http://www.epo.org/law-practice/case-law-appeals/recent/g920003fp1.html
Content reproduced from the Website of the European Patent Office as permitted by their terms of use.
European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:1994:G000392.19940613 | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Date de la décision : | 13 Juin 1994 | ||||||||
Numéro de l’affaire : | G 0003/92 | ||||||||
Décision de saisin : | J 0001/91 | ||||||||
Numéro de la demande : | 90304744.7 | ||||||||
Classe de la CIB : | A62B 35/04 | ||||||||
Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | |||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
|
||||||||
Titre de la demande : | – | ||||||||
Nom du demandeur : | Latchways | ||||||||
Nom de l’opposant : | – | ||||||||
Chambre : | EBA | ||||||||
Sommaire : | Si une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur et que cette personne, conformément aux dispositions particulières de l’article 61(1) CBE, dépose une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention en vertu des dispositions de l’article 61(1)b) CBE, il n’est pas nécessaire, pour que la demande soit admise, que la demande initiale usurpatoire soit toujours en instance devant l’OEB lors du dépôt de la nouvelle demande. | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
|
||||||||
Mot-clé : | Opinion dissidente Décision rendue par un tribunal national et passée en force de chose jugée Partie autre que le demandeur ayant droit à l’obtention d’un brevet Intérêts des tiers Retrait de la demande initiale par le demandeur non habilité Dépôt d’une nouvelle demande par le demandeur habilité |
||||||||
Exergue : |
– |
||||||||
Décisions citées : |
|
||||||||
Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
|
Rappel de la procédure
I. Au cours de la procédure relative au recours J 1/91 (JO OEB 1993, 281) dont elle est saisie, et suite à la demande formulée par le requérant, la Chambre de recours juridique a, dans sa décision en date du 31 mars 1992, soumis à la Grande Chambre de recours, en application de l’article 112(1)a) CBE, une question de droit d’importance fondamentale sur l’étendue des moyens de droit dont dispose le véritable inventeur (ou ses ayants cause) selon l’article 61 CBE, lorsqu’une personne autre que le véritable inventeur a déposé une demande de brevet européen.
II. Les faits de l’affaire en instance devant la Chambre de recours juridique sont exposés de façon exhaustive dans la décision de saisine mentionnée ci-dessus. Aux fins de répondre à la question de droit soumise à la Grande Chambre, les faits pertinents, tels qu’exposés dans cette décision, peuvent être résumés plus brièvement comme suit.
En 1982, le requérant souhaitait exploiter un dispositif qu’il avait développé. A cette fin, des détails du dispositif en question ont été divulgués, à titre confidentiel, à un tiers. Ce dernier (le “demandeur non habilité”) a déposé en 1985, à l’insu du requérant, une demande de brevet européen (la “demande de 1985”) ayant pour objet ce dispositif. Cette demande a été ensuite publiée en 1985, mais a été réputée retirée en 1986 parce qu’aucune requête en examen n’avait été formulée en temps utile.
Le requérant qui, à l’époque, ignorait l’existence de la demande de 1985 a déposé en 1987 une demande de brevet européen ayant pour objet le même dispositif. Un rapport de recherche européenne, dans lequel la demande antérieure de 1985 était citée, a été rédigé et transmis en 1988 au requérant, lequel a ainsi été informé pour la première fois de l’existence de cette demande.
En conséquence, le requérant a soumis au Comptroller de l’Office des brevets du Royaume-Uni, en application de l’article 12 de la Loi de 1977 sur les brevets du Royaume-Uni, la question de savoir s’il avait droit à l’obtention d’un brevet européen pour l’invention exposée dans la demande de 1985. Le 6 mars 1990, un Superintending Examiner agissant au nom du Comptroller a dûment rendu une décision en faveur du requérant.
Dans les trois mois, le requérant a déposé, en application de l’article 61(1)b) CBE, une nouvelle demande de brevet (la “demande de 1990”) ayant pour objet l’invention divulguée dans la demande de 1985. Toutefois, la section de dépôt de l’Office européen des brevets a rendu, le 27 décembre 1990, une décision dans laquelle elle a estimé que la demande de 1990 ne pouvait pas être traitée suivant les dispositions de l’article 61(1)b) CBE, parce que la demande de 1985 n’était plus en instance à la date de dépôt de la demande de 1990, ce qui, selon elle, constituait une condition préalable à l’application de l’article 61 CBE.
Cette décision se fonde essentiellement sur le libellé de l’article 61 CBE et des règles 13 et 15 CBE y relatives ; mention est également faite de “l’intérêt prédominant concernant la sécurité juridique en matière de brevets” et de la possibilité, pour un demandeur habilité, de faire valoir ses droits en vertu des dispositions ci-dessus, tant qu’une demande déposée par un demandeur non habilité est encore en instance.
Le recours formé par le requérant contre la décision de la section de dépôt fait l’objet de l’affaire mentionnée ci-dessus dont a été saisie la Chambre de recours juridique. La question que celle-ci a soumise à la Grande Chambre de recours s’énonce comme suit:
“Si une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur et si cette personne, conformément aux dispositions particulières de l’article 61(1) CBE, dépose une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention en vertu des dispositions de l’article 61(1)b) CBE, faut-il, pour que la demande soit admise, que la demande initiale usurpatoire soit toujours en instance devant l’OEB lors du dépôt de la nouvelle demande ?”
III. Après que la Grande Chambre de recours a été saisie de la question ci-dessus, le Président de l’Office européen des brevets a demandé que lui soit offerte la possibilité de présenter par écrit ses observations sur la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours, conformément à l’article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours. Cette demande était motivée par l’intérêt et l’importance de l’affaire, qui résident en ce qu’elle concerne le principe fondamental de la sauvegarde des droits du véritable inventeur au sein du système du brevet européen. Dans sa réponse, la Grande Chambre a invité le Président à présenter ses observations sur la question de savoir si l’article 61 CBE protège les droits du véritable inventeur dans le cas où un demandeur non habilité a déposé auparavant une demande européenne et l’a retirée après sa publication.
IV. Le 5 novembre 1992, le Président de l’OEB a présenté à la Grande Chambre ses observations, lesquelles appuient l’interprétation donnée par la section de dépôt de l’article 61 CBE et contiennent des références aux “documents préparatoires” ayant précédé la rédaction de l’article 61 CBE.
La raison principale du soutien apporté par le Président à l’interprétation de l’article 61 CBE donnée par la section de dépôt est la crainte que si l’article 61 CBE était applicable même dans les cas où une demande déposée par un demandeur non habilité n’est plus pendante, il en résulte une incertitude juridique en ce sens que les tiers pourraient être induits en erreur par un tel retrait et entamer des activités industrielles qui seraient ensuite entravées si un demandeur habilité était ultérieurement autorisé à déposer une nouvelle demande européenne ayant le même objet et la date d’effet de la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité. D’après le système envisagé par le Président, un demandeur habilité est donc tenu de protéger ses intérêts en surveillant toutes les demandes pertinentes en instance, dès qu’elles sont publiées conformément à l’article 93 CBE, afin de s’informer de l’existence de toute demande pendante déposée par un demandeur non habilité et portant sur un objet auquel il a droit. Au cas où il apprend l’existence d’une telle demande déposée par un demandeur non habilité, il doit prendre immédiatement les mesures prévues par les règles 13 et 14 CBE afin d’empêcher que la demande déposée par le demandeur non habilité ne soit retirée ou qu’il n’en soit autrement disposé. Toutefois, le Président a reconnu qu’un tel système pourrait inévitablement aboutir à des résultats inéquitables: ceci serait le cas, par exemple, si une invention était dérobée au demandeur habilité, à son insu, et si, ensuite, une demande européenne déposée par un demandeur non habilité était retirée immédiatement après sa publication.
Motifs de la décision
1. La question soumise à la Grande Chambre porte spécifiquement sur l’interprétation de l’article 61(1) CBE, lequel régit les droits procéduraux d’une personne à qui le droit à l’obtention du brevet européen correspondant à une demande de brevet européen a été reconnu, à l’encontre du demandeur effectif. Toutefois, l’article 61 CBE fait partie d’un système juridique prévu par la CBE afin de déterminer le droit à une demande de brevet européen lorsqu’il est contesté, et de mettre en application une telle décision. Le libellé de l’article 61 CBE doit être interprété dans ce contexte et à la lumière de l’objet ainsi que de la finalité de ce système. Il est donc nécessaire d’examiner en premier lieu la nature dudit système et la place de l’article 61 CBE en son sein, avant d’examiner le libellé détaillé de l’article 61 CBE et des règles destinées à en assurer l’application.
2. Aux termes de l’article 60(1) CBE, le droit au brevet européen appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. Par conséquent, en droit, seul l’inventeur (ou son ayant cause) est habilité à demander un brevet européen auprès de l’OEB et, sous réserve de l’examen de la demande en vue de vérifier s’il a été satisfait aux conditions requises en matière de brevetabilité ainsi qu’aux autres exigences de la CBE, à obtenir un brevet européen pour son invention. Toutefois, l’article 58 CBE dispose que toute personne physique ou morale peut demander un brevet européen, et l’article 60(3) CBE prévoit que “dans la procédure devant l’Office européen des brevets, le demandeur est réputé habilité à exercer le droit au brevet européen”. Par conséquent, une demande de brevet européen peut, en fait, être déposée pour un objet susceptible d’être reconnu comme étant inventif par une personne autre que l’inventeur ou son ayant cause, en violation des droits de ce dernier et avant qu’il ait lui-même déposé une demande de brevet européen portant sur l’objet en question.
3. Selon le système du brevet européen, l’OEB n’a pas compétence pour régler un différend quant à la question de savoir si un demandeur est habilité ou non par la loi à demander et à obtenir un brevet européen pour l’objet d’une demande particulière. La détermination, avant la délivrance, du droit à l’obtention du brevet européen est régie par le “protocole sur la compétence judiciaire et la reconnaissance de décisions portant sur le droit à l’obtention du brevet européen” (“protocole sur la reconnaissance”), qui fait partie intégrante de la CBE. Ce protocole donne compétence aux tribunaux des Etats contractants pour statuer sur les actions visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen, il prévoit un système aux fins de déterminer, dans chaque cas particulier, quel est le tribunal national qui doit statuer sur de telles actions, et exige que les décisions rendues en la matière soient mutuellement reconnues dans les Etats parties à la CBE.
3.1 L’article premier, paragraphe 1, du protocole dispose que “Pour les actions intentées contre le titulaire d’une demande de brevet européen visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen pour un ou plusieurs des Etats contractants désignés dans la demande de brevet européen, la compétence des tribunaux des Etats contractants est déterminée …”. S’agissant de toute action particulière intentée par un prétendu demandeur habilité contre le demandeur effectif d’un brevet européen, l’Etat contractant dont les juridictions ont compétence pour statuer sur l’action est déterminé par les règles de compétence prévues aux articles 2 à 8 du protocole. Pour toute action de ce type, ces règles de compétence désignent les tribunaux d’un (et d’un seul) Etat contractant comme la ou les juridictions compétentes pour trancher le différend.
Après qu’un tribunal d’un Etat contractant a rendu une décision passée en force de chose jugée en ce qui concerne “le droit à l’obtention du brevet européen pour un ou plusieurs Etats désignés dans la demande de brevet européen”, l’article 9(1) du protocole dispose qu’une telle décision “est reconnue dans les autres Etats contractants, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure”. En outre, l’article 9(2) du protocole dispose qu'”il ne peut être procédé ni au contrôle de la compétence de la juridiction dont la décision doit être reconnue ni à la révision au fond de cette décision”.
3.2 Aux termes de l’article 167(2) CBE, un Etat contractant de la CBE peut se réserver la faculté de prévoir qu’il n’est pas lié par le protocole sur la reconnaissance. En vertu de l’article 167(3) CBE, une telle réserve ne peut produire ses effets que pour une période de temps limitée. L’article premier, paragraphe 3 du protocole dispose qu’au sens du présent protocole, on entend par “Etats contractants” ceux des Etats parties à la convention qui n’ont pas exclu l’application du protocole sur la reconnaissance en vertu de l’article 167 CBE.
3.3 Par conséquent, conformément aux dispositions susmentionnées du protocole sur la reconnaissance, seul un tribunal de l’Etat contractant approprié peut statuer sur une action visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen; c’est la seule juridiction devant laquelle un demandeur habilité peut engager une action afin de faire constater son droit. En outre, lorsqu’un tel tribunal national a statué sur une action de ce type dans une décision passée en force de chose jugée en faveur d’un demandeur habilité (B) et à l’encontre d’un demandeur non habilité (A) en ce qui concerne une demande de brevet européen, cette décision doit être reconnue dans tous les autres Etats contractants qui sont liés par le protocole. En vertu du protocole sur la reconnaissance et sous réserve de ses articles 10 et 11(2), la reconnaissance est automatique et de droit.
3.4 Lorsqu’une juridiction nationale de l’Etat contractant approprié statue sur une affaire individuelle concernant une action en revendication du droit à l’obtention du brevet européen conformément au protocole sur la reconnaissance, elle applique le droit national particulier qui régit le règlement de l’affaire, ce droit pouvant ou non être son propre droit national, dans le cadre de son propre système juridique. En l’absence des règles de compétence et de reconnaissance prévues par le protocole sur la reconnaissance, une affaire individuelle portant sur un différend quant à la personne habilitée à demander un brevet européen pourrait faire l’objet d’une procédure devant plusieurs juridictions nationales et pourrait être tranchée différemment selon les juridictions. L’OEB se verrait alors dans l’impossibilité de traiter avec un seul demandeur (le demandeur habilité) en ce qui concerne la demande européenne faisant l’objet d’une telle procédure.
Les dispositions du protocole sur la reconnaissance mentionnées ci-dessus évitent de telles difficultés. Une action en revendication du droit à l’obtention du brevet européen est tranchée par une juridiction d’un seul Etat contractant et, quelle qu’en soit l’issue, la décision de cette juridiction est reconnue dans tous les autres Etats contractants liés par le protocole. Ces règles de compétence prévues dans le protocole trouvent leur contre-partie à l’article 61 CBE, en vertu duquel la décision rendue par la juridiction nationale compétente pour trancher un différend portant sur le droit défini à l’article 60(1) CBE peut être appliquée et exécutée aux fins de la procédure de délivrance devant l’OEB. Après que le demandeur habilité (B) a engagé une nouvelle procédure devant l’OEB conformément à l’article 61 CBE, l’OEB doit traiter, dans cette nouvelle procédure, avec le demandeur habilité (B) aux lieu et place du demandeur non habilité (A).
4. Pour ce qui est maintenant du problème particulier d’interprétation sous-jacent à la question de droit soumise à la Grande Chambre, celui-ci concerne la situation qui existe lorsque la demande de brevet européen antérieure déposée par un demandeur non habilité n’est plus en instance devant l’OEB (parce qu’elle a été retirée, qu’elle est réputée retirée ou qu’elle a été rejetée) au moment où le demandeur habilité dépose une nouvelle demande de brevet européen conformément à l’article 61(1)b) CBE. La demande antérieure peut avoir cessé d’être en instance soit avant que le demandeur ait introduit une procédure devant un tribunal national afin de faire valoir son droit à l’obtention d’un brevet européen, soit après.
La question de droit posée suppose qu'”une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur” et porte sur le cas où la demande antérieure n’était pas en instance devant l’OEB (parce qu’elle avait été réputée retirée) lorsque le demandeur habilité a engagé devant un tribunal national une procédure ayant donné lieu à la décision passée en force de chose jugée.
Dans un tel cas, si l’article 61 CBE doit s’appliquer, la question se pose de savoir si une telle décision passée en force de chose jugée est une décision au sens de l’article 61(1) CBE et, en particulier, si elle “doit être reconnue en vertu du protocole sur la reconnaissance”, eu égard au fait que la procédure ayant conduit à la décision passée en force de chose jugée a été engagée à une date à laquelle il n’y avait plus de demande en instance devant l’OEB.
4.1 L’article premier, paragraphe 1 du protocole donne compétence à de tels tribunaux nationaux pour statuer sur des actions visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen “contre le titulaire d’une demande de brevet européen”. Dans ses observations à l’appui de la décision rendue par la section de dépôt, le Président a suggéré que les termes “contre le titulaire d’une demande de brevet européen” figurant à l’article premier, paragraphe 1 du protocole devraient être interprétés comme se référant à un demandeur existant, ce qui exige donc qu’une demande soit en instance, et que le protocole sur la reconnaissance ne s’applique pas aux cas où la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité n’est plus en instance.
4.2 De l’avis de la Grande Chambre, le libellé de l’article premier, paragraphe 1 du protocole, considéré dans son ensemble, n’exclut pas de la compétence des tribunaux nationaux les cas où la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité n’est plus en instance, mais peut couvrir tous les cas où une demande de brevet européen antérieure a été déposée par un demandeur non habilité, que cette demande soit encore en instance ou non.
4.3 En fait, si la compétence des tribunaux nationaux était exclue en vertu du protocole sur la reconnaissance lorsque la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité n’est plus en instance, il en résulterait une situation dans laquelle un demandeur non habilité pourrait lui-même faire en sorte que l’action intentée contre lui par le demandeur habilité soit exclue d’une telle compétence. En retirant sa propre demande après la publication de celle-ci, un demandeur non habilité pourrait empêcher le demandeur habilité d’obtenir une protection par brevet européen pour son invention et ainsi s’assurer la possibilité d’exploiter en toute liberté l’invention qu’il a usurpée. Si le protocole sur la reconnaissance était interprété de cette façon, le système juridique qu’il prévoit inciterait effectivement un demandeur non habilité à user de tels procédés. De l’avis de la Grande Chambre, cette situation juridique ne serait ni raisonnable, ni acceptable, et le protocole sur la reconnaissance ne saurait avoir été conçu de façon à encourager de tels procédés.
4.4 Dans le cas où la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité a été publiée et n’est plus en instance au moment où une action visant à faire valoir le droit à l’obtention du brevet européen est intentée devant un tribunal national, le fait de reconnaître au demandeur habilité le droit à l’obtention du brevet peut éventuellement porter préjudice aux tiers qui ont entamé des activités industrielles faisant usage de l’objet de la demande antérieure, en ayant cru que cet objet relevait du domaine public et ne pouvait donc pas être protégé par un brevet européen. En règle générale, plus l’intervalle de temps s’écoulant entre la date à laquelle la demande antérieure cesse d’être en instance et la date à laquelle le droit du demandeur habilité est reconnu par un tribunal national est long, plus le risque est grand qu’un tel préjudice soit causé à un tiers.
La mesure dans laquelle un tribunal national, statuant sur une action selon l’article premier, paragraphe 1 du protocole dans une affaire où la demande antérieure n’est plus en instance, devrait tenir compte d’un retard dans l’engagement et la poursuite, par le demandeur habilité, d’une procédure en vue de faire constater son droit, ainsi que de l’éventuel préjudice en résultant pour un tiers, relève de la compétence des tribunaux nationaux.
5. Comme indiqué au point 3.4 supra, l’article 61 CBE permet à un demandeur habilité, à qui le droit à l’obtention du brevet européen a été reconnu dans une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national, d’engager en son propre nom une procédure devant l’OEB.
Les dispositions de l’article 61 CBE doivent être clairement interprétées, de façon à être conformes aux règles de compétence décrites aux points 3 et 3.4 supra, lesquelles donnent aux tribunaux nationaux des Etats contractants compétence pour trancher les différends portant sur le droit à l’obtention du brevet européen, et à en réaliser les objectifs. Combinées aux dispositions de l’article 61 CBE et aux règles destinées à en assurer l’exécution, ces règles de compétence constituent un système juridique coordonné, destiné à fournir les moyens de droit appropriés dans le cas où un demandeur non habilité a déposé une demande de brevet européen en violation des droits de l’inventeur, ou de ses ayants cause, définis à l’article 60(1) CBE. Il serait contraire à un tel système juridique d’interdire à un demandeur habilité, à qui le droit à l’obtention du brevet européen a été reconnu dans une décision passée en force de chose jugée, rendue par le tribunal national compétent, conformément au protocole sur la reconnaissance, d’utiliser ensuite la procédure centralisée prévue à l’article 61(1) CBE.
5.1 Conformément à l’article 61(1) CBE, le demandeur habilité (étant “une personne visée à l’article 60(1) CBE autre que le demandeur”) peut, dans le délai de trois mois suivant le prononcé d’une décision passée en force de chose jugée par le tribunal national compétent, et “à condition que le brevet n’ait pas encore été délivré”, en référence à la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité:
“a) poursuivre, aux lieu et place du demandeur, la procédure relative à la demande, en prenant cette demande à son compte,
b) déposer une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention, ou
c) demander le rejet de la demande.”
5.2 Pour les motifs exposés ci-après, le libellé de l’article 61 CBE n’exclut pas, si on l’interprète correctement, son application aux cas où la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité n’est plus en instance lorsque le demandeur habilité dépose une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
5.3 Pour la même raison qu’au point 4.2 supra, prise ensemble avec le protocole sur la reconnaissance, la référence au “demandeur” figurant à l’article 61(1) CBE n’implique pas nécessairement qu’il doive exister un demandeur et, par conséquent, une demande en instance pour que l’article 61(1) CBE soit applicable.
De plus, le membre de phrase à l’article 61(1) CBE “à condition que le brevet européen n’ait pas encore été délivré”, qui constitue en fait une condition préalable à l’applicabilité de l’article 61 CBE, n’exige pas forcément que la demande soit toujours en instance. Au contraire, ce membre de phrase peut raisonnablement être interprété comme indiquant que l’article 61 CBE est uniquement applicable dans le cas d’une décision passée en force de chose jugée qui met fin à un différend portant sur le droit à une demande de brevet européen, et non pas dans le cas d’un différend portant sur le droit à un brevet européen délivré. Cette interprétation est confirmée par la teneur des alinéas a), b) et c) de l’article 61(1) CBE, qui garantissent que l’OEB contrôle la phase qui précède et comprend le prononcé d’une décision de délivrance ou de rejet de la demande, à la suite des démarches appropriées exécutées par le demandeur habilité.
Par conséquent, rien dans le libellé de l’article 61(1) CBE, considéré dans son ensemble, n’exige qu’une demande soit en instance au moment où un demandeur habilité agit en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
5.4 L’article 61(2) CBE quant à lui prévoit que, lorsqu’un demandeur habilité dépose une nouvelle demande de brevet européen en vertu des dispositions de l’article 61(1) CBE, l’article 76(1) CBE (qui porte sur les demandes divisionnaires européennes) est applicable mutatis mutandis à la nouvelle demande. Cela signifie, en particulier, qu’à condition que la la nouvelle demande ne soit déposée que “pour des éléments qui ne s’étendent pas au-delà du contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée”, elle sera “considérée comme déposée à la date de dépôt de la demande initiale et bénéficiera du droit de priorité” de la demande initiale déposée par le demandeur non habilité. Il ressort de cette disposition que si la nouvelle demande ne contient pas d’éléments ajoutés par rapport à la demande initiale, le contenu de cette dernière n’est pas compris dans l’état de la technique conformément à l’article 54(1) CBE en ce qui concerne la nouvelle demande.
Par conséquent, rien dans l’article 76(1) CBE n’exige qu’une demande soit en instance au moment où un demandeur habilité dépose une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
5.5 Il convient de noter que l’article 61(2) CBE fait uniquement référence au paragraphe 1 de l’article 76 CBE, de sorte que cette référence a une portée très limitée.
L’article 61(2) CBE ne fait notamment pas référence à l’article 76(2) CBE, qui dispose qu’une demande divisionnaire de brevet européen “ne peut désigner d’autres Etats contractants que ceux qui étaient désignés dans la demande initiale”.
Il apparaît qu’il existe une raison valable qui justifie cette absence de référence à l’article 76(2) CBE, à savoir qu’un demandeur habilité déposant une nouvelle demande en application de l’article 61(1)b) CBE ne peut désigner dans sa nouvelle demande que les Etats contractants désignés dans la demande de brevet européen (antérieure), “dans lesquels la décision a été rendue ou reconnue, ou doit être reconnue en vertu du protocole sur la reconnaissance, annexé à la convention” (cf. article 61(1) CBE). Il est clair qu’il s’agit là d’une considération différente.
En outre, l’article 61(2) CBE ne fait pas référence à l’article 76(3) CBE, qui porte sur la procédure à suivre lors du dépôt d’une demande divisionnaire en vertu de l’article 76(1) CBE, les conditions particulières s’appliquant à une telle demande divisionnaire ainsi que le délai pour le paiement des taxes de dépôt, de recherche et de désignation exigibles au titre de cette demande, et qui renvoie , à cet égard, au règlement d’exécution.
Il ressort qu’il existe une raison justifiée de ne trouver à l’article 61(2) aucune référence à l’article 76(3) CBE, du fait que l’article 61(3) CBE lui-même contient des dispositions équivalentes régissant la procédure à suivre lorsqu’un demandeur habilité dépose une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE; il est donc évident que les dispositions de l’article 76(3) CBE ne peuvent pas s’appliquer à une telle nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
5.6 L’article 61(3) CBE renvoie également au règlement d’exécution qui comporte les dispositions de procédure à suivre, les conditions particulières applicables ainsi que le délai pour le paiement des taxes correspondantes pour une nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
Les dispositions d’application de la seconde partie de la CBE, laquelle comprend les articles 52 à 74 CBE, font l’objet des règles 13 à 23 CBE; et les dispositions d’application de la troisième partie de la CBE, qui comprend les articles 75 à 89 CBE, sont exposées aux règles 24 à 38 CBE. Il s’ensuit que les dispositions d’application des articles 60 et 61 CBE sont contenues dans les règles 13 à 16 CBE (les dispositions d’application de l’article 61 CBE figurant en particulier aux règles 15 et 16 CBE), tandis que les dispositions d’application de l’article 76 CBE font l’objet de la seule règle 25 CBE, celle-ci ne constituant notamment pas une disposition d’application de l’article 61(3) CBE.
La version actuelle de la règle 25 CBE dispose que “le demandeur peut déposer une demande divisionnaire relative à une demande de brevet européen initiale encore en instance”. Cela signifie que l’existence d’une demande en instance constitue une condition particulière devant être remplie lorsque le demandeur dépose une demande divisionnaire de brevet européen. Cela ne signifie pas que l’existence d’une demande initiale en instance (déposée par le demandeur non habilité) est une condition préalable au dépôt d’une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
Il y a lieu de noter qu’en vertu de la règle 15(1) CBE, si la demande initiale (déposée par le demandeur non habilité) est toujours en instance au moment où une nouvelle demande est déposée (par le demandeur habilité) en application de l’article 61(1)b) CBE, elle “est réputée retirée à compter du dépôt de la nouvelle demande”. Cette disposition serait bien entendu tout à fait inappropriée pour ce qui est de la demande initiale d’une demande divisionnaire, ce qui corrobore la conclusion ci-dessus, à savoir que les dispositions d’application de l’article 61 CBE se trouvent aux règles 15 et 16 CBE (et non pas à la règle 25 CBE), tandis que les dispositions d’application de l’article 76 CBE figurent à la règle 25 CBE.
5.7 Les règles 13 et 14 CBE constituent les dispositions d’application de l’article 60 CBE. Elles présupposent que la demande antérieure (déposée par le demandeur non habilité) est en instance au moment où la personne prétendant être le demandeur habilité engage une procédure devant une juridiction nationale d’un Etat contractant, afin de faire valoir son droit à l’obtention du brevet, et elles sont censées être applicables dans cette situation de fait.
Toutefois, de l’avis de la Grande Chambre, cela ne signifie pas que l’existence d’une demande antérieure en instance est essentielle, soit au moment où le demandeur habilité introduit une procédure devant une juridiction nationale, soit lorsqu’il dépose une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE. Comme toutes les autres dispositions d’application, les règles 13 et 14 CBE sont subsidiaires par rapport aux articles de la CBE, au sens de l’article 164(2) CBE. Elles sont applicables dans les cas où la demande antérieure est en instance lorsque le demandeur habilité introduit une procédure devant une juridiction nationale. Elle ne sont ni applicables ni pertinentes dans les cas où la demande antérieure n’est plus en instance au moment où une procédure est engagée devant une juridiction nationale. Tel est le plein effet des règles 13 et 14 CBE.
La règle 15(1) CBE présuppose que la demande de brevet européen antérieure est encore en instance lorsque le demandeur habilité dépose une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1) CBE, et elle n’est donc, de la même manière, ni applicable ni pertinente dans le cas où il n’y a pas de demande en instance à ce moment. En revanche, il est clair que les paragraphes 2 et 3 de la règle 15 sont applicables, que la demande soit en instance ou non à ce moment, de même que la règle 16 CBE.
Par conséquent, selon la Grande Chambre, le libellé des règles 13 à 16 CBE ne conduit pas à la conclusion que l’article 61(1)b) CBE n’est applicable que si la demande antérieure (déposée par le demandeur non habilité) est toujours en instance lors du dépôt de la nouvelle demande.
5.8 De l’avis de la Grande Chambre, eu égard à ce qui est exposé aux points 5.3 à 5.7 supra, ainsi qu’au point 5 supra, l’interprétation correcte de l’article 61 CBE est donc la suivante : dans les cas où la demande antérieure (déposée par le demandeur non habilité) n’est plus en instance au moment où une décision passée en force de chose jugée est rendue par un tribunal national reconnaissant le droit de la personne prétendant être le demandeur habilité, le paragraphe b) de l’article 61(1) est applicable, bien que les paragraphes a) et c) de cet article ne le soient manifestement pas, ce qui permet au demandeur habilité de déposer une nouvelle demande ayant pour objet son invention et d’en poursuivre la procédure devant l’OEB.
6. Dans le cas où la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité a été publiée, et cesse ensuite d’être en instance, comme exposé au point 4.4 supra, il se peut qu’un tiers entame des activités industrielles faisant usage de l’objet de cette demande antérieure, en croyant que cet objet relève du domaine public et ne peut plus ensuite être protégé par un brevet européen. Le dépôt ultérieur d’une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE (dont la date de dépôt effective est celle de la demande antérieure) serait de nature à porter préjudice aux activités du tiers. Si, toutefois, à la suite de la délivrance d’un brevet européen, le demandeur habilité introduit une action en contrefaçon à l’encontre de ce tiers, la juridiction nationale saisie pourra, lorsqu’elle statuera sur l’affaire, tenir compte des circonstances spéciales dans lesquelles ont été entamées les activités de contrefaçon prétendues.
7. Il convient d’ajouter que les moyens de droit prévus à l’article 61 CBE pour le demandeur habilité, dont l’invention a été dérobée en violation de l’obligation de secret et a fait l’objet d’une demande de brevet européen déposée par un demandeur non habilité, sont, juridiquement, tout à fait distincts de la protection prévue à l’article 55(1)a) CBE pour un demandeur habilité dont l’invention a été divulguée en violation de l’obligation de secret. L’article 55(1)a) CBE dispose qu’une divulgation résultant directement ou indirectement d’un abus évident à l’égard du demandeur ou de son prédécesseur en droit n’est pas considérée, pour l’application de l’article 54 CBE, comme étant comprise dans l’état de la technique à la date de dépôt d’une demande de brevet européen par le demandeur habilité, à condition qu’une telle divulgation ne soit pas intervenue plus tôt que six mois avant le dépôt de la demande de brevet européen par le demandeur habilité. Par conséquent, la protection conférée à un demandeur habilité en vertu de l’article 55 CBE, à la suite d’une divulgation résultant d’un abus évident, ne s’étend que sur une période de six mois à compter de la divulgation, tandis que la protection conférée à un demandeur habilité en vertu de l’article 61 CBE ne fait l’objet d’aucun délai spécifique de ce type (que la demande antérieure de brevet européen déposée par le demandeur non habilité soit encore en instance ou non). Néanmoins, comme exposé aux points 4.4 et 6 supra, le système instauré par l’article 61 CBE et le protocole sur la reconnaissance permet de tenir compte de façon appropriée de l’effet produit par le temps écoulé sur les droits du demandeur habilité, dans les cas où la demande de brevet européen antérieure déposée par un demandeur non habilité cesse d’être en instance devant l’OEB.
8.1 Une minorité des membres de la Grande Chambre a été d’un avis différent pour les raisons suivantes :
En vertu de l’article premier CBE, il est institué un droit commun aux Etats contractants en matière de délivrance de brevets d’invention. A cette fin, l’OEB a pour tâche d’examiner les demandes de brevet en vue de déterminer si un brevet peut être délivré (cf. articles 18 et 94 CBE). L’examen présuppose l’existence d’une demande valablement en instance. Il n’est pas possible de délivrer un brevet si une demande de brevet n’a pas été déposée, ou ne l’est pas encore. Un brevet ne saurait davantage être délivré pour une demande qui, bien qu’ayant été déposée, est devenue irrévocablement caduque depuis lors.
La CBE est muette en ce qui concerne la revendication de la date de dépôt d’une demande caduque, ainsi que la revendication de sa date de priorité après l’expiration de l’année de priorité. Si l’intention de ses auteurs avait été de déroger à ce principe, il aurait été nécessaire d’insérer une disposition correspondante à l’article 61(1)b) CBE, afin de prévoir la possibilité de déposer une telle nouvelle demande. Cela n’est pas le cas, de sorte que le principe général, selon lequel il n’est possible de revendiquer ni la date de dépôt d’une demande antérieure qui est devenue caduque avant la date de dépôt de la nouvelle demande, ni sa date de priorité après l’expiration de l’année de priorité, s’applique également à toute nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE. Il s’ensuit que d’après l’article 61(1)b) CBE, la demande antérieure doit toujours être en instance lors du dépôt de la nouvelle demande, si le demandeur qui la dépose souhaite revendiquer pour sa propre demande la date de dépôt ou, après l’expiration de l’année de priorité, la date de priorité de la demande antérieure.
8.2 Si une personne, à qui le droit à l’obtention du brevet européen a été reconnu conformément à l’article 61(1)b) CBE, dépose une demande de brevet européen et si la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité est toujours en instance, la demande déposée par la partie lésée est, conformément à l’article 61(2) pris ensemble avec l’article 76(1) CBE, considérée comme déposée à la date de dépôt de la demande initiale et bénéficie du droit de priorité.
Si, en revanche, la partie lésée dépose une demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE alors que la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité n’est plus en instance à la date du dépôt de la nouvelle demande, la partie lésée ne peut plus revendiquer les dates de dépôt et de priorité de la demande antérieure qui est déjà devenue irrévocablement caduque. C’est ce que l’on peut déduire de l’article 61(2) CBE, selon lequel les dispositions de l’article 76(1) CBE sont applicables mutatis mutandis à toute nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE. Cela signifie que les dispositions de l’article 76(1) CBE relatives aux demandes divisionnaires s’appliquent donc également aux nouvelles demandes déposées en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
Les demandes divisionnaires ne peuvent cependant être déposées que si la demande initiale est encore en instance. Bien que l’article 76(1) CBE ne l’énonce pas expressément, cela ressort nécessairement du terme “demande divisionnaire”, parce que seul ce qui existe (à savoir la demande initiale) peut être divisé. Selon son concept, le dépôt d’une demande divisionnaire exige que la demande initiale soit en instance. Il s’agit en outre d’un principe généralement admis en ce qui concerne la division de demandes de brevet, comme cela ressort, par exemple, de l’article 4G de la Convention de Paris. Ce principe est réitéré à la règle 25(1) CBE, qui confère au demandeur le droit, dans un délai défini, de “déposer une demande divisionnaire relative à une demande de brevet européen initiale encore en instance”. En raison du renvoi à l’article 76(1) CBE figurant à l’article 61(2) CBE, toute nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE est subordonnée à la condition préalable que la demande antérieure soit encore en instance. Comme dans le cas d’une demande divisionnaire, une nouvelle demande ne peut être valablement déposée que si la demande antérieure est encore en instance.
8.3 L’exigence visée à l’article 61(2) pris ensemble avec l’article 76(1) CBE, selon laquelle la demande initiale doit encore être en instance lors du dépôt de la nouvelle demande, est confirmée par l’article 61(1) CBE.
Conformément à l’article 61(1)b) CBE, une personne à qui le droit à l’obtention du brevet européen a été reconnu dans une décision passée en force de chose jugée peut, dans un délai de trois mois, déposer une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention, “à condition que le brevet européen n’ait pas encore été délivré”.
Il ressort tout d’abord clairement de cette disposition que l’article 61(1) CBE ne peut pas être appliqué si le brevet européen a déjà été délivré. L’accent mis sur le fait que le brevet européen ne doit “pas encore” avoir été délivré montre également clairement que la procédure devrait encore être au stade où la demande est en instance. Par conséquent, il doit toujours être possible, en droit procédural, de délivrer un brevet. Si, d’un point de vue procédural, il n’est pas possible de délivrer un brevet, parce qu’aucune demande n’a été déposée ou que la demande est devenue caduque depuis lors, il n’est pas satisfait à l’exigence légale posée à l’article 61(1) CBE, à savoir que le brevet européen ne doit “pas encore” avoir été délivré. Dans le cas d’une demande qui, pour une quelconque raison, est devenue caduque, il n’est pas possible de dire que le brevet n’a “pas encore” été délivré. Le mot “encore” figurant à l’article 61(1) CBE présuppose logiquement qu’il devrait toujours être possible de délivrer le brevet. Or, il n’est satisfait à cette exigence que si la demande de brevet européen qui n’a pas encore donné lieu à la délivrance d’un brevet est encore en instance.
Il résulte donc de l’article 61(2) CBE pris ensemble avec l’article 76(1) CBE et de l’article 61(1) CBE qu’une nouvelle demande de brevet européen ne peut être déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE que si la demande antérieure est encore en instance.
8.4 Les dispositions de l’article 61 CBE, telles que rédigées par le législateur, apportent une solution bien équilibrée et équitable au conflit d’intérêts. Il convenait de trouver un compromis raisonnable entre, d’une part, les intérêts du véritable propriétaire de l’invention déposée par un demandeur non habilité, et, d’autre part, les intérêts du public, qui devrait pouvoir en toute sécurité tenir comme établi que les demandes européennes devenues caduques ne peuvent pas, par la suite, être remises en vigueur par l’OEB sans aucune limitation dans le temps. La solution apportée à ce problème de conflit d’intérêts, telle que prévue par l’article 61(1) CBE, confère au demandeur habilité le droit de poursuivre en son nom la procédure relative à la demande existante déposée par une autre personne, que ce soit en se substituant simplement au demandeur conformément à l’article 61(1)a) CBE ou en formulant dans ses propres termes une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention conformément à l’article 61(1)b) CBE. Ces dispositions légales confèrent à la personne légalement habilitée à déposer la demande un droit limité de poursuivre la procédure relative à la demande d’une autre personne, tout en protégeant les intérêts du public, dans la mesure où elles permettent au public de ne pas être pris au dépourvu par la délivrance d’un brevet pour une invention faisant l’objet d’une demande qui est devenue irrévocablement caduque depuis longtemps.
8.5 Les dispositions du chapitre I de la deuxième partie du règlement d’exécution, qui régissent la procédure à suivre dans le cas où un demandeur ou un titulaire n’est pas dûment habilité, présupposent toutes que la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité est encore en instance à la date du dépôt de la nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE.
Cela revêt une importance particulière, car les dispositions du règlement d’exécution proviennent de la même source que l’article 61 CBE – la Conférence diplomatique de Munich -, ce qui leur confère une grande autorité pour l’interprétation de l’article 61 CBE.
Ainsi, conformément à la règle 13 CBE, l’OEB suspend la procédure de délivrance concernant un demandeur, si un tiers apporte à l’OEB la preuve qu’il a introduit une procédure contre ce demandeur. Si une décision passée en force de chose jugée est intervenue, l’OEB notifie au demandeur non habilité que la procédure de délivrance est reprise à compter d’une date déterminée, à moins que, conformément à l’article 61(1)b) CBE, une nouvelle demande de brevet européen n’ait été déposée. Dans ce cas, la demande antérieure encore en instance, qui a été déposée par le demandeur non habilité, est réputée retirée conformément à la règle 15(1) CBE.
En outre, la Conférence diplomatique de Munich a pris des dispositions afin d’empêcher un demandeur non habilité de porter atteinte aux droits du véritable demandeur en retirant la demande de brevet européen. La règle 14 CBE dispose expressément que conformément aux conditions préalables qui y sont énoncées, un demandeur ne peut retirer ni la demande de brevet européen, ni la désignation de tout Etat contractant.
Toutes les dispositions du règlement d’exécution figurant aux règles 14 à 16 CBE pour l’application de l’article 61 CBE confirment donc qu’en ce qui concerne l’article 61(1) et (2) CBE, il faut que la demande antérieure déposée par le demandeur non habilité soit encore en instance pour que le dépôt d’une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE soit valable. La Conférence diplomatique de Munich a rarement réglé de façon aussi détaillée l’application d’autres articles dans le règlement d’exécution qu’elle ne l’a fait pour l’article 61 CBE. Considéré conjointement avec les règles 13 à 16 CBE, l’article 61 CBE fournit un système autonome, entièrement cohérent, qui couvre exhaustivement tous les aspects de la procédure dans les cas où le demandeur n’est pas dûment habilité. Considérées dans leur ensemble, les dispositions montrent clairement que la condition préalable au dépôt d’une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE est que la demande antérieure soit encore en instance.
8.6 Les documents des travaux préparatoires à la Convention sur le brevet européen montrent également de façon suffisamment claire que la demande antérieure doit être en instance pour que l’article 61(1)b) CBE soit appliqué.
Lors de sa 10e réunion, tenue à Luxembourg du 22 au 26 novembre 1971 (document BP/144/71 en date du 16 décembre 1971), la Conférence Intergouvernementale pour l’institution d’un système européen de délivrance des brevets a examiné quatre modèles de réglementation du droit à l’obtention d’un brevet européen. Au terme de débats approfondis, c’est la solution formulée actuellement à l’article 61(1)b) CBE qui a été choisie. Cette solution est définie comme suit dans le document ci-dessus : si un jugement passé en force de chose jugée est rendu en faveur d’une personne, celle-ci peut présenter une nouvelle demande et revendiquer la date de dépôt et la date de priorité de la demande antérieure. A compter du dépôt de la nouvelle demande, la demande antérieure est réputée retirée pour tous les Etats désignés dans lesquels le jugement a été rendu ou est reconnu. Pour les autres Etats, la demande antérieure peut être maintenue par le premier demandeur et la procédure de délivrance poursuivie (BP/144/71, point no 41). Il est souligné que la personne reconnue habilitée peut déposer une nouvelle demande remplaçant la demande initiale. Dans la mesure où la nouvelle demande ne contient pas de nouveaux éléments, il lui sera attribué la même date de dépôt et de priorité qu’à la demande initiale. Simultanément, la demande initiale sera réputée retirée pour ceux des Etats désignés dans lesquels le jugement en question a été rendu ou reconnu (cf. BP/144/71, point no 47).
8.7 S’il était permis de revendiquer pour une nouvelle demande la date de dépôt et la date de priorité d’une demande devenue depuis longtemps caduque, les tiers seraient lésés d’une façon inacceptable.
Par exemple, si cela était permis, la nouvelle demande pourrait être valablement déposée longtemps après que la demande antérieure serait devenue caduque. Les tiers qui exploiteraient l’objet de la demande durant la période s’écoulant entre la date d’extinction de la demande antérieure et le dépôt de la nouvelle demande deviendraient rétrospectivement des contrefacteurs. Ils seraient sans défense, étant donné que contrairement à l’article 122(6) CBE, l’article 61 CBE ne leur confère pas le droit de poursuivre librement l’exploitation de l’invention. L’absence d’une telle disposition s’explique par le fait qu’elle n’est pas requise parce que les auteurs de la Convention ont supposé que la nouvelle demande succéderait à la demande antérieure sans interruption. En fait, la possibilité qu’une nouvelle demande soit déposée pour l’objet d’une demande antérieure qui n’est plus en instance n’avait même pas été envisagée.
Si le législateur avait estimé que cela pouvait être autorisé, il aurait assurément protégé les tiers dont les droits seraient affectés par la restauration ultérieure de la demande caduque, parce qu’en exploitant une invention après l’extinction de la demande antérieure, ils avaient le droit de tenir en toute confiance pour établi qu’aucun brevet ne serait délivré pour l’invention concernée. A compter de la date de la publication, résultant de l’inscription conformément à la règle 92(1)n) CBE de la date à laquelle la demande de brevet européen est rejetée, retirée ou réputée retirée, tout tiers peut exploiter l’invention faisant l’objet d’une demande de brevet auparavant en instance, sans avoir à craindre une injonction de ne pas l’exploiter ou d’être assigné en dommages-intérêts. Le public a le droit de se fier aux mentions, prescrites par la loi, que l’OEB a inscrites au Registre des brevets.
Le seul cas où une demande devenue caduque peut ultérieurement être restaurée est prévu à l’article 122 CBE, lequel permet la restitutio in integrum en cas de perte de droit due à la non- observation d’un délai. Toutefois, non seulement ce droit est soumis à de strictes conditions et, notamment, à l’obligation d’avoir fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances, mais il est également étroitement limité par les délais prévus pour présenter la requête. En outre, les tiers qui commencent à exploiter une invention durant la période de temps s’écoulant entre la date à laquelle la demande est devenue caduque et l’inscription au Registre européen des brevets de la date du rétablissement dans un droit, conformément à la règle 92(1)u) CBE, sont protégés par le droit de poursuivre l’exploitation, ce qui signifie que la confiance qu’ils ont placée dans l’inscription de l’extinction d’une demande au Registre des brevets n’est pas trahie.
Une disposition similaire de protection des tiers devrait être prévue à l’article 61 CBE s’il était permis de déposer une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE, que la demande antérieure soit encore en instance ou non. Il conviendrait notamment de prévoir le droit de poursuivre l’exploitation afin de protéger les tiers et de prendre les dispositions nécessaires pour informer le public, en ce qui concerne l’inscription au Registre des brevets de la date à laquelle la demande antérieure caduque a été restaurée à la suite du dépôt d’une nouvelle demande.
Toutefois, la jurisprudence n’a pas autorité pour opérer un changement aussi profond de la CBE et de son règlement d’exécution, qui va au-delà de la portée d’une décision de justice, parce qu’il équivaut à une révision des règles régissant le dépôt des demandes de brevet européen par des personnes non habilitées, cette révision étant, en vertu de l’article 172 CBE, la prérogative de la Conférence des Etats contractants.
L’hypothèse selon laquelle il serait permis de déposer une nouvelle demande en vertu de l’article 61(1)b) CBE, lorsque la demande antérieure est irrévocablement devenue caduque, porterait préjudice aux intérêts légitimes des tiers, ce qui n’est pas acceptable, dans l’intérêt de la sécurité juridique.
Les conséquences désavantageuses pour les tiers ne peuvent pas être supprimées dans les Etats contractants dans le cas d’une éventuelle action en contrefaçon opposant le titulaire d’un brevet délivré sur la base d’une nouvelle demande et un tiers ayant exploité l’invention pendant la période de temps comprise entre l’extinction de la demande antérieure et le dépôt de la nouvelle demande. La législation nationale en vigueur dans nombre d’Etats contractants reconnaît un droit de poursuite de l’exploitation, mais celui-ci revêt des formes si différentes dans chaque pays que les tentatives d’harmonisation en Europe sont jusqu’à présent restées infructueuses. C’est la raison pour laquelle, en dépit des efforts déployés de longues années durant, il n’a pas encore été possible de résoudre le problème du droit de poursuite de l’exploitation découlant d’une utilisation ou d’une connaissance antérieure de l’invention dans le cadre de la Convention sur le brevet communautaire.
Même si l’on ne tient pas compte des approches très différentes suivies par les Etats contractants, un droit de poursuite de l’exploitation n’est pas susceptible de fournir une solution au problème de la protection des tiers. D’après la législation nationale de la plupart des Etats contractants, le tiers doit avoir commencé l’exploitation avant la date de dépôt ou la date de priorité. Toutefois, la date de dépôt ou la date de priorité d’une nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE est, conformément à l’article 61(2) pris ensemble avec l’article 76(1) CBE, la date de dépôt ou de priorité de la demande antérieure. Si l’exploitation a commencé après cette date, c’est-à-dire après la publication de l’extinction de la demande antérieure au Bulletin européen des brevets, les tiers ne peuvent invoquer un droit national de poursuite de l’exploitation en ce qui concerne le brevet européen, précisément parce que ce droit est rattaché à une utilisation antérieure et non pas à une utilisation survenue entre la date d’extinction et la date de la restauration.
8.8 En outre, il n’est pas non plus possible de déduire du protocole sur la compétence judiciaire et la reconnaissance de décisions portant sur le droit à l’obtention du brevet européen qu’une nouvelle demande peut être déposée en vertu de l’article 61(1)b) CBE, si la demande antérieure n’est plus en instance lors du dépôt de la nouvelle demande. Le protocole ne fait que réglementer la compétence des tribunaux pour les actions intentées contre les demandeurs, afin de déterminer le droit à l’obtention du brevet européen, ainsi que la reconnaissance, par les autres Etats contractants, d’une décision passée en force de chose jugée, qui a été rendue dans un Etat contractant. Tel n’est pas l’objet de la question dont a été saisie la Grande Chambre de recours. La chambre qui a soumis la question avait déjà tranché ce point en estimant que le Comptroller avait compétence pour rendre une décision sur le droit à l’obtention du brevet européen et il ne fait aucun doute que cette décision sera reconnue dans les autres Etats contractants désignés, ce qui est la raison pour laquelle ces questions n’ont pas été soumises à la Grande Chambre pour décision. Le protocole ne permet pas de tirer la moindre conclusion quant à la question soumise à la Grande Chambre de recours, étant donné qu’il ne contient aucune disposition en la matière.
8.9 Pour ces raisons, il est estimé qu’en vertu de l’article 61(1)b) CBE, une nouvelle demande de brevet européen portant sur la même invention que celle qui fait l’objet d’une demande antérieure déposée par un demandeur non habilité et revendiquant ses dates de dépôt et de priorité ne devrait pouvoir être déposée que si la demande antérieure est encore en instance lors du dépôt de la nouvelle demande.
9. La majorité des membres de la Grande Chambre de recours, ayant soigneusement examiné les avis présentés par la minorité, maintient sa position conformément aux points 1 à 7 supra.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Si une décision passée en force de chose jugée rendue par un tribunal national a reconnu le droit à l’obtention du brevet européen à une personne autre que le demandeur et que cette personne, conformément aux dispositions particulières de l’article 61(1) CBE, dépose une nouvelle demande de brevet européen pour la même invention en vertu des dispositions de l’article 61(1)b) CBE, il n’est pas nécessaire, pour que la demande soit admise, que la demande initiale usurpatoire soit toujours en instance devant l’OEB lors du dépôt de la nouvelle demande.