiquement mentionné à l’article 89 CBE, l’est également à l’article 55 CBE, ainsi que l’affaiblissement du droit de priorité qui résulterait d’une interprétation étroite.

Les Travaux préparatoires à la CBE

40. L’on déborderait le cadre de la présente décision si l’on essayait de recenser tous les documents pertinents susceptibles d’aborder la notion de nouveauté et la question du délai de grâce. Aussi seuls certains d’entre eux sont-ils brièvement résumés ci-après.

41. Le délai de grâce de six mois prévu à l’article 55 CBE représente une dérogation à la notion stricte de nouveauté absolue laquelle remonte aux discussions relatives à un système européen des brevets qui se sont déroulées au Conseil de l’Europe dans les années 50 et 60. Le document CM/WP IV (51) contient une étude comparative sur la situation juridique de l’époque dans les pays européens. Il en ressort que la plupart des pays se conformaient à l’obligation prévue dans la CUP de protéger les inventions exposées à l’occasion d’une exposition internationale ou similaire, et que certains pays prévoyaient un délai de grâce en cas de divulgation effectuée sans le consentement de l’inventeur (comme par ex. le RU et les pays scandinaves). La législation allemande prévoyait même un délai de grâce de six mois pour toutes les divulgations réalisées par l’inventeur en personne (cf. doc. EXP/Brev (53) 1, page 7). Tout en concluant à l’existence d’une exigence générale de nouveauté absolue, le secrétariat du Conseil a néanmoins estimé qu’il fallait harmoniser les exceptions à cette notion. Ce document ne fait pas état de discussions particulières sur le début du délai de grâce, mais se rèfère toujours au dépôt de la demande. Une proposition scandinave à ce sujet a été examinée dans le doc. EXP/Brev (60) 1, page 15 s. Le fait qu’une divulgation effectuée dans un délai de six mois avant le dépôt de la demande de brevet ne soit pas opposable a été jugé approprié, ce qui était déjà prévu dans les lois scandinaves sur les brevets. Une formulation correspondante a été adoptée ultérieurement dans la Convention de Strasbourg de 1963, à l’article 4.

42. Lorsque les négociations ont débuté à la CEE, puis se sont poursuivies ultérieurement au sein d’un cercle élargi de pays européens, la proposition scandinave a de nouveau été mentionnée, ce qui a donné lieu aux discussions et aux résultats mentionnés ci-dessus (points 12 à 13).

Relation entre les articles 54, 55, 56, 87 et 89 CBE

43. Dans la littérature brevets citée supra (point 37), d’aucuns font également valoir en faveur d’un champ d’application restreint que l’article 89 CBE ne mentionne pas l’article 55 CBE, lorsqu’il dispose que la date de priorité est considérée comme celle du dépôt “pour l’application de l’article 54, paragraphes 2 et 3, et de l’article 60, paragraphe 2”, et que les articles pertinents sont formulés différemment. Il pourrait donc s’avérer utile d’examiner comment les diverses dispositions relatives à la nouveauté et à l’état de la technique sont liées entre elles.

44. La nouveauté est le premier critère de brevetabilité défini dans la CBE, à l’article 54. Le délai de grâce prévu à l’article 55 CBE fait référence à l’article 54 CBE dans son ensemble, et non pas uniquement à ses paragraphes 2 et 3. Cela signifie en d’autres termes que l’article 55 CBE apporte une restriction à la nouveauté, telle que définie à l’article 54 CBE. Dans certains pays, ces deux dispositions sont d’ailleurs réunies au sein du même article (cf. la loi sur les brevets du RU, article 2, paragraphe 4).

45. L’article 56 CBE exige que l’activité inventive soit examinée par rapport à “l’état de la technique”, cette expression étant quant à elle définie à l’article 54(2) CBE, à savoir y compris la disposition restrictive de l’article 55 CBE. Il semblerait donc que si une divulgation est exclue de l’état de la technique en vertu de l’article 54 CBE, suite à un abus conformément à l’article 55 CBE, elle ne sera pas non plus prise en considération aux fins de l’appréciation de l’activité inventive selon l’article 56 CBE. Cela signifie en toute logique que la référence à l’article 54(2) CBE figurant à l’article 89 CBE comprend également toute restriction apportée à l’article 54(2) par l’article 55 CBE, à savoir que l’article 89 CBE fait implicitement référence à l’article 55 CBE. En d’autres termes, la référence visée à l’article 89 CBE devrait être lue comme suit : “…pour l’application de l’article 54, paragraphes 2 et 3, tel que modifié, le cas échéant, par l’article 55, …”. Cette lecture implicite pourrait expliquer pourquoi l’article 89 CBE ne fait pas expressément référence à l’article 55 CBE.

Tandis que les avis divergent sur les raisons pour lesquelles l’article 89 CBE ne fait pas expressément référence à l’article 56 CBE (cf. la littérature citée au point 37 supra), la Chambre se contente de faire observer que cela peut être simplement dû au fait que l’activité inventive (article 56 CBE) est une condition de brevetabilité séparée, qui n’est examinée qu’une fois la nouveauté établie conformément à l’article 54 CBE.

46. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi la formulation de l’article 89 CBE (“date de dépôt”) est différente de celle de l’article 55 CBE (“dépôt de”).

47. L’article 87 CBE utilise l’expression “dépôt de la première demande”, la première demande étant une demande déposée dans n’importe quel Etat partie à la CUP, et prévoit un droit de priorité pendant douze mois à compter de cette date. Si, en raison d’une interprétation restrictive de l’article 55 CBE, il n’est pas possible d’observer cette disposition parce que le droit de priorité issu de la “première” demande ne peut être garanti, il semble que cette interprétation restrictive est en soi contraire non seulement à la CUP, mais également à la CBE. Dans un tel conflit juridique, il serait justifié d’interpréter la loi dans l’intérêt du demandeur et compte tenu de l’obligation résultant de la CUP. L’on admettrait alors un champ d’application plus large de l’article 55(1) CBE.

Mise en balance d’intérêts opposés

48. Ainsi que la division d’opposition l’a déjà fait observer dans l’affaire Passoni, il ne semble guère raisonnable de faire entièrement dépendre le sort d’une demande de brevet de la question de savoir si la demande a été initialement déposée auprès d’un office national ou d’une institution internationale comme l’OEB. Dans ce cas en effet, une personne qui a déposé sa demande auprès d’un office national, même s’il s’agit d’un Etat partie à la CBE, et qui dépose ultérieurement auprès de l’OEB une demande revendiquant la priorité de la demande nationale, ne pourrait faire valoir un abus concernant une divulgation qui est intervenue dans les six mois précédant le dépôt de la demande nationale (fondant la priorité).

49. Un opposant qui souhaite détruire un brevet pour lequel une priorité a été revendiquée et reconnue par l’autorité compétente (à savoir l’OEB) doit nécessairement invoquer des divulgations qui sont intervenues avant la date de priorité, faute de quoi elles ne sont pas comprises dans l’état de la technique. Vu que la grande majorité des demandes déposées auprès de l’OEB revendiquent une priorité, il s’ensuit que dans un nombre correspondant d’oppositions, il sera cité des documents antérieurs à la date de priorité.

50. Toutefois, dans la présente espèce, l’opposant s’est élevé contre la conclusion tirée dans l’affaire Passoni, faisant valoir que le fait que la possibilité d’invoquer un abus soit assortie de restrictions concilie équitablement les intérêts du public en général et ceux de l’inventeur. Comme il a été soutenu, l’inventeur doit, en cas d’abus, faire preuve de diligence et déposer sa demande dans les six mois.

51. La Chambre ne saurait souscrire à cet argument, étant donné que toute diligence de la part de l’inventeur ou du titulaire de l’invention suppose qu’il soit immédiatement informé de la divulgation. Or, en l’espèce, le titulaire du brevet a affirmé que les inventeurs n’avaient eu connaissance du contenu de l’exposé Pereira qu’en 1992, soit onze ans après qu’il a été effectuée.

52. La Chambre conclut donc qu’une interprétation restrictive de l’article 55(1) CBE fondée sur l’exigence de diligence de la part de l’inventeur ne semble pas raisonnable.

Obligations au titre de la Convention de Paris (CUP)

53. L’article 4A(1) CUP garantit que celui qui aura fait le dépôt d’une demande dans l’un des pays de l’Union jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres pays, d’un droit de priorité. En vertu du droit international, les Etats contractants sont tenus d’adopter la législation nécessaire, afin de respecter les dispositions du traité en question, soit, en l’occurrence, de garantir le droit de priorité.

54. En vertu de l’article 19 CUP, la CBE constitue un arrangement particulier pour la protection de la propriété industrielle. Cependant, de tels arrangements ne sont autorisés que dans la mesure où ils ne sont pas contraires aux dispositions de la CUP. La possibilité de conclure des conventions régionales est également prévue à l’article 4A(2) CUP, qui mentionne les dépôts ayant la valeur d’un dépôt national ou d’un dépôt en vertu de traités bilatéraux ou multilatéraux conclus entre des pays de l’Union, soit, en l’espèce, des demandes européennes. Si l’on devait conclure que l’article 55(1) CBE était censé être de portée limitée, comme l’a affirmé l’opposant, l’on pourrait considérer que la conclusion supra (point 4) est contraire à la CUP.

Décisions rendues au niveau national

55. Enfin, la Chambre juge approprié de se référer aux décisions nationales qui ont déjà été rendues au sujet du champ d’application de l’article 55(1) CBE sur la base de la législation nationale correspondante. Outre la décision suisse mentionnée supra (point 23), deux décisions, l’une néerlandaise et l’autre allemande, ont été récemment publiées dans le 5e numéro du JO OEB 1998, aux pages 278 et 263.

56. La décision suisse

Dans cette décision, le Tribunal fédéral suisse a conclu que la législation suisse, qui autorise le calcul du délai de grâce de six mois à compter de la date de priorité de la demande, ne correspond pas aux intentions qui sous-tendent l’article 55(1) CBE. Il a donc refusé au titulaire du brevet le droit d’invoquer un abus concernant une divulgation qui était intervenue plus de six mois avant la date de dépôt effective de la demande en cause. Dans cette décision, il a mentionné pour l’essentiel le texte de la CBE, la littérature brevets ainsi que les Travaux préparatoires, dont il ressort que le champ d’application de l’article 55(1) CBE devait être restreint.

57. La décision néerlandaise

Cette décision a été rendue le 23 juin 1995 par la Cour de cassation des Pays-Bas (Hoge Raad) dans l’affaire Organon International BV et al. ./. Applied Research Systems ARS Holding BV. La Cour de cassation a estimé que le calcul du délai de six mois prévu à l’article 55(1) CBE était basé sur la date de priorité et non sur la date de dépôt. Cette conclusion se fonde sur le raisonnement suivant (cf. point 3.3.2 de la décision dans la version française publiée au JO OEB) :

“Il ressort de l’article 89 CBE qu’aux fins notamment de l’application de l’article 54(2) CBE – disposition qui précise quel est dans le temps l’état de la technique pertinent et qui est donc en relation étroite avec l’article 55(1) CBE – l’existence d’un droit de priorité fait que la date de priorité doit être considérée comme étant celle du dépôt de la demande de brevet européen. L’objectif visé par l’article 55(1) CBE – assurer la protection des demandeurs – ne serait pas atteint si l’on devait interpréter à la lettre cette disposition dans les cas où il existe un droit de priorité. Dans le système mis en place par la Convention, il est donc justifié d’interpréter l’article 55(1) CBE comme signifiant qu’il convient de se fonder sur la date de priorité, et non sur la date de dépôt, même pour le calcul du délai prévu à l’article 55(1) CBE”.

58. La décision allemande

La Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) a rendu cette décision le 5 décembre 1995 dans l’affaire X ZB 1/94, “Corioliskraft” (force de Coriolis). L’Office allemand des brevets avait révoqué le brevet, au motif qu’une demande de brevet antérieure en date du 20 mai 1978, qui revendiquait la priorité du 7 juin 1977 (ci-après “l’antériorité”), antériorisait l’objet du brevet en cause, lequel était fondé sur une demande déposée le 25 juillet 1978 et revendiquant la priorité du 25 juillet 1977. L’instance de recours a rejeté le recours du titulaire du brevet, au motif que le délai de grâce selon la loi allemande sur les brevets devait être calculé à compter de la date de dépôt de la demande ayant donné lieu au brevet en cause. Cette interprétation de la loi allemande sur les brevets a été confirmée par la Cour fédérale. Etant donné que de l’avis de cette dernière, l’antériorité est considérée comme ayant été divulguée à la date de priorité, soit le 7 juin 1977, il en résulte que cette divulgation a eu lieu plus de six mois avant la date à laquelle la demande en cause a été déposée, soit le 25 juillet 1978, excluant par là-même tout droit d’invoquer un abus. La Cour fédérale a cité le texte de la loi, ainsi que l’opinion prédominante parmi les spécialistes allemands du droit des brevets et la décision T 173/83 (point 5 supra), mais elle a également mentionné la position contraire adoptée par d’autres et la décision néerlandaise (point 57 supra).

59. De l’avis de la Chambre, le fait que ces décisions aient abouti à des interprétations différentes est une raison supplémentaire de résoudre cette question à l’échelle européenne, afin d’harmoniser les législations nationales sur les brevets en Europe.

Saisine de la Grande Chambre de recours en vertu de l’article 112 CBE

60. Cette analyse des questions et problèmes liés à l’article 55 CBE montre la complexité du sujet. Compte tenu de son importance, au regard notamment du droit de priorité tel que requis par la Convention de Paris, la Chambre estime qu’il soulève une question de droit d’importance fondamentale, justifiant la saisine de la Grande Chambre de recours.

61. S’il a soulevé une objection à propos de l’abus, l’opposant s’est néanmoins aussi opposé à une saisine, au motif que a) la Chambre de recours est compétente pour répondre à cette question de droit et b) il n’est pas nécessaire de statuer sur ce point, vu que l’objet du brevet est antériorisé par un autre document qu’il avait cité.

62. En ce qui concerne le premier motif, la Chambre ne partage pas l’avis de l’opposant, tout d’abord parce qu’il s’agit d’une question fondamentale, susceptible d’entraîner des conséquen ces d’une portée considérable, et qu’en outre, l’interprétation qui se justifie de l’article 55 CBE ne fait pas l’unanimité. Etant donné qu’à ce jour les chambres se sont toujours exprimées sur cette question à titre d’opinion incidente, ces avis ne font à proprement parler pas partie de la jurisprudence des chambres de recours et ne servent donc pas de principes directeurs dans des affaires ultérieures, bien que de tels avis puissent être relevés dans d’autres décisions (et notamment dans la décision G 3/93 de la Grande Chambre de recours, qui cite l’affaire T 301/87 à propos de la question de la priorité, même s’il a été admis que cette décision contenait uniquement une opinion incidente à ce sujet, cf. point 2 des motifs de la décision G 3/93).

63. S’agissant du second motif, la Chambre a fait observer qu’elle n’était pas en mesure de dire si un document cité à l’encontre d’un brevet est pertinent, tant qu’elle ne l’a pas examiné. Si elle devait finalement être en désaccord avec l’opposant au sujet du document cité, il conviendrait d’examiner l’exposé Péreira.

64. En conséquence, la Chambre juge nécessaire de saisir la Grande Chambre de recours

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

La question suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :

Aux fins de l’article 55(1) CBE, lorsqu’une priorité est reconnue à une demande de brevet européen, la période de six mois “avant le dépôt de la demande de brevet européen” doit-elle être calculée à partir de la date de dépôt de la demande fondant la priorité (date de priorité) ou à partir de la date à laquelle la demande de brevet européen a été réellement déposée ?